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Un livre essentiel : Le Gourou du Vin de Michel Rolland (2)

Par Mauss

On connaît un des principes qui règlent la vie des hommes publics : qu'on dise du bien ou du mal de vous, interdisez vous de répondre.

Ce n'est pas une position facile tant il est vrai que parfois on ressent le besoin vivace de remettre des choses en place et de dire certaines vérités. Bien sûr, quand les médisances sont à hurler, et dites par des médiocres, le dédain est une solution noble.

Dans le monde du vin, où bien des egos sont monumentaux et trop souvent exacerbés, les sites, forums et blogs regorgent d'exemples de ce type.

Donc, dans ce livre de Michel Rolland et Isabelle Bunisset (qui a dû être à l'écriture : félicitations), Michel a un long chapitre sur sa rencontre et sur son amitié avec Parker en rappelant justement qu'il n'a pas eu pour Le Bon Pasteur les meilleures notes, quand bien même l'autre "guru" américain aime les résultats des travaux et conseils de Rolland.

Il raconte en détails sa première rencontre avec Parker à Libourne, dans son laboratoire puis au château pour apprendre, comprendre le monde du vin bordelais à travers les explications d'un oenologue. Le millésime du jour était le 1981 encore sur fûts. Parker revint en 1983 et, clairement, ce fût Michel Rolland, déjà bien connu des propriétaires, qui lui ouvrit les portes des grands châteaux, rive droite en premier. On sait ici - et Michel aurait dû le rappeler - que Michel Bettane, à l'inverse de bien des journalistes, avait dit avant tout le monde que le 1982 était grand, là où un Robert Finigan le jugeait médiocre. Parker fut enthousiaste. Il allait exploser comme critique et Finigan disparaître. Dura lex, sed lex !

En parlant des critiques :

"Les inepties sont légion, surtout quand il s'agit de dénigrer, et certains esprits font alors preuve d'une rare inventivité".

Et de citer cette propriétaire, vexée de sa petite note : "Comment Robert Parker peut-il déguster après un déjeuner aux truffes ?". "Le comble de la bêtise fut atteint lors de l'affaire Agostini, cette traductrice du Wine Advocate qui chercha à semer le trouble à Bordeaux et à discréditer son ex-employeur. Au final, c'est elle qui fut inquiétée par la justice. Comme la vie est cruelle." (Affaire Geens : NDLR).

Encore sur Parker : "L'homme, le plus courtisé et le moins courtisant, ne s'est pas laissé démolir : il est resté solide, aussi peu sensible au jeu des courbettes qu'à celui des critiques."

Michel Rolland cite ensuite à quel point Parker, en de nombreuses occasions, était capable de trouver un cru, un millésime qu'on lui servait à l'aveugle. Notamment la fois où un propriétaire, troublé par ce talent rare, alla dans sa cave, offrit un vin qu'identifia immédiatement Parker : un Calon-Ségur 1945 !

Là où on peut discuter un point écrit par Michel Rolland : "On n'élabore pas un vin pour plaire à quelqu'un. La spécificité dépend essentiellement du terroir et du cépage." C'est vrai mais il eût fallu quand même ajouter que bien des propriétaires ne voyaient pas la chose ainsi et que plus d'un a cherché pendant des années comment vinifier son vin afin de plaire à l'homme de Monkton. Cela eût mérité quelques paragraphes supplémentaires. On ne m'en voudra pas d'insister sur ce point, tant il est vrai que l'évolution du vin en Bourgogne (où Parker, moins sensible à la finesse du pinot noir qu'aux assemblages bordelais ou aux magnifiques Rhône qu'il aime tant, s'est abstenu de revenir, suite à son procès perdu contre Faiveley) ne s'est point faite - c'est un euphémisme - sur un mode "parkérien".

Oui, avec son système de notes sur 100 et ses commentaires destinés à ses lecteurs et non aux propriétaires, Parker a révolutionné une époque où "… la presse oenlogique, jusque là sous l'influence des critiques anglais, se perdait en conjectures, escamotait l'essentiel et s'essoufflait dans un lyrisme éculé."

C'est vrai aussi que Parker a "trouvé" des vins non classés, comme Valandraud et Garcia, et donc qu'il n'était pas totalement assujetti aux classements : … "le classement, la légende et la renommée ne sont pas des passe-droits et ne suffisent pas à déterminer l'excellence d'un cru. tant d'intuitions et d'exigences ne pouvaient agacer que les médiocres".

Là encore, on eût aimé que Michel Rolland n'oublia pas Michel Bettane qui fut le premier "découvreur" de Valandraud comme, d'ailleurs beaucoup d'autres vins. C'est bien là qu'on constate, navré, à quel point si Michel Bettane avait eu à l'époque un traducteur anglais et si la RVF avait eu l'intelligence d'investir dans une revue en anglais, les choses auraient probablement évolué vers un plus juste équilibre entre la critique américaine et la critique européenne. Mais on ne refait pas l'histoire ! Et comme on sait aussi que Michel Bettane a une toute autre approche de son rôle de critique (superbement expliqué à plusieurs reprises dans la magnifique revue de Neil Beckett : The World of Fine Wine), l'amateur aurait eu à sa disposition deux approches complémentaires, là où un monopole n'est certainement pas la meilleure approche éducative.

Michel Rolland cite encore Charles Dantzig : "Les journalistes n"'écoutent pas les réponses, ils écoutent leurs préjugés".

Le point d'orgue est définitif : en citant la quatrième de couverture de la rigolote bande dessinée de Benoît Simmat et Philippe Bercovici (Robert Parker, les septs péchés capiteux) et en introduisant le chapitre suivant (dont on parlera dans un prochain billet) sur Monsieur Nossiter, Michel Rolland remet clairement les choses en place. Sa défense très argumentée de Robert Parker pour lequel il a une amitié réelle restera un chapitre majeur du monde du vin à travers sa critique des années 80 à ce jour, il reste quand même à écrire un chapitre à écrire : celui des déviances que pose tout monopole, quelque soit le secteur qu'il représente.


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