Magazine Culture

Balla Fofana : La prophétie de Dali

Par Gangoueus @lareus
Balla Fofana prophétie Dali

Il y a trois ans, je surfais sur la vague grandissante des podcasts. J’écoutais avec attention une multitude de prises de parole sur le vivre-ensemble. Ma démarche était assez large puisque sur Les Gentils hommes par exemple, je découvrais ou plutôt  je me faisais une mise à jour sur les nouveaux types de rapports entre hommes et femmes par exemple, j’entendais le point de vue des femmes sur les masculinités contemporaines en Occident dans Les couilles sur la table de Victoire Tuaillon ou encore des prises de parole de jeunes issus des quartiers populaires ou des banlieues échaudées de France avec P. The Builder ou Thé noir podcast. Je reviendrai sur ce regard sur les podcasts parce qu’il vaut le détour et un arrêt sur audios à peu de frais quand on a une bonne connexion bluetooth sur son smartphone...

C’est ainsi que je suis tombé sur l’histoire de Balla Fofana, un jeune journaliste reçu un an avant le Covid19 au podcast de P. The Builder. Ce dernier est ce qu’on appelle un grand frère. Dans le jargon populaire français, c’est cette figure qui a fait ses preuves dans les quartiers populaires, animés français, qui a parfois roulé sa bosse ailleurs, mais a toujours gardé le contact avec la "cité" pour certains profils ou encore y sont très investis en participant à la vie des quartiers pour d'autres. Ce sont des figures influentes. Et dans ce podcast, l'animateur avait une posture bienveillante, une écoute active, une distance, une vigilance à celui à qui on ne l’a fait pas. Une autre figure de ce genre de contenus est le célèbre Chairman qui pilote l'émission OuiHustle qui construit sa démarche en donnant la parole à des artistes et autres figures émergentes souvent issus de l'immigration africaine en France.

L’histoire de Balla Fofana est singulière. Et ce qualificatif est insuffisant. C'est le parcours d’un enfant né en France, revenant du Mali après un séjour prolongé, qui va être mis en classe de perfectionnement avec des enfants ayant un handicap mental, ou d'autres troubles ne permettant de suivre les cours au rythme normal des autres élèves. Le problème est que cet enfant n’est pas “débile”. Si je vous raconte ici les événements qui ont conduit l'éducation nationale à déclasser Balla, il est fort probable que vous ne me croyez pas. Il a juste posé un acte très mal interprété. Je vous encourage donc à écouter ce podcast encore disponible. 

La prophétie de Dali est la version romancée de cette histoire abracadabrantesque comme l'aurait si bien formulé l’ancien président français, Jacques Chirac. Le roman raconte ce parcours en usant du temps long qu’autorise la prose, contrairement à un podcast, il affine en toute intelligence le narratif qu’on peut construire à partir d'une telle expérience, sans agressivité, en dosant le choix des mots, le poids des langues qu’on convoque et en savourant avec une jouissance certaine l’âpreté de son propos qui porte tout de même sur un bug de l'éducation nationale. Dans sa forge, l’écrivain est seul, il n’est pas interrompu, il n’est pas orienté. Je connaissais également cet auteur pour un livre qu’il avait co-écrit, à savoir La rage de vivre une autobiographie du chorégraphe congolais Boléwa Sabourin, au parcours de vie tumultueux et exceptionnel. Lorsque j’ai appris la publication de ce premier roman, j’etais déjà doublement hameçonné.

C'est un roman sur une absence : 
Nous sommes en septembre 1992 et Baba notre père, Boukhary son mari, a fui. Partir sans se retourner, sans donner d'explication est assurément un privilège masculin. Les hommes arrivent à voir dans la fugitivité une forme de bravoure d'audace, voire de fatalisme : être un homme c'est fuir à un moment donné. Sans doute faute-il qu'une femme fugue pour qu'ils entraperçoivent tous les problèmes que pose la désertion. Mais pour cela, il faudrait que les femmes désapprennent la docilité.

L'absence du père est une problématique posée de manière élaborée dès le début du roman. C'est également un roman sur une présence trop souvent ignorée :

L'ancien dieu grec Atlas, uniquement adoré par les gens que la lecture finit par rendre solitaires et sauvages, porte la misère de ce monde sur ses épaules. Les femmes en pagne du Grand Paris la portent sur leurs articulations [...] J'ai décidé de les surnommer tanties Atlas. Elles parlent de "Premier" RER, "Premier" bus, "Premier "métro, comme si elles avaient un rang à tenir. (p.56)

Celle de Na, la mère de quatre garçons dont Balla. Femme de tous les combats. Femme potomitan, modèle peu courant.

C’est un roman sur le pouvoir des mots, de la langue, des paroles. C’est un roman sur le bien dire et le mal dire ou dire du mal. Sans procéder à des comparaisons faciles et parfaitement inutiles, je me demande parfois si le mal dire, le maudir, n'est parfois pas trop fréquent dans nos échanges. Un fou maudit en pleine rue de Bamako, l’enfant Balla, sans raison valable dans un épisode narré par Balla Fofana, l’écrivain. Entre quatre et cinq ans, on est une éponge sur le plan émotionnel, et l'impact de tels propos peuvent avoir une vraie incidence dans la vie d’une personne en construction. Quand une femme choisit de prendre en main son destin et celui de ses enfants, parce que son mari est parti sans laisser de réelles alternatives, les mots mauvais d’une communauté peuvent avoir une incidence. Et Balla est, en quelque sorte le réceptacle de ces fatwa, de ces malédictions. C’est le préquel de l’incident de la cantine qu'il conte à P. The Builder et qui va le condamner à une forme de marginalisation au sein de l’école de la République, mais également dans sa famille. Cependant Balla est un redoutable caméléon. Il est certes étouffé par cette assignation à tort sans particulièrement vouloir sans débarrasser. Il développe une aptitude à l’écoute, à l’attention, il est un témoin du combat de sa mère. au bras de fer avec ses frères et survivre à l’absence du père. C’est ce regard là qu’il nous propose. C’est aussi une rencontre avec le bien dire d’une personne marginalisée comme lui, la griotte Dali, qui annonce qu’il aura un grand destin.


C’est un roman sur la langue, les langues, le français, le kagoro. C'est un roman sur la cohabitation entre ces langues, entre les langues de Balla. C’est un roman sur celles et ceux qui enseignent ou celles et ceux qui réparent comme peuvent l'être un professeur de collège impliqué dans son désir de transmettre, un orthophoniste ou un psychologue. C’est un roman sur le désir de survivre à ce qui pourrait être une injustice. C'est un roman sur la tolérance, sur le respect des femmes, de nos mères, dont la mère de Balla est la parfaite représentante. A côté des hommes Charlot, elle est la femme Atlas qui porte le poids du monde. C'est la vision que Balla se fait de ces femmes. C'est un hommage qu'il rend à ces mamans solo issues de l'immigration, mises au ban de leur communauté quand elles prennent l'initiative d'affronter seule leur destin. C’est un roman sur les rapports entre deux cultures qui se confrontent ou qui s’ignorent. C'est aussi un discours sur la tradition orale face aux diktats et à l'arrogance de l'écrit. C'est un roman sur l'affirmation d'une identité, le refus d'une fuite en avant. Balla pense ceci :

Je joue à la console avec une génération qui veut juste "passer". Passer inaperçue. Ne pas être "tricard", "grillée", "cramée", "rodave". Mes leur rappellent un peu trop fort que notre teint, nos nez épatés, nos lèvres lippues sont tout sauf une évidence. Alors il faut justifier, rassurer, démontrer, rendre des comptes, expliquer d'où l'on vient, pourquoi nous sommes là. (p.65)

Après l’écoute du podcast, la lecture de ma critique, je vous prie d’écouter l’émission littéraire que j’ai consacrée à ce roman. Vous aurez donc le parcours client parfait qui devrait induire l’achat ou le déplacement à une bibliothèque pour vous faire votre propre idée sur l’histoire rocambolesque, mais riche, de Balla Fofana. Bonne lecture !

Balla Fofana, La Prophétie de DaliEditions Grasset, première parution en 2023, 206 pagesCopyright photo - Gangoueus

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Gangoueus 8178 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazines