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Visite au Clos Naudin et à Philippe Foreau (Vouvray)

Par Maigremont

Figure emblématique avec Huet sur l'appellation Vouvray, le Clos Naudin fait parti de ces domaines qui sait trouver l'amateur à la recherche de qualité. Le domaine a traversé les décades pour atteindre à ce jour la solide réputation d'un domaine qui offre un style tout à fait à part, si on le compare justement au domaine Huet. L'atteinte d'un tel niveau n'aurait certainement pas été possible sans son actuel propriétaire : Philippe Foreau.

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Créé en 1910 par l'achat d'anciennes vignes par le grand père de Philippe Foreau, le Clos Naudin était à l'époque un des premiers à vendre son vin en bouteille, fait  plutôt rare pour la grande appellation Vouvray. Il faut savoir que Montlouis était alors rattaché à Vouvray. Ce n'est que plus tard que l'autre grande appellation de la rive gauche de la Loire prendra son envol, toute seule comme une grande.  Pourtant longtemps, ces 2 communes ont vécue comme deux sœurs, mais on sent qu'il subsiste aujourd'hui une certaine rivalité. On aurait tendance à croire que Vouvray s'est un peu endormi, en se reposant sur sa notoriété. Montlouis ayant comblé une grande partie du fossé qu'on avait tendance à lui coller à la peau grâce entre autres à des vignerons comme Stéphane Cossais (malheureusement trop tôt disparu), François Chidaine et surtout Jacky Blot qui a donné cette impulsion qualitative. Et puis il y a également la jeune génération représentée par Xavier Weisskopf ou encore Frantz Saumon (nous y reviendrons plus tard).

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Vouvray s'en sort maintenant grâce à des gens comme François Chidaine (encore), Jacky Blot (toujours), François Pinon et la jeune génération qui pousse comme Vincent Careme ou Sébastien Brunet. C'est bien, ça hausse le niveau qualitatif de cette belle région.
Le Clos Naudin (qui n'a rien d'un clos, c'est le nom que porte la maison de la propriété) repose sur 11 hectares 35, 10 ha 50 plantés et 10 en production, tous plantés de Pinot de la Loire, c'est à dire  le cépage  blanc tourangeau par excellence : le Chenin.

Premier arrêt de notre week-end tourangeau dans les vignes, nous sommes accueillis par Julien. Il connait parfaitement les vignes du Clos, semble apprivoiser les moindres sillons et monticules de terre. C'est d'ailleurs son terrain de jeu principal, en plus des quelques travaux de caves. Il nous parle avec passion de cette terre et de la plante qui fait naître ces Vouvray. Nous suivons alors notre guide du jour pour un petit tour dans les vignes histoire de nous dégourdir les jambes.

Le domaine pratique la sélection massale pour les replantations. Les sols sont composés pour la plupart d'argile à silex que l'on appelle ici "perruche". Le sous-sol, c'est le fameux tuffeau, chargé en calcaire épais, dont les vignerons et habitants du coin creusent pour faire la cave et autres abris.

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Nous marchons sur la parcelle de "la Pigeonnerie", dont les ceps de Chenin ont entre 10 et 20 ans. Elle est attenante à "le Mont", fameuse parcelle du domaine Huet. Le sol argileux colle par paquets aux chaussures car les sols sont travaillés (hormis 1 ha enherbé, les sols labourés, décavaillonnés, travail lés en interceps sous le rang...). Nous sommes mi-juin et Julien nous indique que les travaux motorisés sont quasiment impossible vu l'humidité qui règne.

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2010 est un millésime qui s'annonce d'ores et déjà délicat, où il faut être vigilent car la floraison est imminente et avec cette pluie régulière, le mildiou guette. D'ailleurs, afin d'être le plus efficace possible, le domaine utilise quelques molécules chimiques, uniquement avant la "fleur" et ce en cas de risque (humidité et temps chaud) et afin de diminuer les doses de cuivre métal. Pour rassurer les amateurs, c'est le seul traitement phyto de synthèse qui est apposé. Il n'y a pas d'application d'insecticides (lute contre les vers de grappe par confusion sexuelle), ni de traitement systémiques. Philippe Foreau nous dira que "les années sèches, c'est un beau millésime assuré, on est gagnant sur tout la ligne. Les années humides favorisent la pourriture grise et il faut se battre dans la vigne pour sortir quelque chose de correcte".

Quelques chiffres : la densité de plantation est d'environ 6600 pieds à l'hectare. 1/3 des vignes ont moins de 15 ans, 1/3 entre 15 et 40 ans et 1/3 sont des vieilles vignes qui ont plus de 40 ans. Les rendements sur l'ensemble du domaine sont en moyenne de 40 hectolitres/hectares bulles et vins tranquilles confondus. Le Clos produit environ 35 % de "bulles" dont la production totale (sec, 1/2 sec et moelleux) représente de 50 à 55000 bouteilles par an avec de grandes variabilités en fonction de la météo : parfois 3/4 de bulles et 40000 bouteilles par an ou l'inverse, comme cela s'est passé en 2003 où il n'y eu ni bulles ni sec.
Vouvray dispose de 2000 hectares en production. Les meilleurs terrains sont ceux situés en "1ère Côte". Ce sont des vignes à flan de coteau qui dominent la Loire. Plus des 3/4 des vignes du Clos sont situées en "1ère Côte", au plus proche du tuffeau qui s'étend jusqu'à Saumur.

A cet instant, Julien nous emmène à l'entrée de la cave, où nous attend Philippe Foreau. C'est lui qui se

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charge de la dégustation. Les Maigremont sont rejoint par Laurent qui joue presque à domicile ;-) Nous faisons un tour de cave, où les nombreux millésimes non étiquetés patientent dans une ambiance thermique assez froide et humide, tuffeau oblige. Les murs sont couverts de moisissures, témoins des nombreuses fermentations alcooliques dues aux vinifications passées. 

Aux prises des commandes du domaine en 1983, Philippe s'est efforcé de continuer dans la lignée de ce qu'avaient entrepris son grand-père puis sont père : suppression des barriques douteuses, très peu de bois neuf (tout au plus 4 barriques neuves par an sur un parc qui en compte 100). Il considère que le bois ne s'entend pas avec le Chenin. La mise en bouteille intervient au terme d'un élevage court, un peu avant l'été suivant la vendange. Il a conservé le pressoir pneumatique qui avait fait ses preuves dès 1976, un des premier exemplaire dans l'appellation.

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Quelques infos sur les cuvées que nous allons déguster.

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Contrairement à d'autres domaines du coin, Philippe Foreau vinifie 5 types de vin qui correspondent à des mentions et non à des cuvées parcellaires : les bulles (Brut Sans Années, sont élevées 36 mois sur lattes, le Millésimé 5 ans et 7 ans sur lattes pour le Réserve Millésimé). Il existe aussi les Secs (moins de 5 grammes de sucres résiduels), les 1/2 Secs (entre 15 et 20 grammes de SR), les Moelleux (tri des meilleurs raisins atteints de passerillage ou dans les meilleurs années par le Botrytis voire les 2, soit à partir de 30/40 grammes de SR) et pour finir les Moelleux Réserve (de 120 à 180 grammes de SR par litre). 2 fois dans l'histoire du Clos, il y a eu une cuvée "Goutte d'Or", genre de super cuvée à plus de 25 % potentiel, produit uniquement en 1947 et 1990.
Nous n'aurons malheureusement pas la chance de goûter aux fameuses bulles, mais bien d'autres surprises nous attendent...

Ce qui caractérise les vins du Clos Naudin, c'est une acidité prégnante, qui pourrait paraître mordante, sorte de colonne vertébrale qui dirige le vin, qu'il soit sec, 1/2 sec ou moelleux. Elle peut déranger, mais elle donne une fraîcheur et une structure incomparable. Le nez n'est en générale pas exubérant, mais offre finesse et précision. La bouche évolue également en subtilité, en franchissant des paliers harmonieux suivant les différentes cuvées. Pour situer la liqueur des moelleux, elle sait rester digeste et équilibrée.
Les vins sont dégustés à l'aveugle, à température de cave. Les millésimes dits anciens ne sont pas dévoilés au moment de déguster, car Philippe Foreau est joueur et souhaite nous évaluer au jeu des millésimes.

Vouvray Sec 2008 (2 g de SR) : grande droiture avec ce très joli millésime. Riche et mur, la bouche est très précise et déroule lentement sa longue finale saline et fleurie qui se tend comme un câble d'acier. Philippe Foreau le trouve à ce jour encore austère, mais aime déjà beaucoup ce millésime. Très bien (ça commence fort et premier coup de cœur).

Vouvray Sec 1986 (3 g) : grande complexité au nez : touche de fumé, légèrement pétrolé et iodé, sur des notes de truffes blanches et d'amande. On soupçonne tous que ce vin a quelques années et pourtant, l'acidité est encore salivante. Le vin est tenu, sans faille de bout en bout et la longueur est phénoménale. Il semble qu'il tiendra le coup encore bien des années. Un vin vibrant, absolument exceptionnel. Soyons fous,  c'est magique  !

Sec 2009 (4 g) fraîchement mis en bouteille, ça pétarade, la faute au soufre.

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C'est encore plus mur que 2008, avec des notes de poires blanches et de poivre blanc. La richesse est en tout point supérieur, mais grâce à l'acidité importante, le vin n'a pas de creux. C'est bon, mais 2009 ne serait-il pas la confirmation qu'ici aussi à Vouvray, ce millésime est un peu too much ? (idem Sancerre).

1/2 Sec 2007 (18 g) : on augmente la dose de sucre, mais par la tension globale du vin, ce dernier reste dynamique, d'une belle fraîcheur et propose des notes minérales. Un style plus soyeux que sa version "Sec" qui devrait supporter une belle cuisine Thaï nous indique Philippe Foreau. Bien

A ce propos, Philippe Foreau est un amoureux fou de la cuisine et de bonne chaire. Chaque vin qui passe se voit proposé un met. Et bien souvent, ce sont des accords qu'il a testé. Ils varient fréquemment autour de crustacés et de poissons. Encore un signe que le Clos est reconnu : les vins se retrouvent à la carte des plus belles tables du monde !

1/2 Sec 2008 (25 g) : nez fin qui rappel la tarte au citron meringuée, la frangipane et une marque du sol évidente. Magnifique fraîcheur, grande acidité (plus que 2007) et un côté huileux enjoleur. Finale sur des arômes d'agrumes, clémentines et une tension minérale indéniable. Et hop, 2ème coup de cœur du jour. A boire sur une langoustine sauce coriandre et citron vert.

1/2 sec 2009 : moins vif que 2008, mais matière plus opulente, il se livre peu (arômes primaires) car la mise en bouteille est récente et le soufre encore perceptible.

Moelleux 2008 (85 g) : le nez est très ouvert et avenant : poire, miel d'acacia, banane flambée. La structure en bouche est splendide : plutôt que de se parer uniquement de sucre et de rien d'autre, le jus s'affirme d'une façon authentique, avec un côté raisin évident. Bien entendu, la charge de sucre résiduel se fait sentir, mais l'acidité la rend légère, telle une caresse.
"C'est une bouteille miracle" nous dit Philippe Foreau : en 2008, le travail à la vigne a été difficile avec une très grosse pression de mildiou. On pourrait citer aussi le fameux orage où 130 mm d'eau sont tombés en 1 heure ! Heureusement, septembre a  sauvé ce millésime, car très sec, ce qui a permis d'atteindre les bonnes maturités, sans trop de casse. Les vendanges furent  courtes, à peine 2 semaines en octobre.

Moelleux 2002 (50 g) : voici un remarquable vin qui entame un début d'évolution. Les arômes de citron confit commencent à se patiner et on distingue des notes de truffe.  Joli gras qui tapisse la bouche, dont l'équilibre n'a d'égale que la belle finale sur le poivre blanc, le nougat et le caillou.

Moelleux 2009 (60 g) : tout y est sauf l'expression aromatique qui est fermée pour le moment.

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Réserve 2009 (144 g) : le millésime a vu la pourriture noble toucher les baies grâce à une parfaite arrière saison. On ne perçoit par le sucre et pourtant : concentration, richesse et ce niveau d'acidité caractéristique. Malgré la jeunesse de ce vin, la texture est caressante, sensuelle, aérienne et du coup, coule tout seul.  On en reparlera dans 50 ans de celui-ci !

Réserve 2005 (150 g) : là encore, gros millésime. Concentration ultime, plus encore que 2009. Alors la légèreté passe en arrière plan. Mais les arômes de pain d'épices, d'orange confite (pour ceux qui ont connu les  Nonettes, souvenez-vous votre enfance) sont éloquents. Très beau aussi.

A ce moment de la dégustation, tout le monde est un petit peu abasourdi par ce qui a été servi dans nos verres. Tel un matador, Philippe Foreau nous assigne un ultime coup de grâce, qui viendra ponctuer cette  journée un peu magique avec cette dernière bouteille qu'il vient de prendre dans la cave.

Réserve 1989 : plus de 20 ans, jeune athlète finalement, le vin joue tour à tout sur l'encaustique, le camphre, la noix de cajou, le raisin de Corinthe avec cette délicieuse liqueur complexe et vibrante... J'ai noté "IMMENSE" ! Il n'y a rien d'autre à ajouter.

Nous venons de passer 4 heures au Clos Naudin, qui sont passées comme une fusée. Nous avons été ravi et enchanté de parcourir les vignes, témoins privilégiés du travail minutieux qui y est effectué, d'avoir eu des réponses aux multiples questions qui ont été posées à Julien, notre guide du jour. Merci donc à Julien et Philippe Foreau pour leur temps passé avec nous, d'avoir été si généreux avec ces vins débouchés.

Avis tout personnel, mais je trouve dans les vins de  Clos Naudin, le dynamisme et la structure que je n'avais pas trouvé ailleurs dans l'appellation. Affaire de goût. Bravo !

Pour une idée des prix ? (dernier millésime à la vente) : Brut 8.5 €, Brut Réserve Millésimé 15 €, Sec 11,5 €, 1/2 Sec 13.5 €, Moelleux 22 € , Réserve 37 €

Il nous faut partir, pour nous sustenter sous un magnifique cerisier qui sera notre dessert. En bordure de vignes nous sommes bienheureux. Mais la sieste sera pour plus tard, car la prochaine étape de notre périple en Touraine nous attend de l'autre côté de la Loire  chez un petit jeune qui monte. A Montlouis plus exactement. A suivre donc...

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Domaine du Clos Naudin
Philippe Foreau
14, rue Croix Buisée
37210 Vouvray
Tel : +33 2 47 52 71 46
@ : [email protected]


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