Lubna Playoust, comédienne on l'a vu dans l'avant dernier Wes Anderson, The French Dispatchet récemment dans Simple comme Sylvain- est aussi et surtout réalisatrice, et elle nous livre ce mercredi en salles son premier long métrage documentaire "Chambre 999". Ce film est une reprise du concept de "Chambre 666" de Wim Wenders, un film qu'elle affectionne particulièrement.
Pour Lubna, le dispositif de Wim Wenders était une évidence à reprendre. Elle a cependant choisi de tourner en numérique et de ne pas limiter les intervenants dans le temps.
Son objectif était de créer un dialogue entre les cinéastes, sans trahir leur parole, et de faire se côtoyer les images de "Chambre 666" et de "Chambre 999".
Lors de notre rencontre avec Lubna Playoust au festival Lumière, la réalisatrice nous a fait part de son expérience lors de la réalisation du film et de ses réflexions sur le devenir du langage cinématographique.
Lubna Playhoust croit farouchement que les changements actuels ne sont pas nécessairement mauvais. Il est important, selon elle, de continuer à regarder ce qui a déjà été fait, de défendre les différents langages du cinéma et de transmettre l'histoire du cinéma aux jeunes générations.
Dans cet entretien, Lubna nous a parle de la genèse du projet, de ses rencontres avec les cinéastes et de ses réflexions sur l'avenir du cinéma.
On vous laisse découvrir les détails de cet entretien à la fois profond et salutaire :
ENTRETIEN AVEC LUBNA PLAYHOUST
Comment vous est venue cette idée de reprendre le concept d'un film de Wenders, certes pas le plus connu de ses films mais qui a ses fans dans le milieu des cinéphiles?
Oui, je ne sais plus vraiment comment j'ai découvert le film mais une chose est sure, il m'a beaucoup aidé dans mes années de formation en réalisation, c'était une sorte de livre ouvert que je feuilletais régulièrement pour piocher des choses sur la vision du cinéma par de grands réalisateurs . J’adore replonger dans ce Chambre 666, que je trouve prémonitoire, drôle, touchant et toujours pertinent.
Je suis une cinéaste émergente et toutes ces questions autour de la mort du cinéma, ses systèmes de financement et de diffusion m’habitent.D’autres versions ont existé mais le dispositif n’était pas aussi proche que celui de Wenders, et je me suis dit que s'il fallait revenir à ce film il fallait en conserver la nature même du dispositif. En 1982, il y avait un seul problème : la télé contre le cinéma. Aujourd’hui tout s’est démultiplié donc j’ai trouvé intéressant de pouvoir réinstaller ce dispositif génial et inviter des réalisateurs.
Comment est-ce que vous avez réussi à les inviter ?
On les a invités en amont ou en les rencontrant à Cannes.
Je n'ai évidemment pas l'aura et la notoriété d'un Wim Wenders donc forcément, j’avais un doute quant à leur participation, mais j’ai été très surprise, même un peu embêtée dans un sens, parce que beaucoup de personnalités ont adhéré.
Là où Wim Wenders avait seize réalisateurs, aujourd’hui, on en a trente, parmi lesquels : Wim Wenders lui-même, James Gray, Rebecca Zlotowski, Claire Denis, Olivier Assayas, Nadav Lapid, Asghar Farhadi, Alice Rohrwacher…
J’avais un peu l’impression d’être une enfant dans un parc d’attraction, malgré tout le respect et l'admiration que je ressens pour ces grands noms du cinéma
Quels échanges avez-vous eus avec Wim Wenders ?
Je lui ai écrit une lettre pour lui demander son accord pour reprendre son dispositif. Je lui ai raconté comment j’avais découvert enfant, à la télé, son film Paris Texas. C’est le film qui m’a fait comprendre que le cinéma est une fenêtre sur le monde. Je lui ai aussi raconté qu’en tant que spectatrice, je n’avais eu aucun scrupule à passer des salles de cinéma à la télévision.
Que la télévision a toujours représenté pour moi une autre possibilité de découvrir des films. En tant que réalisatrice, je lui ai aussi fait part de mes questionnements qui finalement rejoignaient ceux qu’il pouvait avoir en 1982. Et il m’a répondu qu’il était d’accord pour que je fasse ce film.
Après ça, je ne l’ai pas consulté, et lui n’a pas cherché à me dicter quoique ce soit. C’est, je crois, quelqu’un de très sensible à l’idée de transmission, et lui-même est dans ce souci d’apprendre du travail des autres. On s’est rencontrés à Cannes quand il est venu dans la chambre 999 pour répondre à son tour à la question.
Et lorsqu'il est venu tourner votre film, c'était quoi votre sentiment?
Je guettais ses réactions. Je voyais que c’était comme s’il jouait aux jeux des sept différences. L’emplacement de la caméra, le cadre, la durée, la question…
En découvrant la chambre, il m’a dit : « Tiens, vous avez caché la caméra ! » - elle était planquée dans un renfoncement de la pièce. A son époque, les caméras étaient trop imposantes pour être dissimulées.
Il était évident pour vous de reprendre le même dispositif que Wenders ?
Oui, bien sur comme je vous l'ai dit au début.
La seule différence, au contraire de Wenders c'était que j'allais tourner en numérique et ne pas limiter les intervenants dans le temps comme en 1982 ou c'était forcément 12 minutes, le temps de la pellicule.
Sans trahir la parole, le montage donne naissance à un dialogue entre les cinéastes. Ma volonté est de mettre en parallèle les deux films, imaginant pouvoir coller les images côte à côte, en un dispositif créateur.
Je voulais que les images de Chambre 666 et Chambre 999 puissent être mises côte à côte, qu’on puisse les comparer et voir ce qui s’est passé en quarante ans. C’est presque un dispositif artistique. Il y a ce cadre commun met tout le monde au même niveau, qui favorise l’écoute de chacun, quelle que soit son expérience ou sa reconnaissance.
Votre avis sur le devenir du langage cinématographique ?
Je crois vraiment qu’en 1982, il y avait un pessimisme assumé. C’était une façon d’éveiller les esprits. Aujourd’hui, chacun se définit comme pessimiste ou optimiste selon sa manière d’être, de se sentir animé par cette problématique. Ce qui m’a semblé différent par rapport à 1982, c’est cette idée d’accepter que oui, quelque chose change.
Il ne faut pas avoir peur de ce changement, il n’est pas nécessairement mauvais. Ce qui est certain, c’est qu’il faut continuer de pouvoir regarder ce qui a déjà été fait, défendre des langages du cinéma aussi variés soient-ils, et absolument transmettre et initier les jeunes à l’histoire du cinéma.
La question centrale du film est : "Le cinéma est-il un langage en train de se perdre, un art qui va mourir ?"
Aujourd'hui, les enjeux du cinéma sont nombreux : les modes de consommation ont évolué avec le streaming et les plateformes numériques, les moyens d'expression se sont diversifiés et les changements technologiques et sociologiques ont profondément modifié le paysage cinématographique. Quels sont donc les nouveaux usages du cinéma et quel impact ont-ils sur cet art ? Ce que j'aime avec le résultat fini de mon film, c'est de voir que tout le monde s'est prété au jeu pour répondre à cette quesiton à leur manière avec leur vécu et leur personnalité
Et parmi ces jeunes cinéastes qui se sont prétés aux jeux , lesquel.les de ceux qui sont venus dans cette chambre 999 vous ont le plus marqué par leurs propos ?
La réflexion de la cinéaste Ayo Akingbade donne une piste que je juge très intéressante, en tenant ce discours qui fait du bien tant il contrecarre l’idée prémâchée que tout aurait été déjà raconté. Pour elle, il y a encore tout un tas de récits inexplorés, notamment du côté du continent africain. Ayo , jeune cinéaste qui vient plutot de l'art contemporain et qui a réalisé une quinzaine de courts métrage mais jamais de long, parle de son envie de filmer des récits encore inexplorés, notamment du côté du continent africain. Son discours va contre cette idée prémâchée que tout aurait déjà été raconté.
J’ai entendu l’artiste Christian Boltanski reprendre cette phrase de Tolstoï : « Si tu veux parler de l’universel, parle de ton village. »
Je crois qu’on a tous un village, et que c’est en en parlant qu’on peut appréhender ce qui traverse le monde. Le discours d’Ayo me touche, je le ressens comme un appel, un mouvement. C’est, tout à coup, comme si on venait de découvrir le cinéma.
J'aime bien aussi quand Rebecca Zlotowski pulvérise l’idée que le cinéma serait en état de torpeur. Elle parle même d’un réveil post-MeToo : pour elle les films récents n’ont jamais autant travaillé la question du corps, réinvestie par la pensée queer et féministe.
Pourquoi avoir choisi comme titre Chambre 999 ?
Comment trouver un titre aussi génial que celui de Wim Wenders ! La chambre du diable. 999, c’est évidemment le 666 à l’envers.
Mais en numérologie c’est un nombre symbolique important qui clôt un cycle et ouvre vers un renouveau.
Il me semblait parfait par rapport à notre époque.
Merci à l'institut Lumière, new story et Jean Luc Mege, festival Lumière pour les photos
Un film à voir en salles des ce mercredi 25 octobre 2023 distribué par New Story
Chambre 999 France, 2023, 1h25, couleurs, format 1.85
Réalisation Lubna Playoust
Avec Wim Wenders, Audrey Diwan, David Cronenberg, Joachim Trier, Shannon Murphy, James Gray, Arnaud Desplechin, Lynne Ramsay, Asghar Farhadi, Nadav Lapid, Claire Denis, Davy Chou, Baz Luhrmann, Alice Winocour, Ayo Akingbade, Olivier Assayas, Paolo Sorrentino, Agnès Jaoui, Kirill Serebrennikov, Cristian Mungiu, Kleber Mendonça Filho, Albert Serra, Monia Chokri, Ninja Thyberg, Pietro Marcello, Rebecca Zlotowski, Ali Cherri, Ruben Östlund, Clément Cogitore, Alice Rohrwacher..