J’ai reçu ce livre en service de presse, ayant déjà beaucoup aimé le précédent recueil poétique de Matthieu Lorin, Souvenirs et grillages, dont vous pouvez retrouver ma chronique en suivant ce lien.
Note biographique sur le poète
Matthieu Lorin est né en 1981 en Normandie et vit aujourd’hui à Chartres. Il a publié plusieurs recueils dont Souvenirs et grillages (Editions Sous le Sceau du Tabellion, 2022) qui a été présélectionné pour le prix Apollinaire Découverte 2022.
(Source : Quatrième de Couverture)
Note Pratique sur le livre
Editeur : Exopotamie
Date de parution : novembre 2023
Nombre de pages : 60
Présentation de l’éditeur
Porté par une voix énergique et engagée, ce recueil décortique un monde dans lequel le narrateur voit peu à peu son corps lui échapper, se dépeupler. Évoquant une jeunesse où doutes et angoisses le débordent, il effectue le chemin inverse : repeupler les vides et trop-pleins de son histoire, afin d’écrire celle qu’il délivre ici dans un chant qui résonne quelquefois comme un cri.
(Source : Site internet des éditions)
Mon Avis
Comme son titre le laisse supposer, ce recueil évoque différentes zones du corps (avec une présence peut-être plus marquée des mains, dents, os, peau, nerfs,…) , chacune étant clairement séparée des autres, chacune paraissant mener une vie propre. C’est donc un corps fractionné qui nous apparaît et, aussi, un corps en interaction avec certains éléments de l’environnement, par exemple des outils (marteau, clous, lame, couteau, pointes et tranchants, etc.), des matériaux (sable, bois, sciure, terre, boue, limaille, gravats, …), plus rarement d’autres personnes (la mère, d’autres peaux, un pharmacien, un « tu » allusif, etc…). J’ai parfois pensé à Michaux et, dans une moindre mesure, à Artaud en raison de cette sensibilité d’un corps morcelé, étroitement relié au psychisme, à un univers intérieur, à certaines visions. Les nombreux verbes d’action, de préhension, de combat, de chute ou de construction nous entraînent dans une forte dynamique des sensations et des perceptions.
Intercalées entre ces proses, des lettres, adressées à des hommes ou à des femmes non identifiés, anonymes, nous proposent des parodies de lettres de motivation, de déclaration d’amour, ou des prises de contact mal définies, où affleurent un sens de la dérision, de l’étrangeté, ainsi qu’une certaine mélancolie.
L’évocation des différents âges de la vie – naissance, enfance, adolescence, jeunesse – nous met sur les traces d’un récit biographique, d’une trame temporelle, où le lecteur sait reconnaître les étapes communes à toute existence, étapes qui « parlent » directement à notre conscience et à notre mémoire personnelle.
Un livre d’une grande sensibilité, qui agit avec force sur l’imagination et qui donne à nos sensations habituelles un relief particulièrement aigu.
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Quelques poèmes
page 35
L’espoir d’arranger une dernière fois les egos comme un clou tordu, un cauchemar ou une coiffure.
Mon dos et sa nouvelle allure de chemins de traverse. Impression d’être le grain de sable, celui qui commence entre les mains de l’enfant avant de résorber les accidents de la route.
On me reprochera plus tard ces fissures.
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Un poème page 47
Je renforce le monde qui m’entoure et dégringole au fond des corps.
Il s’en fallait de peu pour que mon paysage s’écroule comme une toiture mal entretenue. Quelques morceaux déjà battaient au vent. Je les rattache avec du fil de fer : une maille à l’endroit, une maille à l’envers. Pareilles à ma façon d’être.
Mes appels auront dorénavant l’assurance des faîtages centenaires, mais je ne le sais pas encore.
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page 54
Je ridiculise mes craintes jusqu’à ce qu’elles tombent comme mauvaise neige. Il suffit de les presser entre deux réalités, la poubelle à descendre et la plaie qui s’infecte, par exemple.
Je dépose l’ensemble à l’endroit où mon angoisse se transforme en une révérence ou un journal en feu.
« Voilà cinq demi-vies d’économisées », me confie le pharmacien.
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