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AnTraumaque

Publié le 23 décembre 2023 par Morduedetheatre @_MDT_
AnTraumaque

Critique d’Andromaque, de Racine, vue le 20 décembre 2023 au Théâtre de l’Odeon
Avec Jean-Baptiste Anoumon, Bénédicte Cerutti, Boutaïna El Fekkak, Alexandre Pallu, Pierric Plathier, Chloé Réjon, Jean-Philippe Vidal, Clémentine Vignais

J’aime bien les mises en scène de Braunschweig. Je ris car avant de commencer cet article, je suis allée jeter un coup d’oeil à ce que j’avais pu écrire par le passé. En brave mordue qui se respecte, j’ai surtout écrit sur ce qui m’avait contrariée, moins sur ce qui m’avait plu (oups). Et pourtant, ses mises en scène d’Arne Lygre, son Britannicus, son Oncle Vania, ou, avant même l’existence de ce blog, son Tartuffe, m’ont laissé de beaux souvenirs. Cette espèce de distance qui lui est propre et qui donne souvent une note si particulière à ses spectacles m’intéresse et m’interpelle. Alors, comment un metteur en scène cérébral comme Braunschweig fait pour monter une pièce qui, à mon sens, ne l’est pas ? Comment son habituelle distance va fonctionne avec Racine ? Mystère mystère.

Andromaque, je crois que c’est mon Racine préféré. Peut-être parce que c’est le plus agité de tous, parce qu’il se passe toujours quelque chose, parce que c’est un nid à rebondissements. Et parce que ces amours non payés de retour donnent vie à certains des plus beaux vers raciniens. Il faut dire que c’est bien le bordel, cette histoire : Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector qui est mort. Hector a été tué par Achille, et son fils, Pyrrhus, a fait de sa veuve Andromaque sa captive. Il l’aime, mais toutes les pensées de la prisonnière sont tournées vers son mari mort et son fils, Astyanax, qu’elle cherche à protéger de la fureur des grecs. Pyrrhus, quant à lui, est promis à Hermione, fille de Ménélas ; son amour pour la troyenne est mal vu et pourrait déclencher une guerre.

Pour moi, Andromaque est une pièce qui met en scène des puissants. Leur vie est guidée par la politique, par le devoir, par les contraintes du pouvoir. C’est parce qu’ils subissent que la tragédie existe. Braunschweig donne à entendre autre chose. Ils ne semble pas montrer les protagonistes comme des puissants, mais plutôt comme des « fils de » qui n’ont pas les épaules. Qui ne sont pas à la hauteur. Ou qui ne le sont plus. Parce que la guerre est passée par là.

C’est probablement le plus marquant dans cette mise en scène. Quand souvent, dans les mises en scène d’Andromaque, la guerre semble être passée depuis un certain temps, là, on semble encore dedans. Braunschweig fait d’Andromaque une pièce de guerre. Les personnages en sont profondément marqués. Pyrrhus, semblant vivre avec un stress post-traumatique devenu ingérable, Oreste, froid et distant, tout en retenu, Hermione, les mains dans les poches dans une attitude d’agressivité constante, Andromaque, hantée par le sang. Tout semble vu à travers ce prisme-là. Et c’est vrai, c’est là, dans le texte, impossible de le nier.

C’est intéressant, mais il manque quelque chose. Monter Andromaque en mettant de côté la suite de sentiments unilatéraux qui lie chacun des personnages me semble être une erreur. Je me souviens d’une interview de Léonie Simaga, qui jouait Hermione dans la version de Muriel Mayette à la Comédie-Française il y a plus de dix ans de ça, parlant de « l’humiliation de ne pas être aimé« . On ne saurait mieux dire. Sans cela, la pièce perd en force, en saveur, et même en cohérence. Si tous peuvent être vus comme des ratés, Andromaque, elle, est l’intruse. Elle est presque définie par son amour pour Hector. Lui retirer sa passion, c’est lui retirer son intérêt. Elle ne représente plus rien.

Par ailleurs, l’absence d’amour, c’est aussi l’absence de liens entre les personnages. Ils deviennent des individus isolés, comme des fantômes qui errent sur la grande scène de l’Odéon. Ils se croisent seulement. Rien n’occupe l’espace vide. Et la tension peine à s’installer. Il manque quelque chose. Ôter la passion de ce spectacle, c’est aussi ôter l’émotion. Et si ça passe bien sur des spectacles politiques comme Britannicus, Andromaque, elle, souffre de cette absence. Aussi intéressante soit la lecture de Braunschweig, elle est incomplète. Mais est-il vraiment possible de jouer à la fois la guerre et la passion ? Vous avez deux heures.

Ce spectacle me laissera quelque chose. Mais du côté du cerveau, pas du côté du coeur.

♥

AnTraumaque
© Simon Gosselin

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