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Le petit Marcel, et le grand Proust. (Claude Arnaud)

Par Jmlire

petit Marcel, grand Proust. (Claude Arnaud)Proust

" À qui Proust s'était-il durablement attaché en trente ans de vie adulte...? Qui put se croire réellement son intime, avec ce que cela suppose d'abandon confiant ? Pour faire mieux l'amitié que l'amour, Cocteau l'accuse de n'avoir jamais su faire ni l'un ni l'autre. Marcel est comme Anna de Noailles, l'avait prévenu Lucien Daudet. Il n'a aucun cœur. Les gens qu'il "aime", il les oublie en cinq minutes. ( À moins qu'il ne les tourmente comme des mouches, ou qu'ils ne soient prétexte à se tourmenter.) Les scènes les plus étonnantes de la Recherche ne sont-elles pas des épisodes de vengeance ?... La Recherche, veut-il croire, aura d'abord permis à Proust d'assouvir ses désirs de revanches meurtrières. ( L'on se demande pourquoi Marcel Proust-Dr Jekyll pardonnait à l'humanité de Dieu, et se changeait en Marcel Proust-Hyde, quand il créait une humanité dont il devenait à mesure le bourreau, écrit Lucien Daudet. ).... Un pauvre être détraqué qui, en répudiant ses amis véritables, avait rompu tout rapport avec l'humanité. Coupant à son tour les ponts et les souterrains qui les rattachent encore, Cocteau ne voit plus en Proust qu'un étranger radical. Il cherche à rétablir la vérité sur cet insecte atroce qui aura englouti son entourage, à la façon des termites broyant des millions de brindilles, pour construire son ultime demeure.

N'aimant plus que les personnalités droites et les œuvres pures, avec le déclin de ses désirs, Cocteau se retourne contre tous ceux qu'il a trop souvent loués. La perversité amoureuse de Sachs, la cruauté conjugale de Picasso, le plaisir que prend Gide à tirer un enfant en guenilles de sa mansarde, à soixante-dix ans passés, lui répugnent désormais. L'omniprésence du Mal hante cet homme fier d'avoir une sexualité saine, dirigée vers des adultes consentants. Certain de sa propreté morale, heureux d'avoir mis en scène des anges, non des ordures, il s'étonne : ne mériterait-il pas plus que Proust une forme de béatification ?

petit Marcel, grand Proust. (Claude Arnaud)
Cocteau.

Comment les lecteurs ne voyaient-ils pas la montagne de merde que dissimule la Recherche ?...

Quiconque aborde aujourd'hui la Recherche ne lit évidemment pas le même livre que Cocteau. Il plonge dans une somme dont l'interminable accouchement lui a été épargné, comme les doutes qu'il inspirait à son auteur. Plus qu'une oeuvre, il explore un continent cartographié depuis un siècle et grouillant d'ouvrages adjacents, d'études littéraires et de traités philosophiques qui l'ont d'autant augmenté, qu'ils soient signés Walter Benjamin, Georges Poulet, Maurice Blanchot, Gérard Genette, Gilles Deleuze, Serge Doubrovsky ou Elisabeth Ladenson... Il s'engage dans une somme dont les contradictions elles-mêmes sont célébrées et au sujet de laquelle personne n'aurait plus l'idée de faire la moindre réserve. Il contribue à améliorer ce monument inachevé, en lui prêtant toutes les vertus...

Le petit Marcel que fréquenta Cocteau n'est pus qu'un vague souvenir, Le grand Proust l'a partout emporté..."

Claude Arnaud, extraits de Proust contre Cocteau, Éditions Grasset et Fasquelle, 2013.

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