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« Roissy » de Tiffany Tavernier

Par Ellettres @Ellettres
Roissy Tiffany Tavernier

Pour qui aime l’atmosphère des aéroports, « Roissy » de Tiffany Tavernier a tout du vade-mecum indispensable.

La narratrice, amnésique, a élu domicile dans ce grand aspirateur à voyageurs, ce non-lieu où se diffractent tous les possibles, j’ai nommé l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle.

Elle en connaît chaque coin et recoin, terminal, étage, ascenseur et sous-sol, jusqu’aux boyaux internes du Moloch, inconnus du public, ainsi que les meilleurs spots pour voir, que dis-je, sentir, les avions décoller. Elle fréquente les cafés, les relay, les supérettes comme les boutiques à souvenirs, les hôtels parfois. 

Armée d’une valise, bien habillée, elle se fond dans la masse des voyageurs et excelle à se créer de fausses identités et de fausses destinations – elle qui ne sait ni qui elle est, ni d’où elle vient – au gré de ses rencontres brèves et fortuites avec des passagers ou des employés, se nourrissant des bribes de vies en transit.

Elle est tour à tour businesswoman, travailleuse humanitaire, touriste en goguette, épouse modèle rejoignant son mari en expat. Elle assiste à des situations improbables, telle cette cantatrice qui entonne un aria de Carmen à la vue de son amoureux venu l’accueillir à son arrivée, ou cette Cubaine menottée dès sa sortie d’avion.

Comment survit notre narratrice ? Par quelques vols de sacs et l’aide apportée par le « peuple d’en bas », des SDF créchant dans les entrailles de l’aéroport. Mais « en surface », elle est indécelable, une voyageuse comme une autre. Jusqu’au jour où son chemin croise celui d’un homme qui attend chaque semaine l’arrivée du vol Rio-Paris…

3 raisons d’aimer ce roman.

1/ L’intrigue pour le moins captivante, voire haletante. On ne cesse de se demander comment la narratrice va faire pour ne pas être démasquée, et pour tirer parti des opportunités fournies par le fonctionnement de CDG. Il y a une tension jubilatoire entre le côté limité de la vie d’une SDF clandestine, dont l’univers se résume à un aéroport, fut-il énorme, et cette ruche ouverte aux quatre vents.

Ce qui m’amène au 2/ : l’écriture un peu hachée, comme des notes prises au vol, qui épouse très bien le rythme de cette existence en mouvement. Écriture sensitive qui rend les incessants tours et détours de l’héroïne pour ne pas se faire repérer par les services de sécurité, les milliers de personnes croisées par jour, le ballet aérien des avions, l’irruption des annonces au micro, des flashs info et des pubs sur grand écran. On la suit en mode caméra embarquée, c’est trépidant, virevoltant, comme un carrousel. Cinématographique, osons le mot, vu le CV de l’autrice, scénariste et fille de.

Enfin 3/ : le réalisme. On sent le travail de documentation à travers certains détails passionnants, de vocabulaire, de technique, d’histoire. On entend les témoins raconter ces mille et uns détails insolites d’un aéroport hors normes. Au risque parfois de faire partir le roman dans tous les sens (mais ça résume bien le fonctionnement d’un aéroport au fond).

Ce que j’ai moins aimé c’est la mise en scène du re-surgissement des souvenirs de la narratrice. J’ai trouvé le procédé très « fabriqué » et peu convaincant. Mais c’est assez mineur en regard de la jubilation procurée par cette lecture !

« Roissy » de Tiffany Tavernier, Sabine Wiespieser éditeur, 2018, 280 p.

Roissy Tiffany Tavernier
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