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La santé mentale au coeur de la prochaine sérié d'émissions littéraires

Par Gangoueus @lareus

J'ai vécu le week-end dernier une des plus belles séries d'émissions au studio de Sud Plateau TV. Je me suis secrètement engagé en sortant du plateau à vous raconter ce moment heureux et particulièrement riche par la qualité des intervenants et la puissance des oeuvres littéraires proposées.

La santé mentale au coeur de la prochaine sérié d'émissions littéraires
Il est important que j'explique quelque chose. Généralement, au moment où je programme un auteur, je n'ai pas forcément lu son livre. J'essaie d'envisager une planification de plusieurs émissions littéraires deux mois avant la date de la série d'enregistrements. Je découvre parfois les oeuvres en même temps que les autres lecteurs qui interviendront. Il y a donc une part de risque. On peut tomber sur de mauvais textes. Et ce n'est pas grave, parce qu'il nous faudra expliquer en quoi le travail de l'auteur est bancal. La préparation d'une série d'émissions littéraires n'est pas simple. Il y a plusieurs paramètres dont il faut tenir compte pour une telle programmation :
  • L'agenda des  auteurs, par exemple, qui doit matcher avec mon timing et celui du réalisateur.
  • La communication avec l'éditeur, très importante, pour la mise à disposition des ouvrages.
  • La recherche des lecteurs disponibles et l'affectation des ouvrages.
  • Le cadrage les préenregistrements faisant intervenir le réalisateur.
  • L'avancement dans mes lectures et la préparation de l'animation d'émissions.

Samedi dernier, j'avais quatre auteurs sur la sellette. Sept heures au studio. Un vrai régal. En amont de  cette session du 21 octobre, j'ai découvert un lien en découvrant progressivement les quatre oeuvres littéraires : la question épineuse de la santé mentale. Je n'avais absolument pas calculé la chose. Je m'en suis rendu compte au fil de mes lectures. Je me suis encore mieux régalé du fait de la singularité de l'angle d'attaque de ces auteurs. En plus, quand tu mesures la deepitude des textes, tu enjailles seulement.

Maladie mentale ?

Prenons le roman Djinns de Seynabou Sonko que j'ai déjà chroniqué ici. Je pourrai vous parler de la joie de l'écrivaine chanteuse sur le plateau qui aborde de manière si originale la question de la schizophrénie par des images saisissantes et de ses manifestations qui parleront à l'esprit le plus affadi. Il y a sa forme classique que subit Jimmy, un jeune issu d'un quartier populaire, enfermé dans un hôpital psychiatrique pour n'avoir pas bien tenu la bride à la multitude de djinns qui lui font la causette. Une question importante du roman sera celle de la réponse à apporter à sa maladie. Néanmoins, il y a une forme plus insidieuse de ce mal, une forme plus répandue, un trouble identitaire, conséquence d'un racisme direct ou systémique que Penda le personnage centrale de Seynabou Sonko encaisse. Sa double identité que sa carnation lui impose et qu'elle porte comme une schizophrène. Faut-il choisir entre l'ici et l'ailleurs ? Entre la voix d'une culture française dans laquelle ce personnage a baigné ou un autre monde auquel renvoie un épiderme trop noir ?
Balla, le narrateur dans le roman La prophétie de Dali, est littéralement rangé dans des classes de perfectionnement du système éducatif français. Ces classes étaient accueillaient jusqu'en 2005 des élèves "arriérés" avec toutes les pincettes utilisables pour le qualificatif, déficients sur le plan mental. Pour quelle raison ? A l'âge de six ans, revenant du coeur du pays manding, il pose un acte jugé déplacé lors de son premier repas à la cantine en  enfournant à la main un plat de fayots après avoir fait entendre une sonore action de grâces en bambara devant l'assemblée des élèves médusés. Ce qui devrait relever de l'anecdote et de la maladresse culturelle, il va le payer, le purger pendant plusieurs années dans ces classes de perf. C'est le thème de ce roman. Comment se fondre dans un rôle qu'on vous assigne mais qui ne correspond pas à votre moi intérieur ?
Que dire alors des dissociations successives du personnage de petite taille de Nadia Yala Kisukidi dans son roman La dissociation
"Au coeur des battus et des bagarres, je fis ainsi une étrange expérience, celle de la dissociation. Je n'étais pas une mais deux. Il y avait ce corps, qui ne réagissait pas toujours, et mon esprit - alerte, puissant. Quand ma carcasse s'étalait par terre, rouée de coups, mon esprit se redressait triomphant. Il lançait des injures aux combattants, poursuivait les assaillants, les plaquait au sol. Dans ma tête, je gagnais tous les combats."  (La dissociation, p. 19, éd. Seuil).

Ce personnage est l'intersection de plusieurs maux : la race, l'handicap physique (on peut le supposer comme tel). Il développe une pathologie ou une stratégie de survie singulière. C'est selon la lecture du lecteur. Ces trois romans ont été bâtis par des écrivains ayant essentiellement grandi et vécu en France et d'ascendance africaine.


Le psychanalyste de Brazzaville sort un peu de ce cadre franco-français. Si les trois précédents romans s'expriment sur l'intériorité propre des personnages, Dibakana Mankessi analyse quant à lui une époque bien différente, sur un tout autre théâtre d'actions  : Brazzaville, les années 60 au cœur de la guerre froide et des indépendances africaines. Il analyse, il "psychalanyse" certaines figures qui ont façonné cette période de l'histoire de ce pays. Il décode la société congolaise. Toujours en opposition aux précédents romans, le moment de l'histoire dans lequel il plonge est sanglant et le roman, par le biais d'un psychanalyste, s'efforce de comprendre l'essence de cette violence. On n'impute donc pas ces faits au racisme, même pas à sa variante locale le tribalisme ou l'ethnicisme, mais plutôt à la connaissance du contexte congolais des années 60, aux intrigues de palais et à la folie de la révolution marxiste avec ses crimes et les non-dits d'une forme d'autodétermination. Que se serait-il passé si Robespierre avait eu l'opportunité d'échanger avec un psy questionnant ses motivations, ses errements, ses doutes? Cela étant dit, il y a un dénominateur commun à tous ces romans : le diagnostic et le traitement de la folie (ou de la non folie).

Comment s'extraire ?

Avec La prophétie de Dali, Balla Fofana décrit un personnage caméléon qui se construit dans sa marginalisation. Il mue dans cette mélasse. Il s'ancre dans une posture qui lui permet d'observer, de développer sa sensibilité, de donner le change au psychologue, à l'orthophoniste, aux enseignants, à ses proches qui prennent le temps de se pencher sur son cas. Si Balla subit une facette du racisme systémique, ce dernier n'est pourtant pas à l'origine de tous ses malheurs. Le narrateur rappelle les paroles sclérosantes et cinglantes prononcé par un fou à son endroit, du côté de Bamako. A cela s'agrège, l'ostracisation de sa mère à laquelle on prédit toutes les difficultés dans sa communauté pour avoir pris les rênes de sa destinée sans l'appui d'un homme. Malédiction qui semble prendre prise sur Balla jusqu'à ce qu'une griotte, Dali, annonce autre chose, propose un autre son de cloche, prophétise un chemin beaucoup plus glorieux à ce jeune homme. Ici, le constat et la contemplation des douleurs sont remplacés par la guerre des mots pour déconstruire les mauvaises graines de parole semées. L'écrivain Balla Fofana décrit le contexte d'un parcours migratoire, la marginalisation au sein d'une communauté suite au retour en France, le sentiment d'abandon d'une fratrie par un père démissionnaire, un hommage à la femme vaillante qu'est Wassa...
Par la dissociation, le corps agressé - du fait de sa forme et sa couleur (la double peine, cas parfait d'une intersection) - de l'héroïne narratrice est délaissé par cette dernière. La fuite donne lieu à l'exploration d'espaces imaginaires. Pour reconstituer des mondes perdus, des violences passées, pour élaborer, transporter des Idées. Autant, Balla est violemment marginalisé mais pourtant très concret dans sa démarche de reconstruction, autant l'abandon du corps noir est réalisé avec un enchantement douillet. Il est fécond par les nouvelles possibilités. Mais je ne peux m'empêcher de penser à la stratégie d'évitement qui se construit dans ce roman. Et je pense naturellement au texte Between the world and Me de l'américain Ta-Néhisi Coates qui axe son propos sur la protection, le refus de la violence sur le corps noir. Certes  dans un contexte américain cru dans l'expression de sa violence et de ses peurs. Balla Fofana se rapproche de ce point de vue de l'Américain, avec toutefois la singularité de l'absence du père. Nous sommes là confrontés à deux approches très différentes, conséquences pourtant d'une même oppression.  L'ostracisme subi par le personnage de Nadia Yala Kisukidi pourrait être le fait de sa taille dans l'espace public. Mais en famille, l'intrusion d'un corps étranger, un corps d'Afrique est problématique. Il a pris la femme. La petite taille est-elle une conséquence de cette infraction, de cette intrusion ? La fuite devient donc un moyen de survivre.

Problème français, solutions africaines

Il est question de thérapie avec Djinns. Il est question de contestation du modèle d'accompagnement des structures psychiatriques. Sauver Jimmy le personnage qui dialogue avec une quinzaine de génies passe par une plante traditionnelle et une alternative au traitement classique des hôpitaux psychiatriques.
"Elle a commencé par énumérer les symptômes : hallucinations visuelles et auditives, amnésie, discours incohérent, repli sur soi, tout porte à croire que Jimmy est atteint d'une schizophrénie. J'ai dégluti [...] Mami a dit à Madame la psy que l'esprit qu'elle appelait schizophrène était en réalité un djinn pas content, pas content du tout, qu'elle s'occupait de Jimmy depuis belle lurette, et qu'elle allait recourir à une méthode imparable pour chasser son djinn." (p.14, Djinns)
Cet extrait met en exergue ces deux postures autour du patient. Mami Pirate navigue elle-même entre une phytothérapie s'axant sur des plantes identifiées au Gabon en Afrique centrale et les croyances autour des djinns. "Baro ! Baro ! Baro!" est une autre forme de confrontation ou, pour être plus précis, d'observation entre le jeune Balla et le psychologue qui le suit. C'est un échange étonnant où Balla, "débile supposé", tourne en dérision son psychologue. La critique est donc tranchante, Balla étant maintenu en perfs malgré ce suivi.  
Le psychanalyste de Brazzaville est quant à lui surveillé. Il détient la parole des grands. Qui en a les clefs, dans un contexte de guerre froide et de batailles rangées, a eu une longueur d'avance significative. La parole confessée vaut son pesant d'or; 

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