Pour tout fan des Beatles, qu’il soit occasionnel ou inconditionnel, la sortie jeudi de la première “nouvelle” chanson des Beatles depuis près de 30 ans a été un cadeau doux-amer, nous offrant le dernier nouveau morceau qui mettra en scène les Fab Four en tant que groupe. La chanson “Now and Then” doit son existence à trois tentatives d’enregistrement distinctes s’étalant sur près de cinquante ans : une bande démo de 1977 enregistrée par John Lennon au Dakota Hotel ; une tentative de 1995 par les trois Beatles survivants qui s’est terminée après seulement deux jours ; et un effort relancé par Paul McCartney et Ringo Starr pour terminer la chanson avec l’aide de l’intelligence artificielle. C’est un véritable miracle d’entendre la voix de John Lennon 43 ans après son assassinat, et les talents de guitariste de George Harrison 22 ans après sa mort.
Mais ne vous y trompez pas : il ne s’agit pas d’une chanson des Beatles.
Cette affirmation n’a pas pour but de minimiser la qualité de la chanson, ni de laisser entendre que seuls les titres les plus artistiques de leur vaste répertoire devraient être considérés comme de “vraies chansons des Beatles”. Après tout, l’un des aspects du charme durable du groupe réside dans sa capacité à inclure des chansons bizarres et peu mémorables aux côtés de ses chansons les plus appréciées. Il n’y a pas de “Rubber Soul” sans “What Goes On”, ni de “White Album” sans “Wild Honey Pie”. Alors, qu’est-ce qui cloche dans “Now and Then” ? Tout d’abord, la chanson manque de la collaboration en temps réel qui définissait le style des Beatles, malgré la tentative délibérée d’inclure les quatre membres sur le morceau. C’est McCartney qui semble avoir été le fer de lance de l’achèvement de cette chanson. Il a été la principale voix à réclamer son achèvement depuis 2007, même après que Harrison l’ait qualifiée de “f**king rubbish”. McCartney est crédité non seulement sur plusieurs instruments, mais aussi en tant que producteur du morceau et l’un des compositeurs de l’arrangement des cordes.
D’un point de vue sonore, la chanson ressemble beaucoup plus aux œuvres récentes de Paul McCartney qu’à d’autres morceaux du répertoire des Beatles. Le rythme enjoué de la chanson, guidé par un piano lourd et une guitare acoustique, conviendrait beaucoup mieux à l’album “Egypt Station” de McCartney en 2018 qu’à n’importe quel album des Beatles. Les changements apportés par McCartney à la chanson sont plus évidents lorsque l’on écoute la démo originale (bien qu’Universal Music Group interdise désormais les droits d’auteur sur les vidéos YouTube de la démo, alors bonne chance pour la trouver). La nouvelle version est plus rapide, alors que l’originale ressemble davantage à une ballade de John Lennon de la dernière période, dans le style de “Woman” ou “Grow Old With Me”. La nouvelle version supprime même le pont de la démo, la section la plus intime de la chanson et sans doute la plus proche de Lennon avec son étrange changement de tonalité de la mineur à fa dièse mineur. L’absence du pont peut être attribuée aux paroles à moitié formées et à la faiblesse du chant de Lennon sur la bande démo, mais sa suppression laisse tout de même un trou notable dans le produit final. Il est intéressant de noter qu’un tout nouveau pont est ajouté à la place, avec une section tirée de “Because” d’Abbey Road injectée vers la fin.
Comparez ce nouvel album à “Free as a Bird” (1995) et “Real Love” (1996), issus du projet “Anthology” des Beatles. Comme “Now and Then”, ces deux chansons proviennent de bandes démo enregistrées par Lennon et données aux trois Beatles survivants comme moyen de réunir le groupe une dernière fois. Contrairement à “Now and Then”, cependant, les versions studio de ces chansons sont plus fidèles aux démos originales et au son des Beatles. Ni “Free as a Bird” ni “Real Love” n’altèrent la structure des compositions originales de Lennon, les seuls changements réels apportés aux chansons étant la finition de quelques paroles incomplètes dans le refrain de “Free as a Bird”. (Paul dira plus tard que l’enregistrement de “Free as a Bird” a été plus satisfaisant pour les trois Beatles restants que celui de “Real Love”, car ils avaient l’impression de tous participer à l’élaboration de la chanson). Cette distinction est importante, car malgré l’absence de Lennon aux sessions de l'”Anthology”, ses bandes démos étaient sa voix. La seule influence qu’il pouvait exercer sur les chansons finales était celle de ses paroles et de ses mélodies, et les autres Beatles ont respecté sa voix en limitant leur contribution à l’instrumentation des chansons et en fournissant les quelques paroles inachevées que Lennon avait laissées pour plus tard. Ainsi, “Free as a Bird” et “Real Love” ressemblent bien plus aux Beatles en conversation qu’au produit final de “Now and Then”, qui souffre non seulement de l’absence de Lennon, mais aussi de celle de Harrison, à l’exception de quelques parties de guitare et d’harmonies d’arrière-plan.
En fin de compte, “Now and Then” de 2023 n’est pas une chanson des Beatles, mais plutôt une chanson hommage aux Beatles. C’est un bel effort pour réunir John, Paul, George et Ringo sur un dernier morceau, rendant ainsi hommage à un moment fugace où quatre garçons ont transformé le monde de la musique d’une manière qui se répercute encore aujourd’hui. Il ne fait aucun doute que McCartney et Starr ont composé cette chanson en signe d’amour pour leurs anciens compagnons de groupe et amis de toujours, et le documentaire qui retrace l’histoire de cette chanson me fait monter une larme à l’œil. Mais sans Lennon et Harrison pour apporter leur contribution artistique au produit final, “Now and Then” ne pourra jamais vraiment être une chanson des Beatles, même si cela me ferait plaisir d’avoir un morceau de plus à attribuer à mon groupe préféré.
Cette chanson devrait plutôt être considérée comme une occasion pour les Beatles restants de dire au revoir à ceux qui sont partis. Comme “Here Today” de McCartney et “All Those Years Ago” de Harrison au lendemain de l’assassinat de Lennon. Ou “Never Without You” de Starr et “Friends to Go” de McCartney après la mort de Harrison. Ou encore “When We Was Fab”, l’hommage nostalgique de Harrison à son époque dans le groupe, qui reste l’une des plus grandes recréations du style des Beatles dans l’histoire de la musique. En tant que dernier morceau réunissant tous les Fab Four, “Now and Then” donne à McCartney et Starr – et au reste d’entre nous – l’occasion de dire un dernier adieu au groupe qui nous a tous inspirés.
Écoutez l’intégralité de la chanson ci-dessous, via YouTube :