Cela faisait longtemps que j’entendais parler de ce roman des années 1950, réputé pour son univers poétique, insolite, fantastique, et il était grand temps que je passe enfin le Seuil de ce jardin, qui m’a réservé bien des surprises.
Note Pratique sur le livre
Editeur : L’imaginaire Gallimard
Première date de publication : 1958
Nombre de pages : 157
Biographie de l’écrivain
Né à Vincennes le 13 février 1911, André Hardellet nait dans une famille de bijoutiers et mène une scolarité brillante dans la région parisienne et à Paris même. Il abandonne ses études de médecine pour entrer dans l’entreprise familiale. Sa rencontre avec l’écrivain Pierre Mac Orlan en 1947 est décisive et lui permet de publier ses premiers textes dans la revue La bouteille à la mer (1950). Il alterne dès lors la publication de poésies et de romans. En 1958, Le Seuil du jardin est salué par André Breton puis, en 1966, Les chasseurs lui vaut l’hommage de Julien Gracq. La parution sous pseudonyme, en 1969, de Lourdes, lentes le conduit devant les tribunaux pour « outrage aux bonnes moeurs « .
Auteur de nombreuses chansons, André Hardellet est connu du grand public pour le fameux Bal chez Temporel, qui sera chanté par Patachou et par Guy Béart.
Il est mort en juillet 1974.
Résumé du début de l’histoire
Stève Masson est un artiste-peintre d’une trentaine d’années, au caractère indépendant et non-conformiste. Il vit dans la proche banlieue parisienne, à Montrouge, dans une pension de famille tenue par la serviable et sympathique Madame Temporel. Ce pavillon de banlieue compte quatre autres pensionnaires : le père Leberthet, un vieil amateur et collectionneur de soldats de plomb, Mme Broute, une retraitée un peu sourde, partageant ses journées entre travaux de couture et de pâtisserie, Robert Lamarque, un passionné de belote travaillant à l’usine, et Melle Hélène Jeanteur, une mystérieuse jeune femme qui pourrait être très jolie si elle savait se mettre en valeur mais qui préfère les tenues austères et les habitudes discrètes.
Un jour, un nouveau pensionnaire, Monsieur Swaine, un ancien professeur, fait son entrée chez Madame Temporel et suscite bientôt, par sa froideur et son caractère taciturne, l’antipathie des autres habitants de l’endroit. Par ailleurs, il provient sans cesse de son appartement un bruit de moteur gênant et inexplicable, même la nuit, ce qui donne à chacun une curiosité et un agacement persistants.
Mais Stève Masson ressent plutôt de la sympathie pour Swaine et, un jour, il l’invite chez lui pour faire plus ample connaissance.
(…)
Mon Avis
C’est un livre qui mélange des atmosphères assez variées : le fantastique est bien présent, à côté de certains éléments proches du polar et, à la fin, de réflexions sur la politique et le fonctionnement de la société, dans un dialogue qui pourrait évoquer certaines scènes du théâtre d’Anouilh, voire de Giraudoux.
Hardellet cultive donc ici un genre hybride et plein d’étrangeté, et on comprend tout à fait qu’André Breton ait pu être séduit et charmé par un tel roman, dont l’imaginaire semble parfois hérité du Surréalisme. La violence est également présente, dans une scène qui surprend et qui impressionne, par un pouvoir d’évocation qui n’a rien perdu de sa force, même soixante ou soixante-dix ans après sa rédaction.
La figure féminine qui hante ce livre du début à la fin est un personnage également étonnant, mystérieuse et sensuelle : une libertine insaisissable et qui peut prendre différentes formes selon les endroits où le héros la rencontre, comme une apparition sujette aux fréquentes métamorphoses. Il n’est d’ailleurs pas anodin de la voir de nouveau apparaître dans le plus beau rêve de Stève Masson car cette femme est à la fois réelle, fantasmée et imaginaire et son domaine d’influence paraît s’étendre un peu partout en même temps.
J’ai trouvé intéressants les rapports que l’auteur tisse entre le monde du rêve et celui de l’art pictural : pour Stève Masson, un tableau réussi est nécessairement inspiré par un rêve, la beauté est forcément onirique – et là encore on retrouve un idéal esthétique apparenté au Surréalisme.
On peut voir ce « Seuil du jardin » comme un symbole du paradis perdu, dont seuls les rêves et les plus belles œuvres d’art peuvent ressusciter une image, et encore, nous savons que nous devrons rester sur le seuil, une force nous retient de pénétrer à l’intérieur – peut-être parce que nous ne pourrions pas supporter un si grand bonheur.
Un très très beau roman, que je suis heureuse d’avoir enfin lu, et qui a éveillé ma curiosité pour les autres œuvres de cet écrivain.
Un Extrait page 33
Il travaillait alors à une toile (elle figure aujourd’hui dans la collection Beuckler, de New York) intitulée Le Seuil du jardin. Son sujet lui avait été fourni par un rêve dont l’insistance à se reproduire lui semblait un avertissement. D’une nuit à l’autre, le décor variait légèrement, mais la même impression de joie incommunicable s’en dégageait. Masson approchait d’un jardin à l’abandon, désert, touché par la lumière d’été. Sa porte vermoulue était ouverte, mais il n’éprouvait pas l’envie d’y pénétrer ; il lui suffisait de savoir que ce jardin existait et de le contempler jusqu’à ses limites perdues dans les broussailles, entre des bassins et des kiosques en ruine. Un sentiment bizarre retenait Masson sur le seuil : le soupçon qu’il valait mieux remettre à plus tard l’exploration de l’enclos, le pressentiment d’une obscure défense d’entrer. Il longeait le mur, regardait par les brèches, dans l’attente d’un événement qui ne survenait pas, mais une attente sans impatience et sûre d’être satisfaite. Puis, à un moment donné, il se trouvait à l’intérieur du jardin, bien qu’il n’ait jamais eu conscience du passage. Une paix surnaturelle l’entourait, un bonheur sans équivalent dans la veille. (…)