Je me suis rendu à la dixième édition du festival paroles Indigo à Arles à la lisière des régions PACA et Occitanie. J'avais participé à trois éditions précédemment de ce festival et je suis très attaché à la démarche d'Isabelle Grémillet, initiatrice de cet événement culturel désormais incontournable de ville d'Arles.
Cette année, j'ai eu un peu plus tourner dans la vieille ville d'Arles. J'avais le souvenir lors de mes précédents passages d'une ville qui semblait à l'abandon. Mais, sur cette édition, j'ai marché dans les vieux murs de cette ville du sud de la France, le soir, dans ses rues étroites, ses impasses à peine éclairées. Et j'avoue que j'ai été subjugué par son charme. Peut-être parce que l'occasion m'a été donnée de discuter avec des artistes, des animateurs culturels installés dans cette ville. Prenons Patrick Searle. Le premier soir nous nous sommes retrouvés dans une grande ripaille dans un grand salon au coeur de la ville, une salle tout en couleur. Je discute avec mon voisin. Il a eu une carrière comme ingénieur commercial sur des sujets complexes. Il a fait le tour de la planète. Il a une seconde passion : la photographie. Le temps d'une pause, le lendemain, je vais avec le collectif de femmes de Sarcelles visiter la galerie où Patrick Searle expose son travail avec d'autres artistes photographes. Pour chaque artiste, un travail, un biais singulier, un discours. Je m'arrête sur une photographie magnifique de Patrick, une femme dans une posture exceptionnelle alors qu'elle danse, en plein sabaar. L'artiste a capté un moment de grâce, de noblesse, d'élégance. C'est cela le festival Paroles Indigo.
Revenons à cette table toute en couleur. A ma droite, Amzat Boukari-Yabari que je connais pour la qualité de son livre sur le panafricanisme, Africa Unite ! Je découvrirai au fil du festival les autres acteurs qui échangent avec nous : Jacques Goba créateur de la marque United Souls, Giulia Bonacci historienne spécialiste du panafricanisme et du rastafarisme. A mon arrivée à Arles, une agricultrice est venue me chercher dans son véhicule de travail. J'ai tout de suite été replongé dans mes années fac et mes vacances d'étudiant consacrées à l'arboriculture pour avoir un pécule. Elle est spécialisée dans la culture de l'olive et c'est la saison des récoltes. Elle me parle de la toute puissance des mouliniers qui, au nom du profit immédiat impose les règles de sélection des olives, plus de volume, moins de qualité. L'agricultrice est dépitée mais elle reste déterminée dans le fait de ne pas céder. Le néolibéralisme à l'oeuvre, on est plein coeur du sujet. Le festival a déjà commencé.
Elle me dépose devant la très belle salle de cinéma où va être projeté un documentaire consacré au cinéaste sénégalais Sembene Ousmane. A peine descendu train, je prends un autre train. Et je reapprends Sembene Ousmane avec le documentaire réalisé par son compatriote, l'universitaire Samba Gadjigo. Très bon documentaire, avec quelques longueurs, mais au final complet sur la figure d'un artiste exceptionnel, dédié à son art mais surtout, homme touche à tout qui a eu un parcours atypique. On a le sentiment qu'il n'a jamais trahi ses convictions, a assumé ses prises de risques jusqu'au bout. Thiaroye, Molaade, Ceedo. L'oeuvre est là mais c'est par la diaspora africaine qu'elle va prendre un second souffle alors que toutes les portes se ferment dans son pays. Bien qu'ayant été une sorte de disciple de Sembene, Samba Gadjigo fait dans la nuance, refusant l'approche manichéenne ou idolâtre. Le public arlésien est présent, très nombreux.
Le lendemain, c'est la conférence inaugurale à l'espace Van Gogh. Le thème de la dixième festival Paroles Indigo est le panafricanisme. Un choix conscient d'Isabelle Gremillet et en phase avec le festival. "Nous avons voulu aborder un thème qui va au-delà de nos précédentes éditions". Et pour ce faire, le festival a tout simplement proposé le meilleur panel possible sur un tel sujet : Hakim Adi, professeur britannique d'histoire à l'université de Chishester, Amzat Boukhari-Yabara, historien du panafricanisme, auteur de l'essai Africa Unite! (Éd. la découverte) et Giulia Bonacci, chargée de recherche à l'institut des Amériques, auteure de l'essai Exodus! L'histoire du retour des rastafari en Ethiopie. Ce panel permet de revenir sur les panafricanismes, avec des singularités, des points d'observation variés, défendus par les intervenants. Je ne vais pas rentrer dans le détail en espérant que le contenu cette conférence, mais en quelques lignes je vous dirai que j'ai été marqué la définition très large du panafricanisme comme un mouvement d'échanges entre les Africains déportés dans les Amériques et le continent Africain à des espaces de partage et de construction en Europe avec de grandes conférences dès 1905 à Londres. Le panafricanisme est un ensemble de mouvements, d'interactions entre les différentes diasporas africaines en Occident à partir de la première grande rupture de la Révolution Haïtienne ou des Africains déportés prennent le pouvoir en Amérique. A partir de là, les historiens s'appuient sur plusieurs dates. Pour Hakim Adi, par exemple, le point de départ c'est le 23 juillet 1900 avec le premier congrès panafricain initié par l'avocat trinidadien Henry Sylvester-Williams auquel participeront entre autre W.E.B du Bois et Benito Sylvain qui va permettre de structurer ce mouvement dénonçant le racisme, la colonisation et militant pour plus de droits pour les afro-américains. C'est aussi un discours sur le rastafarisme, les mouvements des Afrodescendants vers l'Ethiopie de plusieurs caraïbéens, la figure messianique de l'Empereur Hailé Sélassié. Que dire de Marcus Garvey le jamaïcain, de son travail sur le retour des afrodescendants. Quand on prend l'histoire par ce biais, on réalise que d'autres retours se sont par d'autres aires comme le cas des AfroBrésiliens et on comprendra aussi en lisant Boukari-Yabara, le regard que ces derniers ont sur l'Afrique. Le panafricanisme est un mouvement impulsés par les Afrodescendants. La négritude n'en est qu'une résurgence dans les années 30 à laquelle les continentaux sont les derniers à embrayer.
Je ne peux m'empêcher de voir toute la richesse que cette perspective. La place des marins afrodescendants dans la circulation des idées panafricaines... De par le monde, jusqu'aux territoires territoires colonisés d'Afrique. La masse d'intellectuels haïtiens venus sur le continent instruire, transmettre leur savoir au moment des indépendances, comme Marcel Gilbert, haïtien, enseignant de mathématiques, qui a formé ma mère, une lycéenne congolaise dans les années 60 (elle l'idolâtrait) au Lycée Savorgnan de Brazza. Le panafricanisme, c'est un geste. Ce sont aussi des ruptures entre les mouvements, suivant que ces cercles de réflexion panafricaine se développent dans la sphère francophone ou anglophone... Il y a aussi un panafricanisme culturel beaucoup plus subversif. Que se soit Bob Marley, rappelant le panafricanisme prôné par ses pères avec son mythique Africa unite ! ou Grand Kallé qui a fait danser tous les pays africains avec son Indépendence Tcha Tcha... Qu'ont reçu en retour les Afrodescendants. L'histoire du panafricanisme me semble cruelle mais naturellement, il faut sourcer, rechercher, comprendre les échanges passés ou actuels entre l'Afrique et sa diaspora, observer toutes les passerelles nombreuses. Je vous citerai par exemple la communauté afrobrésilienne tabum du Ghana qui anime la maison des Esclaves à JamesTown qui organise le Festival de street art Chale Wote.
Je cogite. La veille, nous étions avec Sembene Ousmane, le père du cinéma Africain dont l'influence a été redynamisée par la réception de son travail en Amérique du nord. Durant ces palabres, je me pose la question suivante : quel a été le retour d'ascenseur de l'Afrique en dehors des regards condescendants, donneurs de leçon façon Burna Boy, du paternalisme improductif des subsahariens francophones à l'endroit des Antillais ? Je reviens à Paris avec beaucoup de questions, des déconstructions certaines et le constat de mon ignorance sur de nombreuses dimensions du panafricanisme.
J'ai fait d'autres rencontres. J'ai logé avec Hakim Adi. J'ai interviewé Isabelle Grémillet, le talentueux slameur sénégalais Pathé Ndièye ou encore Jacques Goba, créateur de la marque United Souls. J'ai échangé avec un journaliste arlésien. Je vous recommande d'écouter l'épisode déjà en ligne de mon podcast consacré à Amzat Boukari qui vous introduira dans ces espaces panafricains avec beaucoup de talent. J'ai discuté longuement avec Antoine LouisGrand artiste plasticien, ancien des beaux-arts de Lyon qui s'est exilé un certain temps à Harlem. Fortement influencé par cette expérience américaine. J'ai pu voir son exposition qui nous plonge dans les rues et les bouges d'Harlem avec une approche artistique qui prend un sens particulier après cet échange.
Mes regrets ne dépendent pas de l'organisation. Je n'ai pas pu voir l'African Book Truck. Des visas non accordés à plusieurs artistes. Je pense à l'écrivain ivoirien Mahmoud Soumaré... Je terminerai par la diffusion d'un film tunisien en présence de une délégation de femmes venues de Sarcelles. La Belle et la meute. J'ai beaucoup apprécié le débat qui a suivi la diffusion de ce long métrage qui abordait un viol subi et la complexité de pouvoir porter dans une société patriarcale, post-révolutionnaire. Le point de vue de la cinéaste est très nuancé. Isabelle passe le flambeau à une jeune équipe.