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Augure, de Baloji

Publié le 05 octobre 2023 par Africultures @africultures

Présenté en sélection officielle au Festival de Cannes, où il a reçu le Prix de la nouvelle Voix dans la catégorie Un Certain Regard, le premier long métrage de Baloji, Augure (Omen en anglais), sort le 22 novembre 2023 dans les salles françaises. Une série d’albums développe la musique originale du film et une exposition itinérante en présentant les dessins des costumes et les photos met en valeur les qualités d’artiste polymathe de Baloji : directeur artistique, styliste de mode et différents arts visuels. L’exposition « Baloji Augurism », avec vidéos, masques, vêtements et installations, se tient du 31 octobre 2023 au 14 avril 2024 au MOMU (Musée de la Mode) d’Anvers.

Depuis la colonisation, Baloji, qui signifiait « homme de science », est devenu « sorcier » en swahili, et même « sorcier qui peut s’emparer des pouvoirs des autres sorciers ». Autant dire que Baloji est marqué pour la vie, comme son personnage Koffi (l’excellent Marc Zinga) qui a sur la joue une tâche de vin que chacun suspecte. Lorsqu’il retourne au Congo après quinze ans d’absence pour régler la dot et présenter à sa famille Alice (la convaincante Lucie Debay), sa femme enceinte de deux jumeaux, ils ne sont pas bien accueillis, soupçonné qu’il est de sorcellerie. Or, il est épileptique et saigne facilement du nez. Une goutte de sang sur un bébé et il n’en faut pas plus pour y voir la marque du diable et déclencher un rituel d’exorcisme particulièrement radical : traumatisé, le couple change vite son billet d’avion pour un retour illico en France !

Alors que la relation entre Alice et Koffi, qui savent s’écouter, est filmée avec calme, c’est dans ces moments de tension que Baloji se déchaîne, s’inspirant du réalisme magique pour mettre en scène avec force détails les croyances dans les puissances occultes. Même chose pour l’affrontement des gangs et nombre de scènes ritualisées : toute une imagerie est convoquée, dont la puissance du rythme, des lumières et des cadres imprègne le film entier. En tant que synesthète, Baloji associe tout à des couleurs. D’où leur fulgurante utilisation pour les costumes, les titres, les filtres… Idem pour la musique qu’il a lui-même composée.

En dehors de ce qu’on entend dans le film, il sort d’ailleurs accompagné d’albums reprenant la bande son en quatre parties, chacune étant écrite du point de vue des quatre personnages principaux. Car Koffi a une sœur également soupçonnée d’être une sorcière et de jeter des sorts. Tshala (Eliane Umuhire) est révoltée contre les réductions et les assignations qu’elle doit subir en tant que femme : « ma sexualité, mes choix ne sont jamais validés« . Si Koffi et Alice prolongent leur séjour, c’est qu’ils comprennent que chaque personnage vit les accusations de sorcellerie différemment de Koffi qui les porte comme une honte, lui ouvrant ainsi une autre perspective.

Paco (Marcel Otete Kabeya), lui, en fait une arme. Jeté à la rue par ses parents car accusé d’être la cause de leurs problèmes, il est devenu le chef des Goonz, des shégués tous habillés de robes roses décrépies et de bas troués. Il se produit avec sa bande en public avec des tours de magie à l’occasion du carnaval organisé durant les fêtes de Pâques. Ils vivent dans un bus abandonné mais y seront pourchassés dans une scène d’anthologie par le gang de Simba, sorte de Mobutu au regard perçant, couvert de morceaux de peaux de léopards, qui organise aussi d’épiques combats de catch.

« On revient de tout sauf de l’abandon », chante comme à l’opéra un employé des pompes funèbres. Koffi se bat avec sa famille pour être reconnu autrement. Il revient vite de son premier mouvement de recul pour valoriser peu à peu cette si étrange culture qui vient enrichir celle qu’il a trouvé en Europe au contact d’Alice. Il apprend peu à peu à naviguer parmi les obstacles et, avec l’aide des autres personnages avec qui il partage la même accusation de sorcellerie, à soigner ses blessures, jusqu’à pouvoir lui-même les soutenir. Même si sa mère Mujila (Yves-Marina Gnahoua) reste distante, elle sait qu’il a bien fait de partir, elle qui rêve de brûler les épouvantails et les croix du patriarcat. C’est sur elle que se clôt ce beau film, pour qu’elle puisse enfin fermer les yeux et trouver le sommeil.

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