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Marc Alexandre Oho Bambé : Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé

Par Gangoueus @lareus
Marc Alexandre Bambé Souviens-toi mourir sans avoir aimé

J'ai une chronique en coursde rédaction pour faire un peu le bilan de mon année sur les différents espaces de communication que j'utilise. Mais je viens de terminer la lecture du nouveau roman Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé de Marc Alexandre Oho Bambé et j'ai tout simplement commencé à écrire dans ce TGVqui me ramène à Paris ma dernière note de lecture de 2023...

Moi et Marc Alexandre Oho Bambé dit Capitaine Alexandre

Lui. Je suis ce poète slameur camerounais depuis plusieurs années. Il fait partie des précurseurs du slam en France avec Grand Corps Malade, Abdel Al Malik ou Aimé Nouma.Quand j'ai rejoint l'équipe de Penda Traoré à la fin des années 2000 à l'Albarino Passy où elle organisait Les jeudis d'Afriqua Paris, Capitaine Alexandre faisait partie de ces artistes présents, aux prestations attendues et soutenues. Capitaine Alexandre est un poète, un artiste. Un homme passionné par son art de dire, de faire entendre, d'écrire ses mots à sa manière, entre l'écrit et le clamé, pour proposer un monde meilleur. J'avais lu il y a quelques années Le chant des possibles, un recueil de poésiequ'il avait publié aux éditions La Cheminante. L'homme a continué de construire avec joie, patience, détermination et stratégie la construction de son œuvre littéraire. 

Moi. Il est important de saisir également d'où un lecteur aborde une oeuvre. En fonction des événements de la vie, on aborde un texte différemment. Il s'avère que ces derniers mois,  je fréquente d'assez près des artistes musiciens professionnels. De vrais artistes musiciens qui ont comme Jaromil, le personnage principal du roman de Marc Alexandre Oho Bambé dédié leur vie à un instrument, qui construisent leur route dans la fragilité et la puissance de leur choix de vie... Cette lecture me parle donc.

Itinéraire, itinérance, errance d'un jazzman.

Pour un lecteur, rien n'est plus touchantde constater qu'un auteur qu'on a lu à ses débuts affine son style, son écriture, déploie sa sensibilité avec panache. C'est ce qui se passe dans le roman Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé publié aux éditions Calmann-Levy.

Est-ce d'ailleurs un roman ? Oui, mais c'est aussi bien plus que cela. 

En fait Al avait raison,  même s'il n'y avait pas de métaphore dans sa phrase je pense, c'est exactement ça un chemin de musicien, "quelques dates..." sans aucune certitude derrière ces mots. Des semaines, des mois, des années, la vie entière, on ne peut pas savoir à l'avance, on ne sait même pas su demain sera, certain(e)s vivent intense l'urgence et la nécessité d'habiter leur art, quel qu'en soit le prix. La musique demande tout." (Music is my religion, p.2)

Cet extrait porte l'essence même de cette vie bohême. On imagine bien que Marc Alexandre Oho Bambé qui est un homme de spectacle en France, avec le collectif On a slamé sur la Lune ou d'autres artistes, vivre ce type d'expérience sur une série de date...

C'est aussi un texte poétique qui a vocation à être dit devant un public. Du moins certaines séquences. Parlons des personnages. Jaromil, le narrateur est un jazzman métis de talent. C'est un père. C'est un fils. C'est un junkie. Un jeune homme à la croisée de deux mondes. Il est désigné comme un "nègre à moitié" et il se questionne :

"Harlem m'a donné réponses, à toutes  mes questions primordiales. Celles que je me posais et celles que j'ignorais. Par et pour la musique j'ai erré dans nombre des rues du monde, me cherchant, et me trouvant parfois" (Harlem Blues of mine, p.2, epub)

"Oui, j'ai erré un peu partout sur la terre, mais New York et Harlem sont à part en mon âme et mon coeur. New York et Harlem m'ont a enseigné qui j'étais, un nègre, donc un homme. Juste un homme. Et pas un nègre à moitié." (Harlem Blues of mine, p.3,  epub)

Je suis un peu dur dans ma description mais appelons chat, un chat. Tout est lié. Il se cherche.La musique est un point de chute ou un axe de fuite. Et cette fragilité participe du processus de création artistique. La musique est un lieu de rencontres, de reconstruction. Au delà des fêlures de l'âme, du rejet, de l''absence d'une figure paternelle attendue et masquée, c'est une quête de l'amour. C'est le constat de l'incapacité d'être à la hauteur d'un amour pour soi donc pour l'autre. C'est la mort qui se dandine au balcon des désespoirs entretenus. Une première résurrection aussi grâce à sa fille, véritable bouée de sauvetage… Il est difficile de saisir le fil conducteur. Considérons que le lien de tout cela, c'est la musique, c'est le KGB (Kilimandjaro Global Band) de l'excellent Al Nyeréré, son mentor et dans une certaine mesure, son père adoptif...

Jaromil, sa fille, son père disparu...

Marc Alexandre Oho Bambé a déliberement choisi de ne pas proposer un roman dont la narration serait linéaire. Bien au contraire. Il nous perd dans sa construction fait d'un quotidien nourri par des maux passés encore présents, où on pose des mots pour mieux projeter sa progéniture dans un futur et c'est ce qui rend génial ce texte. Je vous propose le type de relation qu'il nous renvoie au fil de la lecture. Celle d'un père, Jaromil et de sa fille, Indira. Une relation complexe, tendre,chargée d'amour. Une relation qui dit une paternité qui prend sens quand Indira découvre son père au point de perdre sa vie en raison d'une overdose.Je dois dire que cette relation est touchante, perturbante, douce. Le père écrit beaucoup de choses à sa fille. Parfois, il parle. Parfois, il répond à sa fille. Elle a un regard candide, nourrit par la naïveté d'une enfant de son âge. Il s'accroche à la vie, en grande partie, à cause de sa fille. Mais aussi pour son amour à Maïsha, sa compagne, son épouse, son ex… Elle est artiste. Elle le challenge. Elle le bouscule. Elle doit cependant s'éloigner de lui, en raison de ses addictions à la drogue, à la musique, à l'alcool... Il y a sa mère et sa grand mère maternelle qui l'ont élevé, avec une proche très délicate dans la ville de Limoges, au coeur de la France. Le métis sans son père noir. Le père de Jaromil qui réapparait avec des lettres d'outre tombe. Dit comme cela, vous pourriez trouver cela macabre, la narration du père disparu sous la forme épistolaire est touchante, troublante. "Sommes-nous réellement abandonnés  ?",  "Qu'est-ce que l'amour au final ?" Je sors de cette lecture, ému. En dehors de quelques injonctions que Jaromil donne à sa fille, Marc Alexandre Oho Bambé questionne notre rapport à l'autre, nos attentes, nos colères tues, le don de soi, nos manquements. 

A Indira, Jaromil dit :

"Ose être

Égoïste parfois

Et travaille toujours

À être toi

Et à avoir

Une chambre à toi

Et rien qu'à toi

Vie intérieure

Lieu-refuge

Pour ton coeur

Nécessaire abri"

Indira, p.3, epub

Je retiens cette description de la vie jazz, cette vie de jazz,  cette vie en groupe, sous l'influence des grands noms de la discipline, une vie faite de hauts et de bas. Une vie où on se donne à la musique sans rien en attendre, où on espère tout sans rien attendre... Cette passion dévoreuse pour un instrument. La joie de performer. Texte très touchant sur le monde du jazz. 

Marc Alexandre Oho Bambé, Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé

Editions Calmann-Levy, 2023, version numérique


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