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Dix ans de cuisine en un repas

Par Eric Bernardin

Et j'ai servi le même vin qu'à l'époque, si ce  n'est qu'il a quatre ans de plus. C'est un Champagne demi-sec "Elixir Dix Vins" de Bertrand-Delespierre, composé à 90 % de chardonnay, les 10 % restant provenant des pinots noir et meunier. C'est une base 2006, complété par des vins plus anciens (dix au total, d'où le nom). Le tout a été élevé dix ans sur lattes avant d'être dégorgé en 2017. 

La robe est d'un or d'une intensité assez rare  pour un champagne, avec des bulles plutôt discrètes. Le nez est fin et complexe sur le citron confit, les fruits secs, la brioche chaude et le sous-bois autonal. La bouche est incisive, éclatante de fraîcheur, tout en offrant une matière mûre, pleine, génréreuse, à l'aromatique confite contrebalancée par des milliers de micro-bulles frémissantes. La finale monte de deux crans dans l'expressivité et la fraîcheur, sur les agrume confits, la viennoiserie et la crème catalane, avec une légère sucrosité  compensée par un trait acidulé. On imagine un dosage brut à 10 g / l. Il y en a en fait 42 g /l !!! 

L'accord est encore plus beau qu'il y a 4 ans, car le sucre est beaucoup plus discret qu'à l'époque. 

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Puis nous poursuivons avec une autre entrée servie à Saint-Yrieix (31 décembre 2014) : des huîtres en coquille croustillante de sarrasin, purée d'échalote et sarrasin/noisettes grillé(e)s au bacon. Par rapport à la recette originale, j'ai ajouté des salicornes fraîches et du cédrat confit, histoire de m'ajuster au vin qui va être servi. Les huîtres viennent de Marennes-Oléron et sont d'une taille entre 1 et 000. Elles étaient bien charnues et iodées à souhait. 

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Pour le coup, j'ai changé totalement de vin, puisqu'en 2014, c'était un champagne. Je n'allais pas servi deux champagnes de suite, même si j'adore ça ! Je me suis donc "rabattu "sur un Muscadet Sèvre et Maine "Vieille vigne de 1914 " 2017 du Clos les Montys

La robe est or pâle, brillante. Le nez est plutôt discret, sur le foin coupé, les fruits blancs mûrs, la noisette fraîche. La bouche est ample, pure, à la fois tendue et enveloppante, avec une fraîcheur diffuse mais intense. La matière est tout aussi paradoxale : on sent du fond et de la densité, et en même temps, elle reste aérienne et caressante. En finale, le vin gagne en puissance et intensité, avec un long prolongement sur les notes salines / minérales.

L'accord était parfait, même si moins spectaculaire que celui avec le champagne, plus démonstratif. 

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Cette variation autour du champignon de Paris pourrait être qualfié de plat signature. Je crois que presque tous mes amis ont eu l'occasion de  goûter celui-ci. Je n'ai quasiment rien changé à la recette, si ce n'est le contenant – l'assiette à risotto est utilisée pour le plat suivant – et l'ajout de sarrasin japonais soufflé à la place du kasha. Même si cela fait la quatrième fois que je le mange, je suis toujours émerveillé par ce siphon de champignon d'une douceur et d'une délicatesse irréelles. Même si je me sers de moins en moins souvent de cet appareil, il faut avouer qu'il est parfois inégalable !

Autre innovation : j'avais servi  à côté un "shot" de bouillon de champignon parfumé aux bardes de Saint-Jacques (il y avait dans le bol de la noix fumée au bois de cerisier et cuite à 47°C).

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Le vin qui l'accompagne est un Chablis Montmains 2010 du domaine Pattes Loup.La robe est d'un or intense, lumineux. Le nez est très expressif, sur la pomme rôtie au beurre, la noisette grillée et une légère touche de tourbe fumée. La bouche est riche, impactante, déployant une matière mûre à la chair moelleuse, sensuelle, tout en présentant une grande fraîcheur grâce à une fine acidité tranchante renforcée par un filet de gaz carbonique. La finale est plus chablisienne, avec une mâche bienc crayeuse égayée par les fruits blancs rôtis et la noisette, avec une persistance sur le citron confit et les notes grillées. 

Là encore, au risque de me répéter, très bel accord; 

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Le faux risotto au fenouil est une autre de mes obsessions, avec de multiples versions. Par rapport à la recette n°3, j'ai ajouté encore plus de complexité en mêlant deux cuissons différentes de fenouil : en plus du al dente,  j'ai également fait cuire longuement 1/3 des mes "grains de fenouil" longuement au beurre jusqu'à ce qu'ils commencent à caraméliser, rendant l'ensemble beaucoup plus gourmand (merci Laurent Petit !). Par ailleurs, le crumble est à base de chapelure de maîs et non de farine, la rendant plus goûteuse et croustillante. Clairement la version la plus aboutie !

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Pour lui tenir compagnie, un Palette 2006 de Château Simone. Sa robe est encore plus dorée et concentrée que le Chablis. Le nez  est tout aussi expressif, mais plus profond et complexe :  fenouil, miel, amande toastée, légère touche résineuse et fumée, et plein, plein d'autres choses. On passerait des heures à le humer. La bouche est élancée, tendue comme un arc, délivrant une matière concentrée, séveuse, fougueuse, à l'aromatique d'une rare intensité – mais d'une classe folle –  reprenant toute la palette complexe perçue au nez. La finale prolonge la tension de la bouche avec encore plus d'énergie et de panache. Bu seul, c'est déjà grand. Avec le "risotto", on atteint le sublime. 

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Ce cigare, je l'avais fait pour les 30 ans de l'ami Adrien lors d'un repas épique à Reims. A l'intérieur de celui-ci, il y a un tartare de paleron maturé fumé au cigare et une brunoise de champignons des bois La cendre est à base de farine de sarrasin et de poudre de cèpes (teintée au charbon végétal). En dessous, de la queue de boeuf mijotée vin et jus de cassis. Par rapport aux plats précédents, on est sur quelque chose de plus austère, presque sérieux. Mais ça correspond bien à mon dessein de mettre le fruit du  vin en valeur. En celà, c'est très réussi !

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La robe est grenat bien sombre, sans signe d'évolution malgré les 17 ans d'âge.  Le nez est fin, frais, sur le cassis, la mûre, avec juste ce qu'il faut de menthol; de cèdre et de cigare, arrivant par petites touches successives. La bouche est d'une jeunesse impressionnante, déroulant une matière dense et veloutée sans rien qui ne dépasse (le carafage de 5 heures lui a fait du bien à ce sujef, avec un fruit d'une fraîcheur vivifiante – on a l'impression de croquer dans la baie de cassis, et une énergie, un allant que rien ne semble pouvoir arrêter. Ce qui fait que la finale n'est pas une finale, mais une simple continuation, avec toute fois un peu peu de cendre froide et de menthol.  

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La version originelle de ce plat a été servie à la "bande" en 2017 pour mon co-anniversaire français. La première recette utilisait du pigeon d'élevage. Ici, c'est du sauvage (palombe), non vraiment par goût, mais pour rentabiliser un chronofresh : comme ça ne me coûtait pas plus cher de les joindre à mes cuisses de lièvre de la recette suivante, et que leur prix n'excédait pas celui d'un pigeon classique, je me suis dit "pourquoi pas ?". Je ne regrette pas, car en les faisaint cuire à basse tempétature, on a une chair très tendre. Et celle-ci n'a pas un goût trop giboyeux. Ça reste très fin. Les cuisses ont simplement confit dans la graisse de canard (peut-être un peu trop...). J'ai lancé la cuisson en début de repas, car je venais de m'apercevoir que je les avais zappées... Pour le reste de la recette, c'est du copié/collé.

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Recette quasi-identique, vin quasi-identique : à la place d'un trousseau de Labet, c'est un trousseau "Les Gauthières" 2016 de Pignier. Comme son prédécesseur, il y avait pas mal de gaz carbonique au départ. Il a été carafé, bien secoué, puis remis en bouteille. 

La robe est rubis tranlucide avec des reflets tuilés. Le nez est délicat, sur le pot pourri floral, la griotte et une touche fumée / lardée. La bouche est très fine, fraîche, digeste, avec une matière aérienne, à peine liquide, dont le relief est assuré par une aromatique acidulée. La finale est à peine plus dense, mêlant le poivre, la fumée et la griotte, prolongée par les épices et les notes automnales. 

Sans surprise, très bel accord entre le vin et le plat. 

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Nous passons à la recette inédite, et pas que pour les convives. J'ai cherché assez longuement sur Google : je n'ai trouvé aucune recette mariant le lièvre et le homard. Oui, j'ai osé, et je recommencerai, car ce terre/mer m'a convaincu. Quelques convives ont trouvé que le lièvre faisait trop cru, En fait, il était "rosé", puisqu'il a cuit une heure à 54°C.  Mais je retiens la remarque : la prochaine fois, je le passerai sous le grill ou le poêlerai rapidement (en espérant que les chairs des deux bébêtes ne se sépareront pas). Pour le reste, je ne change rien ;-)  

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Cela m'a coûté cher d'accompagner ce plat, puisque j'ai ouvert pas moins de 4 bouteilles avant de trouver la bonne, dont un Barolo et un Gevrey Chambertin de Dugat-Py. Soit trop évolué, trop dur, trop bizarre, et même bouchonné. Dès que j'ai senti, puis goûté ce Bierzo Mencia Ladrón 2017 de Casa Rojo, je me suis dit que je tenais la bonne ! 

La robe est grenat sombre translucide. Le nez est gourmand, sur la cerise noire, la mûre, avec une touche de violette et de poivre. La bouche est ronde, très ample, déployant une matière veloutée / pulpeuse pleine de fraîcheur, avec un fruit expressif et gourmand, mêlant la cerise aux notes florales. L'équilibre est parfait, sans être ch... La finale poursuit dans le même registre, avec encore plus de fruit et de fraîcheur. C'est très très bon ! 

Est-ce le vin idéal pour ce plat ? Je ne suis pas sûr, mais il apportait de la gaité à un plat qui en avait besoin, et il était nettement mieux que les 4 autres ! 

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Mes amis ayant adoré l'année dernière le millefeuille de céleri à la truffe et au comté, j'ai décidé de le resservir en guise de fromage ... en supprimant la truffe, car ce n'est pas la bonne période, et en la remplaçant par de la morille. Sinon, c'est tout pareil ! 

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Il est évidemment accompagné d'un vin jaune, le Château-Chalon 2010 du Domaine Courbet. Sa robe est jaune, forcément. Un peu dorée aussi. Le nez est fin et intense, sur le fénugrec, la croûte de vieux comté,  la pomme séchée, le foin... La bouche allie tension et ampleur, avec une fine acidité qui vous happe dès l'attaque pour ne plus vous lâcher, et une matière sphérique, aérienne, d'une grande douceur tactile, et en même temps, d'une puissance aromatique à la limite de la violence sur ces notes oxydatives (ménagées) qu'on adore ou déteste. La finale multiplie par deux ou trois ces sensations, avec une acidité qui se renforce et se densifie, vous vrillant presque le palais (de bonheur) avant d'exploser  sur des notes de noix grillée / caramélisée, de curry  et de liqueur au café. Irrésistible ou cauchemardesque ;-)

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 Nous avons bénéficié d'un temps de pause entre le fromage et le dessert, car je me suis rendu compte que je n'avais pas mis le vin qui l'accompagnait au frais. Philippe nous alors rappelé qu'il avait amené un vin à déguster, conséillé par un caviste italien près du Lac Majeur (le blanc préféré de son magasin). C'est un Dut'un 2020 de Vie di Romans (IGP Venezia Giulia, assemblage de 50 %  Chardonnay et  50 % Sauvignon). La robe est or clair, brillante. Le  nez est très fin mais complexe, profond, limite envoûtant, sur les fruits blancs et jaunes, les agrumes, la mangue, la cire d'abeille, le beurre, la paille... La bouche est très ample, enveloppante, déployant une matière aérienne d'une présence impressionnante, avec un mélange de puissance et de douceur rarement rencontré (et pas tout clivant contrairement au vin précédent). L'équilibre est magistral, ai-je dit au moment de le déguster. La finale intense et séveuse, beaucoup plus épicée et minérale prolonge cet antagonisme étourdissant. Un sacré vin (et je ne suis pas le seul à le penser lorsqu'on lit les critiques à son sujet). 

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J'avais servi ce "nuage vert lors de mon anniversaire français de 2021, le seul en l'absence de la bande. J'ai changé pas mal de chose, dont le gâteau de base, plus aérien. Et pour la partie "aérienne", j'ai dû changer le process, car j'avais totalement oublié comment je l'avais faite. Voilà ce que c'est lorsqu'on ne publie pas rapidement la recette. La poudre verte est un sucre de bouleau coloré et aromatisé à la coriandre séchée, au citron vert et au combava. Les taches que l'on aperçoit ici et là, c'est des "gouttes " de gel de yuzu. Et caché en dessous, c'est un mélange d'ananas, de mangue et de fruit de la passion. 

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Avec ce dessert, j'ai servi un vin que j'avais adoré lors de mon voyage en Moselle avec mes amis belges : c'est un Auslese Bockstein Goldkapsel 2017 de Nik Weis. Sa robe est d'un or intense. Le nez est riche et complexe, sur l'ananas rôti, le gingembre confit, la pêche, la mangue... La bouche est d'une concentration et d'une voluptuosité incroyable, tout en offrant une fraîcheur vivifiante, vibrante, avec une palette aromatique aussi complexe que celle du nez. La finale explosive est jubilatoire, avec un équilibre dinguissime que seuls les Allemands (et allez, les Autrichiens) savent nous offrir, sur un bouquet de fruits exotiques, d'agrumes confits et d'épices. Un bouquet final à la hauteur de ce repas mémorable

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