"Dans ma boîte mail, un message d’un certain Jujulafrite ayant pour objet Essai, accompagné d’une pièce jointe intitulée, elle aussi, Essai. J’ouvre le message, il s’agit de Jules, le fils de Yann. Si j’avais dû associer le pseudonyme à une personne, je crois que Jules serait arrivé en dernière position. Ce nom est à l’exact opposé de lui, introverti et timide. Jules a tout sauf la frite - on serait plus près de l’écrasé de pommes de terre. Mais n’en sommes-nous pas tous là ? À nous créer des avatars d’écran, des vies parallèles, virtuelles et flamboyantes, des images de ce que nous ne sommes pas et aimerions être ? Que fais-je d’autre, moi, sinon me rêver en Louis Garrel ? On dirait moi à son âge. Il ira loin, ce petit. Il ira se casser les dents sur des rognons sauce madère. »
"Rassurez vous, Boris, j'en suis persuadé, on va faire un bon film.." : cette phrase, qui revient dans Journal d'un scénario de Fabrice Caro, un peu comme une sorte de mantra, c'est celle que le dénommé Jean Chabloz, producteur de son état, ne cesse de répéter à Boris, depuis qu'il a lu le scénario de son scénario "Les servitudes silencieuses".
Et qu'importe si le projet de départ- film d'auteur en noir et blanc, sorte de réflexion largement intello et intimiste sur le couple avec les classieux Louis Garel et Mélanie Thierry en tête de gondole, prend de plus en plus du polomb dans l'aile pour se muer progressivement en comédie de potes extraterrestres (?) avec Kad Merrad et Christian Calvier, la sentence ne varie pas, Chabloz est sur que le bon film sera là, au bout du chemin..
Boris, quant à lui, angoissé chronique et qui manque terriblement de confiance en lui comme tout personnage d'un roman de Fabrice Caro, commence à se poser pas mal de question sur la viabilité du projet.
Mais comme il vient aussi de rencontrer l'amour en la personne d'Aurélie, jeune cinéphile tres interessé par le scénario de Boris, il fonce tête baissée et ne voit pas le mur arriver ...
Les cinéphiles- et les autres seront aux anges avec ce nouveau roman de Fabrice Caro.
Sa comédie douce amère sur la grande famille du cinéma est vue sous angle de l'absurde et du grinçant, pour le plus grand plaisir du lecteur.. On dévore, avec une jubilation croissante, le journal tenu par Boris de Septembre à Janvier, truffé de références cinématographiques souvent pointues et qui nous raconte tout des étapes de réécriture du scénario et de la dégringolade du héros !
Au fur et à mesure que Boris s’enfonce dans le mensonge, et s’adapte comme il peut aux aléas complètement absurdes du monde du cinéma, ce récit dont l' humour fait toujours autant mouche nous comble d'aise.
Boris est un personnage de loser comme on en voit tant chez Fabcaro et auquel on ne peut que s'attacher ; car ce personnage prisonnier des sables mouvants de la vie n'a ni le courage ni l'audace de dire " non ".
Pourtant, sa détermination inébranlable à briller dans le monde du septième art force l'admiration.
Truffé de punchlines jouissives- "Les garçons naissent dans les choux, les filles dans les roses, je suis né dans la capitulation"- ce "Journal d'un scénario" est le roman idéal pour les passionnés (ou pas) de cinéma, où règne en maître l'art de l'absurde.
Journal d'un scénario. Collection Sygne, Gallimard. Parution : 17-08-2023.