« Puis vient une sorte de calme et j'entends, par-dessus mes oreilles, le faible bruit du monde... Et la vie de nouveau, le soleil par les interstices et par le nez, par la peau, aussi. » (Ogor Plotvitch – Un drôle d’oiseau)
18 décembre 2022.- Ciel dégagé ce qui n'empêche pas les frimas, bien au contraire (1°C). Il y a trente ans pour moi Jean Dutourd c'était l'ennemi. L'un des pires représentants de la droite pipe veston, le type des Grosses têtes. En somme, quelque chose de l'horreur absolue. Aujourd'hui, peut-être suis-je plus résigné et indolent, je n'éprouve aucun scrupule à le lire, le trouvant plus qu'à mon tour épatant. Ainsi vont les goûts et les intérêts. Il y a trente je ne voyais que le Dutourd terminal, le Dutourd en roue libre, le Dutourd gaulliste persistant au charme un peu lourdaud. Ce n'était pas l'écrivain dans sa globalité, son œuvre était derrière lui et je pense qu'il s'en fichait, préférant s'amuser avec un ton goguenard plus qu'autre chose. Dans l'Âme sensible, nous sommes à une distance respectable de la tribune des Grosses têtes, la sensibilité, l'esprit vif, mais pas pour rien, sont à l’œuvre. On pourrait dire que ce n'est pas un livre sur Stendhal, mais un livre de Dutourd écrivant sur Mérimée écrivant sur Stendhal. On pourrait dire cela, mais ce serait verser dans une sorte d'enchâssement un peu trop malin. Non L'Âme sensible malgré son apparence gigogne est un livre consacré à Stendhal et si Mérimée est bien là, c'est avant tout comme robinet… Un robinet ouvert par Dutourd et qui laisse couler l'ami Beyle, l'appétence stendhalienne… Le ton est léger, agréable, jamais docte et sans aucune prétention de spécialiste — les spécialistes, les universitaires restent à la porte du bal et critique les costumes des invités —. Dutourd lui est au milieu du bal… avec son regard malicieux, oui c'est bien lui.
Coupe du Monde de balle au pied. Match homérique, victoire méritée des Argentins, mais il y a tout de même de la déception. Comportement lamentable de notre président de la République, qui visiblement aime beaucoup se frotter à de jeunes corps en sueur.
19 décembre 2022.- Coup de vent et hausse sensible des températures extérieures (14°C). Noria des camionnettes amazoniennes, Noël approche.
Chez Dutourd éloge su style, éloge du premier jet. Il ne faut pas écouter les annotateurs, critiques, les professeurs de littérature et les messieurs de la Sorbonne. Non, le travail, le labeur, la transpiration sur le texte, la relecture à foison ne sont pas tout. Il n'est pas forcement nécessaire qu'un texte sente l'huile ou que l'on y entende les sourds échos des coups de gueule flaubertiens. L'essentiel est ailleurs. Il suffit de lire Stendhal pour s'en convaincre… Voilà un olibrius qui ne repeint jamais dix fois sur le même tableau, non, il préfère peindre dix tableaux, le meilleur est le dernier, mais pas toujours « le premier jet est décourageant. Il prouve que le talent existe, qu'à la rigueur, il pourrait se suffire à lui-même, sans travail. »
Pour le reste, le livre de Dutourd est formidable (pour ne pas dire épatant), il bruisse de mille choses que l'on pourrait citer. Il y a même de l'intime, du personnel qui transparaît pudiquement ; sans ostentation. « Flaubert polit les détails à l'infini et fait une littérature de myope. Ses livres ressemblent aux peintures léchées, qui brillent trop, par plaques, et dont l'ensemble, à force de modifications imperceptibles est devenu morne. Le grand art consiste à préserver, au milieu des corrections, ce premier jet, qui est proprement le style, c'est-à-dire la respiration de l'auteur, le battement de son sang, la forme inimitable de sa pensée lorsqu'elle naît. Stendhal montre souverainement la façon d'y parvenir. »
20 décembre 2022.- Le vent est violent et la température molle, comme si c'était possible (15°C).[Matin]
« Wish I had lipstick on my shirt Instead of piss stains on my shoes »
Friday Night, Saturday Morning c’était le Friday on my Mind des Easybeats, mais abordé par sa face raide et blafarde. Cette lymphatique musique de train fantôme… Les « joies » du vendredi soir : descendre une multitude de pintes dans la boite du coin, regarder les filles, mais pas plus… Les « joies » du samedi matin : rentrer seul, attendre un taxi, une tourte à la viande dans la main, un pied dans une flaque de vomi… Bref, Terry Hall (qui est mort) était un sacré « écrivain de chansons. »
[Avant la sieste] L'Âme sensible n'est pas qu'un merveilleux livre sur Stendhal. Dutourd y a mis beaucoup de lui-même. C'est son enfance qui revient — cet âge qu'il n'aime pas, on s'ennuie dans les églises —, ses débuts dans la vie — sera-t-il peintre ou écrivain ? Il sera écrivain, car l'investissement matériel est moindre, une plume, un bloc note et le tour est joué — ses années de guerre, de résistance où arrêté par la milice il craint le pire avant de s'évader en sifflotant presque. Tout cela est évoqué sans en faire trop, mais c'est bien là sous nos yeux : « L'image des bonheurs passés ressuscite avec des couleurs éclatantes qui sont celles de la vie même. Je me souviens que, quand j'étais jeune, je m'enfuyais parfois au milieu d'un plaisir ou d'un bonheur, je n'hésitais pas à le couper net afin d'en savourer tranquillement les détails dans la solitude. En d'autres termes, le souvenir des choses me faisait plus plaisir que la chose elle-même, qui passait trop vite, qui m’entraînait dans un tourbillon où je ne me contrôlais plus. C'était là, certainement, un trait d'homme d'imagination ou d'artiste. »
[Après la sieste] En dehors de quelques pages virant au meeting gaulliste (le livre ayant été écrit en 1958, c'est certainement quelques scories de l'époque idoine) le livre de Dutourd ne se lasse pas d'être formidable. C'est bien simple si vous n'êtes pas stendhalien, vous le deviendrez après l"avoir lu… Comme tout est dans tout L'Âme sensible m'a donné l'envie de lire ni plus ni moins que le vieux Alain, vous savez ce philosophe poussiéreux, Chartier ce Valéry en pire ! Dutourd le cite trois ou quatre fois — Alain a écrit une petite chose sur Stendhal — et je dois dire que ce qui m'est parvenu m'a paru tout à fait engageant.
21 décembre 2022.- Weather mostly cloudy (13°C). Aujourd'hui c’était le solstice d'hiver. C'était aussi la journée mondiale de l'orgasme. Alors, j'ai fait du riz.
Il y a 20531 jours, le 5 octobre 1966, Emil Cioran ne célèbre aucune journée mondiale de quoi que ce soit. Non, simplement, le soir venu, durant sa promenade habituelle autour du Luxembourg, il ne cesse pas de fredonner des airs espagnols. Tellement fort que tout le monde se retourne derrière lui. Le voilà dans l'une de ses crises où l'exaltation l'emporte sur la dépression : « On devait, de l'extérieur, me prendre pour un fou ou, vraisemblablement, pour un heureux (non de la terre mais de Dieu sait quoi). Et en un certain sens, je l'étais, heureux. » (Cahiers)
23 décembre 2022.- Averses (14°C). Réveil précoce, labeur, sieste et pas grand chose d'autre. Incapable de lire quoi que ce soit. Alain, Cingria, la moindre ligne se dérobe à mon regard… Quant au monde c'est l'excitation consumériste de Noël et agapes. La pire période de l'année.
24 décembre 2022.- Grisaille et douceur (15°C). Vaguement malade, je me prépare sans entrain pour les bombances. Hier fusillade à Paris. Un illuminé tue trois Kurdes et c'est une sorte de guerre civile turco-kurde qui se téléporte sur les bords de la Place de la Nation.
Bernard Delvaille, Journal, année 1986. Beaucoup de voyages, encore… Londres où le délire sexuel des années 50 a laissé place au manque de risque ou d'enthousiasme (ce sont les fameuses années SIDA), Florence cette ville tout en toits de tuiles, de façades de pierre jaune, de statues autour desquels tournent une flopée de jeunes gandins presque tous pieds nus dans des mocassins ou des sandalettes, Sils Maria dans les pas de Nietzsche…
26 décembre 2022.- Temps doux et nuageux (15°C). Vaporeuse journée post agapes. Je lis Syd Barrett le rock et autres trucs de Jean-Michel Espitallier. Pas vraiment mauvais, pas foudroyant non plus. Pas si mauvais parce que l'on apprend tout de même deux trois choses sur l'elfe cyclothymique Barrett. Pas foudroyant — et même un peu pénible —parce que l'auteur quitte un peu trop souvent les rivages du factuel pour tenter de s'élever vers quelque chose qui se voudrait littéraire et qui n'apporte rien de vraiment intéressant à l'ensemble… De surcroît et pour tout dire, c'est assez mal écrit, notamment le début qui frôle le pire ( le tout manque certainement d'un coup d’œil éditorial).
27 décembre 2022.- Beau temps plus froid (7°C). (Matin) Jean-Michel Espitallier compare Syd Barrett et Arthur Rimbaud et je ne suis pas certain que cela soit si bien vu que ça. Il y a certes le retrait, la disparition des deux, mais l'un disparaît en s'enfermant jusqu'à ce que mort s'ensuive dans un pavillon de banlieue tandis que l'autre disparaît en s'enfuyant dans les « ailleurs ». L'un est incontestablement toqué et rien ne dit que l'autre le soit vraiment (tout dit même l'inverse tant le Rimbaud en retrait semblait avoir la tête bien arrimée sur les épaules). Il y a du conscient chez l’un pas trop chez l’autre. C’est une comparaison qui ne tient pas, ou alors pas longtemps… Quant à l’importance des deux loustics, elle n’est certainement pas la même. L’un, le plus érythréen, est crucial, l’autre, l’adepte des nursery tunes, n’est qu’un imprévu magnifique et c’est déjà beaucoup… Le reste du livre n’est pas plus convaincant que cette mise en parallèle un peu pataude. Les considérations sur la culture rock, les piques amusées dans le dos de Bono, Phil Collins ou Yes tout cela frôle la facilité et le faiblard. Bref, et là j’écris comme les donneurs d’avis sur Amazon, j’ai perdu mon temps en lisant ce livre. Comment commencer une nouvelle lecture après un ouvrage qui m’aura plus agacé qu’enchanté ? C’est bien simple ne voulant pas être déçu en pire une nouvelle fois j’ai bien failli entreprendre la lecture de La Recherche du temps perdu.. Ni plus, ni moins… Bon je n’ai finalement relu que les trois première pages qui sont très bien (un type se souvient qu’enfant il se couchait très tôt, il y avait des raies de lumières sous les portes) avant de changer d’avis. L’entreprise est trop périlleuse en termes de temps et de planning. Pour rester ne serai ce qu’un petit peu enchanté je suis alors retourné dans les Chroniques d’Éric Holder, elles déçoivent rarement. Holder c’est un Vialatte mâtiné de Tchekhov et de Calet, un écrivain : « " Vous-même… Dans la vie ? “ Ils étaient présents, attentifs. Ils avaient cette qualité d’écouter tout en n’exigeant rien. Mais que pouvais-je répondre ? Que je tournais autour d’un diamant dur, lequel, sans cesse se dérobant, fait qu’on ne trouve pas les mots ? Que c’est justement pour ça qu’on écrit ? Que j’écrivais ? Oh, bon sang, ne jamais dire à quelqu’un qu’on fait des livres, inventer n’importe quoi… Soudain, j’eus un geste qui dut les déconcerter. J’avais un journal dans les mains.Je me cachai derrière. Les écrivains arrivaient sur le quai.Ils parlaient haut, ils avaient des valises coûteuses. »
(Après la vaisselle) Quand il ne regard pas le plafond avec des airs courroucés tout en prononçant le nom d’Hannah Arendt à l’unisson Alain Finkielkraut est de temps à autre intéressant. Aujourd’hui dans son émission il parlait de Philip Roth avec Alice Ferney et Éric Neuhoff (l’homme à la cravate tricotée). Rien à redire, il y en à certains qui ne devraient jamais parler que de ce et ceux qu’ils aiment.
(Après la sieste) Ça ne paie pas de mine la chronique chez Holder, trois-quatre pages, pas plus, mais c’est très bien, c’est la juste mesure. Delvaille, Journal. Voilà un type qui ne semble vivre que lorsqu’il se déplace. Les amours, les livres tout cela est certes important, mais l’essentiel est ailleurs, l’essentiel c’est de bouger.
Pour faire bonne mesure et en revenir au début de ma journée, relu Le Bateau ivre, rien de vraiment barrettien plutôt un sublime préambule larbaldien : « J’ai heurté, savez-vous ? D’incroyables florides. »
28 décembre 2022.- Météo indéfinissable, douce, fraîche, semi-nuageuse ou pas, on s'y perd (10°C). Labeur, fatigue, rien lu.
Noël et ses agapes passées,j'ai mangé une pizza que l'on dit fermière,
lorgnant tranquillement l'année qui vient,
qui viendra,
qui sera bientôt là.puis j'ai fini les bouteilles.
30 décembre 2022.- Il pleut (13°C). Pelé est mort ce qui m'a rendu bien triste. Cependant, certainement par un indéfectible atavisme pour les perdants magnifiques, ma mythologie personnelle lui a toujours préféré son âme damnée : Garrincha… Garrincha et sa démarche chaplinesque, résultat d’une méchante polio acquise dès l’enfance. Garrincha et ses guibolles hors normes qui transformaient le valétudinaire en poésie. Garrincha et sa gestuelle miraculeuse, quelque part entre le ridicule et le sublime, une sorte de suave équilibre. Garrincha ce créateur d’arabesques, de mouvements incongrus alimentant la stupéfaction de l’adversaire plus partenaire inconscient de l’œuvre en mouvement qu’autre chose. Pelé lui plus lisse n’était que sensualité et intelligence, rien de sybarite, quelque chose de plus rectiligne, de plus moderne, un type sain de corps et d’esprit qui restera fidèle en amour et finira couvert d’honneurs… une sorte de collaborateur de la normalité. Garrincha lui brûlait sa vie comme ses adversaires, baisait toutes les filles qui pouvaient lui tourner autour (il était paraît-il doté d’un sexe surdimensionné et il l’utilisait), fumais et buvais plus que de raison. Après des années d'extrême détresse et de delirium tremens il est mort à Rio do Janeiro le 20 janvier 1983 à 49 ans. Lors de ses obsèques, des milliers de pauvres hères descendus des favelas suivront son cercueil juché sur un rutilant camion de pompiers. Garrincha n'aura jamais joué au cosmos de New York.
31 décembre 2022.- Beau temps, douceur indécente (18°C). (Matin) Tiens Éric Holder m'a donné l'envie de lire Dezső Kosztolány. Les choses sont bien faites j'ai deux ou trois livres de lui dans ma pile de livres en attente, Alouette, Néron, le poète sanglant, Anna la douce… Kosztolány est un écrivain hongrois de la première moitié du 20e siècle (il est mort en 1936). Pour Holder c'est un peu l'équivalent magyar de Fernando Pessoa, il le place même plus haut. Pour le reste en dehors des recommandations énamourées autour des lexies et unités phonologiques hongroises L'Anachronique est un recueil parfait. On y baguenaude avec plein d'attention parmi les gens de peu, au milieu de causes imparfaites et amicales, dans un bonheur qui est aussi conjugal, mais qui n'exclut pas une certaine pente tragique et éthylique. Vous avez dit Calet ?
(Après-midi) Je suis dans La gloire des petites choses nouvelle affaire que Denis Grozdanovitch aura fomentée à partir de ses fameux carnets de lecture. Le titre mal choisi (par qui ? L'éditeur ?) pourrait laisser deviner un soupçon de peluchisme delermiste, ce n'est pas vraiment le cas. Grozdanovitch s'attache certes aux petites choses, mais il le fait sans réelle mignardise avec son habituel savoir-faire de passeur, un savoir-faire d'ancien tennisman (les sportifs devraient écrire plus souvent). Le menu est assez à mon goût : indolence, lutte en sourdine contre le monde moderne avec pour alliés Dhôtel, Schulz, Nietszche, Hofmannnsthal, Haldas (sur ce dernier et sa fameuse petite graine poétique, j'ai de sérieux doutes. Grozdanovitch sera-t-il me convaincre ? Suspens…)
1er janvier 2023- « L’homme se réveille en janvier lentement au milieu des jardins déserts, l’esprit encore tout embrumé des vapeurs de la Saint-Sylvestre ; ses idées flottent, sa femme lui apporte de l’aspirine, ses enfants marchent sur la pointe des pieds. Les champs sont nus jusqu’à l’horizon… » (Alexandre Vialatte, Un abécédaire)
2 janvier 2023.- De larges bourrasques tempétueuses puis un calme plat et quelques gouttes filiformes (13°C). L'année commence et les haillons des camionnettes amazoniennes dégueulent toujours leurs innombrables colis sur fond de tintamarre autotuné. Rien n'a donc bougé, tout semble immuable.
Même si de l'ensemble dégage un propos, des idées qui se tiennent entre elles et un tout cohérent (pour résumer à gros traits. La continuité des moments infimes, le small is beautiful), le livre de Grozdanovitch est surtout délectable pour les multiples envies de lectures qu'il peut donner : Walker Hamilton, J.A Baker, Robert Marteau, Hortense Flexner… Toutes choses étant c'est aussi — et forcément — une belle armoire à citations. Celle-ci -— d'un André de Richaud assez terminal — par exemple :
Moi toute ma vie, je suis resté blanc et muet,
comme un phare de jour, en attendant l’heureoù je serais bien debout dans une éternité
à caresser les visages endormis dans les fenêtres.
Je ne lâche pas Holder aussi facilement que ça. Aujourd’hui il tournait autour de la Lozère de ses Causses et de sa petite coterie d’écrivains dont je tarais le nom d’une part parce que je suis faignant, d’autre part parce que ma mine vient de se casser.
3 décembre 2023.- Belles soleillées (12°C). Il y a une chose que l'on peut dire sur les chroniques d'Éric Holder, c'est qu'elles sont parfaitement ciselées, peaufinées. Pourtant, l'on n'y sent jamais l'effort. Tout coule comme un ruisseau.
Bernard Delavaille, Journal 1989. Bicentaine de la révolution en sourdine, quelques symposiums d'écrivains où invité il prend un malin plaisir à ne pas prendre la parole. Visite de Montpellier qui le séduit. Le Jardin des plantes, le vieux quartier universitaire, la Place de la Canourgue ; tout cela est d'une haute tenue d'architecture et de civilisation (moins les Jardins du Peyrou que Delvaille n'aime pas).
N'ayant finalement pas trouvé le courage de relire La recherche du temps perdu de qui vous savez je relis par petites bouchées gourmandes Les illuminations de qui vous savez aussi. Évidemment, c'est merveilleux. On y trouve des choses comme celle-ci : « Les sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L'air est immobile. Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant. »
4 décembre 2023.- Temps maussade comme une bonne sœur sans cornette (10°C). Dans ses récents vœux à la Nation notre président aurait prononcé le mot travail dix-sept fois. En dix-neuf minutes c'est beaucoup cela tient de la trépanation avec un marteau et un clou. Tout cela pour vous dire que je rentre du travail et que je n'y ai trouvé que des inconvénients et aucune satisfaction personnelle. Le clou a dû rater sa cible. Reste les livres... Picoré dans les Illuminations du dépeigné de Charleville-Mézières, dans la correspondance de Proust et chez Charles-Albert, vous savez ce turco-suisse tourneboulant : « Une locution de chez nous, qu'on aime beaucoup dans les milieux avertis en France, est celle-ci : “L'air est cru”, « il fait un peu cru ce matin ». En effet, pourquoi pas ? C'est une façon métaphorique de s'exprimer, et à ce titre elle est non seulement licite, mais agréable, imitable, utilisable en poésie et aussi en prose. On dit bien : l'air est sec, l'air est léger, l'air est torride, l'air est moite. Ce sont des qualités qui ne sont pas de la nature même de l'air, mais d'éléments différents, dont on lui prête l'image. Je me rappelle avoir entendu un enfant de Reims qui disait de certaines prunes : “Ces prunes ont un goût fier.” Ce propos fit pour de longs temps mon extase. Ce n'était qu'une métaphore. Pourquoi n'avons-nous pas le droit d'user de métaphores ? »
5 janvier 2022.- Fade to grey (11°C). Le Dimanche 9 octobre 1966 au milieu de l'après-midi, le cafard d'Emil Cioran s'élève jusqu'au ciel. Rien d'autre… Ah si ! Rimbaud, toujours : « J ’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse ».
6 janvier 2022.- Grisaille et bruine pataude, pour un peu on préférerait de vrais frimas, quelque chose d'hivernal mais pas en pire (12°C). Deux chroniques du petit petit père Vialatte, le sandwich de Maigret, le suicide et ses formes, deux merveilles (la seconde étant un genre de chef-d’œuvre). Demain je compte entamer les Histoires confidentielles de Pierre Herbart.
7 janvier 2022.- Du vent (9°C). Ce semblant de Journal est de plus en plus relâché, j'essaie de dénouer ma mine.
Histoires confidentielles de Pierre Herbart. Ce recueil rassemblant quelques courtes nouvelles est considéré comme son dernier livre (même si pour l'essentiel il aura été écrit précocement). Première histoire magnifique, sombres échos avec le Navire de bois de Hans Henny Jahnn. Équipage enivré, bateau à la dérive, moussaillons craignant d'être pris pour femmes, désirs tordus, déréliction sous les embruns. La conclusion est splendide (deux moussaillons s'échappent en plongeant nu du bateau où ils officiaient. Réunis sur la plage ils le regarde de loin en se tenant par la main). Picoré dans le Journal de l'affreux Renaud Camus. Vu d’œil, joli titre, je crois qu'il est question de l'année 2012. Le côté politique et assommant est totalement passé au-dessus de ma tête de brute lymphatique. Restent quelques lectures, des noms d'auteurs cités ici ou là ; l'histoire d'un corps, ses vagues jouissances, son vieillissement, c'est toujours ça.
Nombreuses nouvelles acquisitions : David Van Reybrouck - Le Fléau, Wallace Stegner - Vue cavalière, Mario Rigoni Stern - En attendant l'aube, Akira Yoshimura - Le convoi de l'eau, Francisco Coloane – Naufrages.
8 janvier 2023.- Temps doux et maussade (13°C). Les histoires de Pierre Herbart ne sont jamais totalement inventées, son existence passe en contrebande, Jean Cocteau ou Jean Desbordes aussi. Tout semble se déployer en ombres chinoises derrière un mince rideau, le mince rideau de la vie vécue… Ses hésitations entre garçons et filles, sa fascination assez héréditaire pour la déchéance (comme son père il finira à demi clochard, bon pour la fosse commune). On pourrait trouver cette façon de faire un peu datée, pas vraiment franche du collier de la sincérité, ce n'est qu'une forme de délicatesse. On pourrait aussi trouver que la transgression de Herbart danse sur du vieillot, qu'aujourd'hui elle n'est plus ce qu'elle fut jadis (en dehors des questions de différences d'âge aujourd'hui la transgression est passée du côté du dominant et Herbart n'était pas un dominant, tout du moins sociétalement). Avec nos yeux d'homme ordinaire du 21e siècle on pourrait dire beaucoup de choses sur Pierre Herbart, avec notre intuition de lecteur non dupé par le moderne finalement on ne dira pas grand chose, et en tous les cas pas grand chose de mal. Pourquoi ? Tout simplement parce que chez lui rien n'achoppe vraiment sur des questions d'air du temps, parce qu'il écrit svelte et sans graisse, parce que sa sympathie pour les déclassés, les échoués et les ensablés passe parfaitement la rampe. On ne dira pas grand-chose de mal et on dira par contre qu'un écrivain c'est souvent, un type qui sait ne pas trop ricaner et qui en tous les cas garde en lui un certain taux de candeur.
To be continued.