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On les prend tous les quatre

Publié le 25 septembre 2023 par Morduedetheatre @_MDT_
On les prend tous les quatre

Critique de L’Échange, de Paul Claudel, vu le 13 septembre 2023 au Théâtre de Poche-Montparnasse
Avec Pauline Belle, Mathilde Bisson, François Deblock et Wallerand Denormandie, mis en scène par Didier Long

Le Poche-Montparnasse, c’est un peu la tradition. J’aime y aller à la rentrée, parfois même en août, avant même que les autres spectacles n’aient commencé. J’aime ce petit-grand théâtre. J’y ai tant de souvenirs. La programmation de la rentrée est alléchante, mais le choix a été rapide : ce sera L’Échange, car la perspective d’y retrouver Mathilde Bisson et François Deblock m’enchante absolument. Et me voilà entrant de nouveau dans cette impasse, avec quand même un petit pincement au coeur en me disant que l’on ne verra plus jamais Philippe Tesson introduire les nouveaux spectacles de la saison.

L’Échange a quelque chose de simple et de terrible à la fois. Thomas Pollock, propose à Louis Laine d’acheter sa femme, Marthe. Marthe a pourtant tout quitté pour son mari. En devenant sa femme, elle a accepté de ne jamais regarder en arrière. Mais plus elle le regarde, plus Louis Laine semble vouloir s’enfuir. Si elle hésitait, peut-être… mais Marthe n’hésite pas. Son mariage est son armature. Louis Laine hésite. Il ne fait qu’hésiter. Il couche avec la femme de Thomas Pollock, la comédienne Letchy. Plus Marthe s’accroche, plus il s’éloigne. Le tas de billets est là. Le reste suivra.

Je suis très embêtée par cet article. Vraiment, je l’ai repoussé autant que possible, mais ma conscience me rattrape et il n’est plus possible d’attendre davantage. Pourquoi je suis embêtée ? Mais c’est tout simple. Je crois qu’au milieu de cette rentrée théâtrale particulièrement réussie (et j’en suis la première surprise – et ravie !), cet Échange est l’un des meilleurs spectacles que j’ai vus. Sauf que voilà : c’est une pièce que je n’aime pas, une pièce à laquelle je ne crois pas, une pièce qui normalement ne me touche pas. Je suis bien embêtée car j’ai beau tourner et retourner les choses en moi, je ne comprends pas comment ils ont réussi à m’attacher ainsi à cette histoire qui habituellement me laisse de marbre.

Ou plutôt, j’ai bien une petite idée, mais elle n’est pas des plus faciles à faire passer sur le papier – que voulez-vous, avec le temps, on deviendrait presque flemmards. J’ai été saisie dès les premières minutes. Et je crois que l’explication se trouve là-dedans. Pauline Belle m’a fascinée, moi qui d’habitude trouve le personnage de Marthe bien monolithique. Moi qui ne l’ai jamais compris. Cette fois-ci, je ne sais pas si je l’ai compris, mais je l’ai senti. J’ai senti ce mélange si particulier de douceur et de force qui émanent d’elle et qui trouvent leur origine dans cette foi inébranlable en ses valeurs, en le mariage, en Dieu. J’ai touché du doigt des sentiments qui me sont habituellement inaccessibles. Sa composition est sur le fil. Elle parvient même à rendre sa droiture inébranlable touchante. Jolie prouesse.

Voilà, je crois que je tiens ce qui m’a tant marquée dans ce spectacle. C’est que soudain, ce ne sont plus juste des concepts qui dialoguent sur une scène. Didier Long a pris une direction bien précise : il en a fait plus que des bouts d’humanité. Il en a fait de vrais humains. Tous ont glissé tant de vie dans ces personnage, qui d’habitude m’échappent, qu’ils en deviennent captivants. J’ai parlé longuement de Pauline Belle, car j’ai été complètement surprise d’être ainsi happée par ce personnage, mais tous sont merveilleux. Elle maîtrise à merveille la transparence quand les trois autres optent pour une certaine forme de dualité.

Retrouver Mathilde Bisson sur scène est un plaisir immense. Elle déploie une palette assez formidable. Sa Lechy est délicieuse. Elle dévore le public. Qui peut dire qu’il n’est pas tombé un peu sous le charme, ce soir-là ? Et pourtant derrière l’actrice qui joue l’actrice, derrière le plaisir évident de ce rôle qui vient pepser le tout, qui vient rompre le quatrième mur, elle parvient à maintenir une certaine ambivalence. Derrière la confiance absolue de celle qui contrôle la scène, elle laisse apparaître la femme qui, elle, peut-être, ne dévore pas tout. Une faille toute petite qui laisse apercevoir, brièvement, presque malgré elle, un reflet soudainement plus sombre dans ce jeu éblouissant.

François De Block est étonnant. Il a la vérité de la vie, et, déjà, quelque chose d’un peu évanescent. Il a quelque chose de dérangeant. Il est là tout en étant ailleurs. Il est partout où il n’est pas. Toute décision prise est déjà la mauvaise. Il est sans repère. Paumé dans sa vie, dépassé par la vie, perdu pour la vie. Il est désarmant. Wallerand Denormandie, enfin, l’homme de la vie pratique, a quelque chose du blues du businessman. Il parvient à rendre le manque palpable. Il a l’attitude de ce qu’il est, et le regard de tout ce qu’il n’a pas. Dans ses yeux semble se dessiner une telle langueur qu’elle efface tout le reste. Et qu’il a beau jouer sa partition, cette mélancolie, elle, semble crier son mal-être derrière chacune de paroles.

Claudel m’a toujours fait un peu peur, et devant ce spectacle je me demande bien pourquoi. Tout semble faire sens. Bravo.

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L’Échange – Théâtre de Poche-Montparnasse
75 Boulevard du Montparnasse 75006 Paris
A partir de 26,50 €
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On les prend tous les quatre
© Pascal Gely

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