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Brett ou pas Brett, la est la question ...

Par Afust

Tout est parti d'une belle soirée chez les Sériot : il y avait bien sûr de multiples et jolis vins ... dont l'un était tapé par les Brett (on trouvera le détail de la chose tant sur le blog de Daniel Sériot que sur le mien).
En soi, rien d'extra ordinaire ou qui justifie d'en dire plus. C'est juste que, au delà du fait que lors de la soirée tout le monde n'a pas été convaincu de la présence du défaut, il y eut ensuite diverses réactions et discussions sur un thème du genre : "mais non, ce vin je l'ai goûté et il n'avait aucun problème de Bretts, il était même superbe".
Ces échanges, joints à d'autres discussions ou dégustation joints à la suggestion de D. Sériot m'ont mené à l'idée de pondre un truc sur Brettanomyces, sa vie, son œuvre.
Un truc du genre : "qu'est ce que c'est, qu'est ce que çà fait, comment pet-on lutter contre la bestiole ... et pourquoi peut on goûter le même vin sans y trouver le même défaut ..." en forme d'état de l'art et de partage d'expériences.
Donc voilà ...
(Nota : ceux qui n'aiment ni la microbiologie ni les trucs (un peu) trop scientifiques sauteront directement à la fin du billet où ils trouveront les explications sous une forme simple mais, du coup, peut-être un peu simpliste ?).
Brettanomyces a initialement été identifiée dans la bière, par Claussen en 1905. Elle a ensuite été trouvée tant dans des mouts, dans des vins ou des cidres (qui n'a jamais senti la belle odeur de poulailler d'un cidre fermier n'a jamais senti le passage de Brett ...).
Au delà du -myces de champignon, autant que je sache son petit nom, Brettano, viendrait de britannique.
Brettanomyces ? Le champignon du goût britannique (peut-être est ce une tentative pour faire oublier qu'elle fut aussi connue sous un autre nom d'espèce : bruxellensis).
Je ne suis pas sûr à 100% que l'histoire soit authentique, mais elle mérite de l'être !
En soit Brett n'est pas un problème. C'est juste qu'elle sait produire des composés volatils, les phénols volatils, qui confèrent au vin une palette aromatique allant de la gouache à la basse cour, en passant par la sueur de cheval.
Ca fait envie ...

Pour faire un rapide état des lieux en ce qui concerne Brettanomyces :
- Brett entraine une perte de qualité du vin par apparition de déviations aromatiques et faux goûts (production de phénols volatils)
- Brett est présent à la vigne, mais aussi dans les chais et sur le matériel vinaire,
- Brett peut se développer sur mout, sur vins en cours de FA, sur vins finis.
- Sa période de développement la plus fréquente est, toutefois, en cours d’élevage,
- L'éventuelle phase de latence entre Fermentation Alcoolique (FA) et Fermentation MaloLactique (FML) peut-être mise à profit par Brettanomyces pour se développer. Elle peut alors entrainer d’une part la baisse de qualité du vin et, d’autre part, le blocage de la FML (en particulier dans le cas d’une micro oxygénation entre FA et FML).
Brettanomyces est de plus en plus souvent rencontrée dans les vins rouges car les vinificateurs et leurs commentateurs et consommateurs recherchent fréquemment des vins au degré alcoolique élevé, à l’acidité basse et à la richesse phénolique importante.
Tout ceci donne des vins qui conviennent parfaitement à Brettanomyces qui y est très bien adaptée.
Quelques éléments objectifs :
1. Une étude statistique (Gerbaux, 2000) menée en 1999 en Bourgogne a mis en évidence que 40 à 50% des vins rouges étaient contaminés par Brettanomyces (mais avec des conditions de prélèvement qui laissent penser que ce % est en réalité bien supérieur !).
Pour la France : la présence en Bordelais, en vallée du Rhône et en Val de Loire est avérée et importante. Il en va de même en Californie et d’une façon générale dans l’ensemble des vignobles où l’on élabore des vins rouges de maturité importante.
2. A partir d’une collection de 15 souches, Vincent (2006) met en évidence que, toutes choses égales par ailleurs, la production de phénols volatils varie de façon très importante, selon la souche de Brettanomycesqui a été ensemencée. Elle observe, dans ses conditions expérimentales une production variant au total de 1500 à 4500 µg/l, donc même pour les moins productrices la teneur est bien au dessus du seuil de perception (théoriquement 500 µg/l, mais en fait ça peut être plus selon la structure du vin ... et/ou la sensibilité du dégustateur).
3. Conterno (2006) étudie 47 souches de Brettanomyceset met en évidence que, toutes choses égales par ailleurs la production de phénols volatils est extrêmement variable d’une souche à l’autre (en effet 25 % des souches testées produisant des quantités extrêmement faibles de phénols volatils dans les conditions expérimentales des auteurs)
4. D’autres travaux montrent que même sous forme sporulée (en présence de soufre actif à des niveaux suffisants) Brettanomycesgarde une partie de son activité néfaste (sa production d’éthyl  4 phénols est alors très réduite – environ à 10% - mais reste significative, côté gaïacol çà varierait peu ou pas)
Bref : il y a une grosse variabilité dans la famille Brett, mais pour autant son pouvoir de nuisance est avéré.

Alors : quels sont - dans le désordre le plus total - les moyens de lutte actuellement à disposition ?

Contre Brettanomyces :
1. Hygiène + Levurage + Ensemencement bactérien
Occuper le milieu par une bestiole inoffensive à un niveau de population sufisant limite ou empêche l’implantation ou le développement de Brettanomyces (et autres contaminants). Du moins tant qu’une population importante et active est en place. Cela peut peut suffire au contrôle de population jusqu’à la fin de la FML.
Sur le sujet voir par exemple Nissen (2003).
Pour autant, la présence de phénols volatils dans un vin n'indique pas que l'hygiène de la cave est déficiente : j'ai une foultitude d'exemples contraires (dans les deux sens).
2. Soutirage et/ou collage
Selon Murat (2003) cela permet de diminuer fortement la population (de l'ordre de 2 logs) : il est vrai que Brettanomyces est un microorganisme lourd qui sédimente assez vite, mais çà ne règle pas le problème puisqu'il n'y a pas élimination de la population.
En outre selon Renouf () la production de phénols volatils est d’autant plus forte que la population est en phase de croissance … or un soutirage diminue la population qui peut, ensuite, re augmenter.


3. SO2
Son efficacité est avant tout fonction du pH (très limitée si pH > 3.7), mais aussi du TAV et de la température (il semblerait que le niveau de population de Brettanomyces ait aussi de l’importance). Même quand il est efficace, il ne tue pas Brettanomyces mais la fait passer sous forme sporulée. Son action est durable mais ne dispense pas, par exemple, d’une tangentielle avant mise, faute de quoi on s’expose à un développement en bouteille.

En outre, selon Barata (2008) : à une dose de 0.70 mg/L de SO2 actif, sur 17 souches : 7 sont totalement inhibées, 10 souches ne le sont que partiellement, et 3 souches ne souffrent en rien de ce soufre.
En outre 0.70 d'actif est une dose monstrueuse : avec 0.30 mg de
SO2 libre (dose relativement classique ... et encore certains sont ils à 25 voire en dessous) il est impossible de parvenir à ce niveau pour des pH supérieurs à 3.5. Autrement dit dès lors que l'on est un peu mur et/ou un peu dans le sud ...
Il va de soi qu'un vin sans sulfites ajoutés a tout intérêt à être totalement exempt de Brettanomyces lors de la mise en bouteilles ! mais les autres aussi puisque le bestiau est en mesure de se redévelopper une fois que la teneur en SO2 sera revenue à des valeurs plus acceptables pour la bestiole !

4. Flash pasteurisation
La méthode est très efficace dans l’instant, mais ne donne pas de garantie dans la durée : une mise mise proche dans le temps (et stérile !) est donc vivement recommandée, car sinon il risque y avoir recontamination. Au delà de cette remarque, il faut quand même noter que c'est plutôt couteux et qu'il semble évident qu'il y aura des effet sensoriels sur le vin.
5. Filtration tangentielle
Là aussi c'est très efficace dans l’instant, mais ne donne pas plus de garantie dans la durée ! Donc mise rapide et stérile vivement recommandée.
Egalement plutôt couteux ... mais quand on filtre, choisir une tangentielle permet de significativement limiter les pertes de vin. C'est donc un bon choix technique et économique pour les vins de valeur ajoutée élevée (on aura compris que, personnellement, ça me semble préférable à la Flash. Mais avec, dans les deux cas une limite importante, qui est - au delà du cout - la disponibilité de l’opérateur … et sa capacité à travailler de façon stérile !).
6. Chitosane
Mettre du chitosane (récemment autorisé) revient ni plus ni moins à un collage des micro organismes avec, en plus, une diminution de la viabilité de Brettanomyces (perturbation de la perméabilité membranaire de Brett, mais selon certains auteurs cet effet semble réversible !).
Le chitosane agit suite à l’ajout du produit, sur une population dont on sait qu'elle est là et n’assure pas de protection durable dans le temps, ni ne permet pas de faire du préventif.
A l’heure actuelle, il y a toujours « souci » du point de vue de la commercialisation des vins : autorisé en Europe, mais pas encore sur Brésil et Chine.
Techniquement cela nécessite un soutirage 10 jours après utilisation car les lies de collage sont très riches en Brettanomyces gardant tout ou partie de leur activité (observations personnelles, quoique certains puissent en dire).
Coût non négligeable de l’ordre de 2 € / hl.

Contre les phénols volatils :
On a longtemps été à poil sur ce sujet. Et on l'est encore, d'ailleurs ...
Tout au plus pouvait on essayer de masquer la chose par assemblage (attention alors à ne pas contaminer en Brett une cuve qui en était exempte !) ... ou par une utilisation de copeaux pouvant être massive et manquer un peu d'élégance (doux euphémisme).
En effet : jusqu'à une époque extrêmement récente il n'existait pas de traitement (méthode ou produit) efficace et autorisé.
La situation vient d'évoluer avec la résolution
OIV-OENO 504-2014 :
"
Une nouvelle pratique œnologique sur le traitement des vins par un couplage de technique membranaire et de charbon actif pour réduire un excès de 4-éthylphénol et 4- éthylgaïacol a été admise. Ce traitement physique consiste à utiliser des technologies associant la nanofiltration et le traitement par charbon actif désodorisant avec l’objectif de réduire les teneurs en 4-éthylphénol et 4-éthylgaïacol d’origine microbienne qui constituent un défaut organoleptique et masquent les arômes du vin".
Ce n'est que du curatif, mais c'est remarquablement efficace (et çà reste à traduire au niveau national).

Comme bien souvent l'idéal reste le curatif, donc savoir s'il y a des Bretts et combien afin de décider d'intervenir ou pas. Compliqué cette affaire : comme vu plus haut le fait qu'il y en ait ne veut pas dire qu'il y a réel danger.
Encore plus compliqué du fait de la possibilité pour Brett de se mettre - de façon réversible - sous forme « Viable Non Cultivable » (VNC), un truc observé (par Xu) en 1982 chez les bactéries puis envisagé pour les levures en 2005 (Divol).
Le sulfitage, évoqué plus haut, entraine le passage sous forme VNC des Brett. Le retour à la forme initiale se fera plus ou moins vite quand le milieu sera redevenu favorable (le SO2 plus bas !) mais ce n'est en l'état pas possible de prévoir quand et comment.

Brett ou pas Brett, la est la question ...

Comptage de Brett sur boite de Pétri


Dès lors la microbiologie classique se heurte a un écueil majeur : VNC veut dire que la bestiole est viable ... mais que la mise en culture en microbiologie "classique" ne permet pas de déceler sa présence !
Au delà de la sélectivité réelle ou supposée du milieu utilisé, des conditions de prélèvement à la cuve et donc de la représentativité de l'échantillon (Brett n'est pas répartie de façon homogène dans le vin !) et des compétences de l'opérateur : du fait de l'existence très probable de Brett sous forme VNC, la boite de Pétri risque fort donner des résultats sous estimés (dans une proportion qu'on ne connait pas).
Si elle dit qu'il n'y a pas de Brett on n'est pas sûr que Brett soit réellement absente !
Bref çà sert à rien. C'est pourtant encore largement utilisé.
Il existe diverses méthodes d'évaluation du risque.

Brett ou pas Brett, la est la question ...

Gradient de population dans un vin
en cours d'élevage

Elles sont plus ou moins sérieuses, efficaces et fiables. Je me limiterai à la PCR.

Et encore : seulement la PCR quantitative.
Cette méthode détecte la présence d'ADN de Brett et, par comparaison à un étalon, en déduit la population présente dans l'échantillon.
On a le résultat dans la journée et non pas au bout d'une semaine, comme avec la boite de Pétri. Ca coûte nettement plus cher.
Pour autant la différenciation entre ADN de Bretts vivantes et de Brett mortes n'est pas évidente (encore un doux euphémisme) et peut amener à sur estimer la population donc le risque. En outre mes réserves sur la représentativité du prélèvement et la fiabilité des opérateurs restent valables. Pour ce type d'analyse je ne saurais trop conseiller au vignerons d envoyer divers échantillons ... dont un en double aveugle, histoire de vérifier que les résultats seront bien comparables !
Pour autant, malgré ces réserves, et même si on risque sur estimer la population et donc le risque : au moins on est on sur de pas rater les Brett (sous les réserves exprimées juste au dessus).
Et notre GPL 1996 ? Pourquoi l'avoir trouvé marqué ou pas ?
Il y a, de toute évidence, une multitude de raisons à cela :
- tous les dégustateurs n'ont pas les mêmes seuils de perception.
Pour un 500 théorique, le mien se situe sans doute aux alentours de 650 ou 700 quand on en vient à des vins de ce genre de structure (mais si au nez je suis une relative truffe, en bouche je suis très sensible à cette sensation finale de sècheresse et d'amertume mâtinées de notes métalliques qui caractérise aussi Brett).
- certains dégustateurs aiment ce bon goût de Brett.
J'ai d'ailleurs souvenir d'une dégustation lors du congrès annuel de l'ASEV au cours de laquelle l'intervenante principale s'évertuait à nous démontrer qu'à faibles doses les phénols volatils contribuent favorablement à l'aromatique du vin (sauf que pour contrôler çà ...).
- toutes les bouteilles ne viennent pas forcément du même lot, et ne sont donc pas forcément toutes contaminées.
- la population n'étant pas répartie de façon homogène dans la cuve (sauf homogénéisation juste avant mise) certaines bouteilles ont pu être contaminées et pas d'autres.
- le SO2 a pu évoluer différemment d'une bouteille à l'autre (température et humidité de la cave, qualité du bouchon, ...) et même si ces évolutions ont été similaires, les populations de Brett ont pu, d'une bouteille à l'autre, quitter le mode VNC et reprendre la production de phénols volatils avec des efficacités différentes.
(Sinon, bien sûr, quand on démarre à 0 de libre on a plutôt intérêt à être nickel chrome, côté microbio ... ou à boire le vin très vite).
Un peu de lecture pour aller plus loin :Tout d'abord deux documents essentiels à qui veut se pencher sur la question et en avoir une bonne compréhension :
- la thèse de Pascal Barbin
- la thèse de Vincent Renouf avec sa première partie puis sa suite et fin.
Ensuite des compléments qui sont tout sauf anecdotiques :

-  Facteurs favorisant le développement des Brettanomyces à la vigne et au cours de la vinification. IFV Midi Pyrénées – Rencontre technique micro-organismes et gestion thermique. P. Taillandier, P. Barbin, JF Gilis, P. Strehaiano.
- Comment vaincre les Brettanomyces grâce à Brett’Less. Vinopole Bordeaux Aquitaine. Jean-Christophe Crachereau
- Dynamique des populations de Brettanomyces dans les vins de Pinot noir de Bourgogne en cours d’élevage : effet souche et influence des traitements par le SO2. 2006. Revue Française d’œnologie 219. B. Vincent.
- Stop aux Brettanomyces ! Les solutions. Présentation powerpoint ICV. G. Elichiry.
- Etude physiologique de souches de Brettanomyces dans les vins de la vallée du Rhône.
Inter Rhône. L. Massini.
- Viable Saccharomyces cerevisiae cells at high concentrations cause early growth arrest of non-Saccharomyces yeasts in mixed cultures by a cell-cell contact-mediated mechanism. 2003. P. Nissen, D. Nielsen, N. Ameborg. Wiley Interscience.


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