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Wilfried N'Sondé : La reine aux yeux de lune

Par Gangoueus @lareus
Wilfried N'Sondé reine yeux lune

Je suis actuellement à un endroit où je suis très peu connecté au web. Et je réalise que la lecture sur mon application de lecture sur Kobo est beaucoup plus aisée. J’ai plus d'une quinzaine de très bons e-books achetés sur cette plateforme attendant une lecture ...


Parmi ces livres numériques, il y a le nouveau roman de Wilfried N’Sondé, La reine aux yeux de lune (éd. Robert Laffont). Je réalise qu’une lecture peut être très confortable sur un téléphone quand on est sur une île déserte complètement déconnecté de tous les réseaux sociaux. La lecture ne consomme pas beaucoup d’énergie. On peut facilement finir la lecture de trois romans en basculant en mode avion. C’est de cette manière que j’ai rapidement lu ce roman sur Kimpa Vita, une héroïne de l’histoire du Kongo et par ricochet de la république du Congo. Au collège, Dona Béatrice / Kimpa Vita est l’un des personnages de l’Afrique précoloniale qui revenait dans nos cours d’histoire. Il n’y en avait pas beaucoup. Nimi Lukeni, fondateur du royaume Kongo, Kimpa Vita, Makoko… Il fallait aller en Afrique de l’ouest pour trouver Soundiata Keïta et Kankan Moussa ou en Afrique du Sud pour découvrir le Grand Shaka, terrible despote à l’origine du grand groupe zoulou.

Porter l'histoire dans un roman

Écrire sur Kimpa Vita est une démarche complexe. A l’instar de Bruce Matéso, Wilfried N’Sondé prend le parti de raconter le Royaume Kongo. Le jeune historien Matéso avait choisi la fiction pour conter l’émergence au 14è siècle de ce royaume dans sa forme la plus structurée, la naissance de Luanda, de la monnaie par Nimi Lukéni. Dans Une mer, deux océans, trois continents, Wilfried N’Sondé avait précédemment proposé une narration autour d’un personnage de Nsukka ne Nvunda, un prélat kongo au cœur du seizième siècle. Ce n’est donc pas la première fois qu’il traite le Kongo au travers d’un roman historique. Cependant, assez rapidement, son personnage voyage et évolue dans des méandres où les traces écrites sont beaucoup plus nombreuses, que ce soit l’univers d’une caravelle de négrier, le Lisbonne du 16è siècle ou plus largement l’Europe de cette période. Avec Kimpa Vita, c’est totalement différent. Le roman se passe une vingtaine d'années après la bataille de Mbwila que nous avons tous étudiée au Congo. Ambuila disait-on. Cela nous place à la fin du dix-septième siècle. Kimpa Vita est orpheline par sa mère. Elle est élevée par Dona Louisa, une femme initiée qui lui conte la grandeur du Kongo et sa décrépitude, le déclassement de nombreuses familles aristocratiques de Sao Salvador (autrement appelé Mbanza Kongo). En quelques mots, Dona Louisa termine sa narration de cette défaite militaire :

"Le Kongo expira bel et bien à Mbwila à l'automne 1665. Cette bataille fut le dernier d'un long travail de sape qui précipita notre pays vers un abîme vertigineux. Sao Salvador fut incendiée, son palais royal saccagé et pillé. De la cathédrale construite conjointement par les jésuites et les Bakongos, il ne restait que des ruines" (ch.3, p.7, epub, éd. Robert Laffont)

La question qui obsède ces deux femmes qui participent à l'éducation de Kimpa Vita est celle du souvenir des épopées d'antan et l'entretien de la mémoire glorieuse du Kongo. Et elles transmettent cette histoire. Il y a là quelque chose d'essentiel : déconstruire la résignation qui s'est imprimée dans les esprits à laquelle se juxtapose les rapts et razzias en lien avec la Traité négrière.


Kimpa Vita ou l’enfance de la reine aux yeux de Lune.

Cette première partie du roman est intéressante, mais elle est aussi la plus fragile. Nous sommes dans un roman historique et toute la difficulté d’une telle narration réside dans le fait d’être au plus près du quotidien des personnages. Par exemple, est-ce qu’une petite orpheline dans la ville de Sao Salvador (capitale historique du Kongo) pouvait avoir des chaussures ? Le lecteur est en alerte sur ses points de détail car si ce royaume a été en contact très tôt avec le Portugal, on n’imagine bien que le port des souliers pour ne citer que cela ne concerne qu’une élite qui collabore. Dans le propos à première personne de Kimpa Vita, ce type d’invraisemblance apparaît plusieurs fois. On me dira que je chipote, mais c’est la complexité de la démarche de Wilfried N'Sondé qui impose qu'on s’arrête sur chaque image. Les points forts portent sur le réseau de femmes qui tournent autour de Kimpa Vita. Dona Louisa, la conteuse qui a connu le faste, Appolonia la sage femme qui est consciente du potentiel de la jeune adolescente. Les rapports avec son père sont plus délicats. Ce qui, dans le contexte kongo s’explique très facilement du fait de la matrilinéarité qui structure ces communautés. Je pense que l'écrivain est un peu léger dans l’explication de ce contexte. Une autre dimension discutable qui, dans cette phase de la narration, réduit à bakongo, tous les membres de cet espace. Peut-être suis-je conditionné par mes cours d’histoire et la lecture de Nimi Lukéni, le roi forgeron du Kongo mais le Royaume Kongo, ce sont sept provinces. Peu importe. Kimpa Vita la jumelle qui a survécu à la guerre de sa naissance (comprenne qui pourra) a des rêves d'évasion et de grandeur :

"En moi bouillonnaient des envies d'ailleurs. Seule dans mes nuits rythmées par les ronflements de la doyenne, j'implorais nos ancêtres que quelque chose advienne et m'emmène loin, vers une existence de tumulte et de panache; le coeur vaillant, j'attendais ! " (chap 4, p.2, epub, éd. Robert Laffont)

Les intrigues politiques pour le rétablissement du Kongo.

Le Royaume Kongo est fortement ébranlé et divisé plusieurs années après la bataille de Mbwila, je l'ai déjà dit plus haut. Des femmes réagissent à cette déchéance. Kimpa Vita est initiée avec une douzaine de jeunes kongo au rite de la Différence. Un rite de passage d’exception qu’initie Appolonia. C’est un moment assez singulier dans le roman. Kimpa Vita réussit avec beaucoup de bravoure et d’abnégation cette épreuve et développe adolescente une nouvelle sensibilité qui fera d’elle une sorte de Jeanne d’Arc kongo. Je prends cette référence pour qu’on situe bien ce qui se passe. Les portugais jouant le rôle des Anglais en les Français débordés par l’invasion anglaise étant le Kongo. Après cette initiation, elle a un statut de leader spirituel. Pour la “protéger”, son père l’a fait kidnapper et elle se retrouve dans une institution catholique qui formate les plus récalcitrants à l’évangélisation quand ils ne sont pas envoyés dans le Nouveau Monde pour y être esclavagisés. Au sein de cette institution, Kimpa Vita est débaptisée et se nomme désormais Dona Béatrice. Elle s’adonne au catholicisme dans un premier temps et voue ensuite un culte particulier à Saint Antoine de Padoue, saint des prisonniers, posture qui est la sienne dans cette institution. Elle approfondit sa connaissance biblique et observe les écarts entre l’enseignement et l’intention réelle des religieux portugais…


Mon point de vue

Naturellement, je ne vais pas vous raconter toute l’histoire de Dona Béatrice que nous propose Wilfried N’Sondé avec une certaine efficacité. Mais je pense que l’écrivain congolais a écrit ce roman avec un certain empressement. Je m’explique. La transition de Kimpa Vita vers Luanda est traitée très rapidement. Le père se débarrasse-t-il de sa fille dotée de "super-pouvoirs" lui permettant en tant prophétesse de faire la causette avec les morts ? Ce moment est complexe. Le traitement de la corruption des moines portugais est intéressant sous un certain angle, mais il y a des traces de contemporanéité. Comme l’agression caractérisée que subit Kimpa Vita la rebelle de la part du recteur de cette institution. Il y a un côté #metoo qui, pour un lecteur averti, peut naturellement y voir un anachronisme. L’évolution spirituelle de Kimpa Vita qui lui permet de dénoncer la corruption de l’élite religieuse portugaise est très importante. Elle est abordée. Elle est, là aussi, traitée avec un certain empressement qui m'a personnellement laissé sur ma faim. Il faut bien comprendre que dans cette spiritualité syncrétique, la prophétesse est plongé dans un culte des morts, tantôt d'un saint patron de l'Eglise catholique, tantôt aux ancêtres guerriers à Mbwila ou ailleurs. En gros, je regrette le manque de profondeur dans le traitement du personnage de Kimpa Vita qui nous parle à la première personne. Ce qui est très audacieux de la part de Wilfried N'Sondé. Comment se construit un messie, comment faillit-il ? Pourquoi faillit-il ? S’il sombre dans les questions de la chair, le vrai sujet est de montrer comment un personnage qui meurt tous les vendredis et ressuscite trois jours après et s’éloigne de cette démarche, non pas parce qu’un bellâtre apparaît dans son champ de vision, mais en raison d’un profond sentiment de lassitude. Qu’on se serve d’elle est une chose. Que ceux qui lui prêtent main forte se servent de son aura pour s’approcher du pouvoir est une chose. Que ses adversaires identifient la faille pour réduire la portée de son influence est probablement un fait historique, mais le lien entre tous ces événements est ténu. C’est de mon point de vue la phase du roman la plus aboutie. Les jeux de pouvoir autour de Kimpa Vita sont dignes de la série Games of Thrones. Entre le Général Chibenga, Pedro IV, son épouse, le prêtre, les anciens amis révoltés de Luanda, les traîtres, il y a de la matière...


Cependant, c’est un roman trop court pour le sujet exceptionnel de la construction d’un messie, son élévation, sa faillite, sa destruction. Cette ambivalence entre le culte des ancêtres kongo et le culte des saints chez les catholiques un point sur lequel on aurait pu s’appesantir. La présence portugaise à Luanda annonce avant d’autres temps les premières formes de la colonisation européenne. Mais, je peux chipoter comme je souhaite. Après avoir visité cet après-midi les ruines exceptionnelles de Pompéi en Italie, détruit par le Vésuve, l'état de conservation de la cité romaine vous donne la possibilité de mesurer, d’imaginer sans trop souffrir le mode de vie de ces habitants en -79 avant Jésus-Christ. Tout cela pour signifier que je suis conscient qu'écrire un tel roman avec si peu d’éléments matériels pour se représenter les conditions de vie des personnages, c’est une réelle prouesse sur le plan intellectuel. Cette oeuvre nous rappelle le contexte de terreur qui a prévalu longtemps au royaume Kongo entre les razzia pour nourrir les cales de négriers, les luttes intestines de pouvoir pour unifier l'Etat Kongo ou défendre des chapelles réduites. Faites-vous votre idée, laissez-vous séduire par cette reine aux yeux de lune.

Wilfried N'Sondé, La reine aux yeux de lune

Editions Robert Laffont, rentrée littéraire 2023



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