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Un livre essentiel : Le Gourou du Vin de Michel Rolland (3)

Par Mauss

Nossiter ! Ah, ce fameux Nossiter, trublion de la caméra, inconnu porté au pinacle, grâce à son génie de la manipulation !

"Quand la haine des hommes ne comporte aucun risque, leur bêtise est vite convaincue, les motifs viennent tout seuls".

Cette exergue de Céline en page 119 où Michel Rolland nous dit avec une délectation retenue son amour de Nossiter donne vite le ton d'une remise en place qui s'imposait sur ce film fascinant par sa médiocrité et surtout par sa mauvaise foi qu'est MONDOVINO où la bretelle du sympathique mais mâdre Monsieur de Montille et l'échelle bleuette devant Patrick Léon restent de magnifiques moments de mauvaise foi caractérisée, de traîtrise de réalités, de manipulations évidentes pour qui regarde avec un oeil critique là où le primaire versera sa première larme.

Dans ce chapitre IV, Michel Rolland nous donne donc, dans le détail, "sa" version des faits. C'est clair : il s'est fait piégé. Nossiter avait, comme disent nos amis américains, un "agenda"; Il était là pour tricher la réalité, pour faire passer un message abscons, pour dénigrer systématiquement un monde qui ne lui plaît pas, quand bien même, comme toutes choses sur cette planète, rien n'est noir ou blanc, tout est gris.

Michel Rolland en garde sous le pied en prenant une certaine hauteur pour parler de ce zèbre pas méchant-méchant - restons correct - mais blindé d'a priori.

J'aime sa citation de Coluche : "L'intelligence est toujours relative, vu que c'est avec la sienne qu'on juge celle des autres".

Recommandé par notre ami commun Robert Vifian, Michel Rolland accueille donc positivement Nossiter qui vient l'interroger, le filmer, le séduire "machiavelement". Les petits médiocres dont le cortex ne connaît que la jalousie malsaine se sont émus d'une mercedes conduite par un chauffeur véhiculant à l'arrière un Michel Rolland pétri d'un humour qui lui est quotidien mais qui ne peut être compris que par les individus ayant un minimum de recul devant le quotidien de ce genre de moments filmés. Ce n'est pas à la portée de chacun, mais Nossiter s'adresse aux autres, c'est évident.

Sans aucune vergogne, Nossiter se réfère à Balzac pour justifier son "style" : "C'est une comédie de moeurs balzacienne sur les mécanismes du pouvoir et leurs effets sur l'être humain."

Madame Catherine Péré Vergé, propriétaire de Château La Gay (très remarquable 2008) qui aurait pu - comme tout primaire ayant vu le film - se vexer des propos de Michel Rolland, a tout au contraire renforcé ses liens avec lui et leur amitié réelle en est ressortie renforcée ! C'est dire. Séparer le grain de l'ivraie, devant de telles manipulations, est d'une facilité enfantine.

Et Michel Rolland de rappeler que Libération, à la sortie du film, avait organisé une dégustation à l'aveugle où justement des vins conseillés par lui, sont sortis en tête. LPV itou où là, on constata qu'il y avait de belles différences entre des vins "Rolland" alors même qu'un petit monde clamait urbi et orbi que tous ses vins se ressemblaient comme des jumeaux. Lire cette page 124. Une belle remise en place de poncifs éculés.

Un autre qui en prend pour son grade est le sieur Aimé Guibert, l'exemple parfait de l'opposition parfaite entre ce qu'il dit et ce qu'il fait. Soyons clairs : si Mondavi avait payé le prix qu'il demandait, l'affaire était faite. Mondavi, pas né de la dernière pluie, ayant dit non, l'anti-américanisme et tout ce qu'il implique de négatif a trouvé alors en Guibert un mégaphone de première grandeur. Le bougre : il a pourtant réussi quelques très beaux millésimes de Daumas-Gassac. Avait-il besoin d'une telle reconnaissance par le bas ? Dommage.

Elève sans le savoir du César Franck de la Symphonie avec orgue, Michel Rolland monte en puissance à partir de la page 128 lorsqu'il évoque le livre Le Goût et le pouvoir (Grasset 2007) du sieur Nossiter qui en remet une couche sévère de mauvaise foi, d'incompétence, de lieux communs, lourdement aggravés lors de son entretien avec un Jacques Dupont (Le Point) nostalgique des comparaisons de zigounettes dans les cours de récréation de son enfance. On vole haut, c'est indéniable. Je ne connaissais pas cet épisode impliquant l'auteur du livre qu'il a voulu "définitif" sur les vins de Bordeaux. J'en suis bouche bée.

Merci Michel Rolland de citer le papier de Michel Bettane sur le blog APV (note page 130) où, dans son style impitoyable, à une autre altitude que les commentaires oiseux d'un Dupont, Bettane donne les mots définitifs pour juger correctement le film de Nossiter : "…un château de cartes s'effondrant au moindre souffle."

On me permet un aparté ? Michel Rolland cite aussi page 131 un texte sensé de Bettane sur le terroir. je cite :

"De même la notion de terroir est une construction mentale stupide dans le discours de bien des "terroiristes" : le terroir n'est pas une réalité de la nature, mais un concept forgé par l'homme et intégrant l'homme dans son contenu. sans un homme pour le travailler et élaborer à partir de ses fruits un produit au caractère individuel, le terroir n'est qu'une "terre" et n'importe quelle terre en vaut une autre. On est bien loin alors de la capacité de distinguer les terroirs entre eux, dogme de base de la religion de ces "terroiristes"".

On reste confondu par tous ces suiveurs de Nossiter, ces Dupont, Légasse et tant d'autres qui ont soufflé dans leurs trompettes de ixièmes couteaux pour faire un peu parler d'eux en harmonie avec cet homme d'un jour que fut Nossiter. Et cette "grande dame" de la chanson française, doutant de Michel Rolland et citant parmi ses vins préférés Pape-Clément,  La Tour Carnet, Fombrauge, Smith Haut Lafitte, Casa Lapostolle (page 132) ! On comprend à quel point Michel Rolland a su garder la tête froide devant de telles inepties et calomnies ! Chapeau Michel ! Là, j'aurais sorti toutes mes grosses Bertha, c'est sûr !

Un peu cruel quand même notre auteur, évoquant la tentative de vinificateur de Périco Légasse. mais bon, on ne peut interdire à quiconque de se lancer dans une telle aventure, pour autant qu'elle reste unique en cas de désastre sur le résultat :-)

"Beaucoup de critiques sont devenus des "carreaux de vitre". On voit Jonathan Nossiter à travers. Un enrôlement douteux. La clochette quitterait-elle le cou des petits moutons ? Le talent serait-il contagieux ?"

Plus loin :

"Il demeure pourtant une vérité : les critiques jugent, les consommateurs choisissent".

Et en conclusion de ce chapitre important :

"La mise en scène de Mondovino était tellement outrée que son effet fut l'inverse de ce que Jonathan Nossiter avait imaginé : le film m'a ouvert mille sympathies."

"Le triste, c'est que, pour combattre les calomnies et les imbécilités, nous répondons, nous nous révoltons et nous finissons par jouer au même jeu. Voilà pourquoi j'ai refusé pendant longtemps d'alimenter les polémiques. Mais celles-ci ont la dent dure car nos capricants, réglés comme du papier à musique, se plaisent à les entretenir, en promenant leur "bonne conscience" sur des pages impétueuses. Tout, en ce bas monde, a ses limites. Et tôt ou tard, l'indigestion menace. cela devient presque une mesure de santé que de dénoncer les orgies de bons sentiments et ceux qui ont l'arrogance de prétendre représenter le bien."

L"humour reste présent, encore via une citation de John Osborne :

"Demander à un écrivain ce qu'il pense des critiques, c'est comme demander à un réverbère ce qu'il pense des chiens."

LE DERNIER CHAPITRE

Michel Rolland y parle de tous les pays où il intervient. la liste est impressionnante : j'en compte 21. Avec naturellement beaucoup de pages sur deux d'entre eux, chers à son coeur : les USA et l'Argentine où il a eu un réel rôle de précurseur et où là aussi, bien des domaines sont devenus de belles affaires grâce à ses conseils.

Dès années 50 à nos jours, Bordeaux a eu trois grands "Monsieur du Vin" : Emile Peynaud, Michel Rolland et Stéphane Derenoncourt. Ces deux derniers sont encore bien actifs, c'est peu dire, et - petite pointe de nationalisme - la France peut être fier d'avoir de tels ambassadeurs. Sûr : on n'oublie pas les Cotarella et probablement quelques espagnols jouant aussi sur des terres extérieures à leur pays natal.

Merci Michel d'avoir écrit ce livre qui remet un peu les choses en place et, finalement, le ton reste mesuré, argumenté quand bien même, c'est fatal, certains y trouveront à redire. On espère simplement que ce sera dans un style à ta hauteur. Pas évident, mais ça, tu le sais !


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