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Arpenter la nuit

Publié le 10 février 2024 par Adtraviata
Arpenter nuit

Quatrième de couverture :

Kiara, dix-sept ans, vivote avec Marcus, son frère aîné, dans un immeuble d’East Oakland. Livrés à eux-mêmes, ils ont vu leur famille fracturée par la mort et la prison. Si lui rêve de faire carrière dans le rap, elle se démène pour trouver du travail et payer le loyer. Mais les dettes s’accumulent et l’expulsion approche. Un soir, ce qui commence comme un malentendu devient aux yeux de l’adolescente le seul moyen de s’en sortir. Elle décide de vendre son corps et d’arpenter la nuit. Mais rien ne l’a préparée à la violence de cet univers, et surtout pas l’arrestation qui la précipite dans un enfer aux antipodes de son imagination. Un roman à la beauté brute, porté une langue à fleur de peau.

Ce roman commence par une image assez sordide, celle d’une « piscine à crottes », la piscine du Regal-Hi, immeuble d’Oakland (Californie) où habite Kiara, la narratrice, dix-sept ans au début du récit, une piscine où un amoureux éconduit est venu déverser des crottes de chien par vengeance envers Dee, une toxicomane au crack qui néglige totalement son gamin de neuf ans, Trevor. Cette piscine pleine de m… est un peu le symbole de la vie de Kiara, seule avec son frère aîné Marcus : en général les noirs ne savent pas nager (on ne leur apprend pas), la vie de Kiara est une succession de malheurs mais elle sera toujours motivée, illuminée par diverses formes d’amour. Le père a milité avec les Black panthers, il a fait de la prison, en est sorti malade et est mort. La mère est dans un centre de réhabilitation sociale mais elle vit toujours dans un monde « à part », on comprend pourquoi au fil du roman (et cela nous laisse horrifiés). Marcus ne travaille pas, il est profondément traumatisé par l’histoire de ses parents et rêve de faire du rap, projet totalement utopique. On le comprend en lisant la quatrième de couverture : Kiara finit par se prostituer, un peu par hasard. Ce seul moyen qu’elle pense avoir pour survivre la projette aussi dans un univers de violence, de corruption, de racisme exacerbé.

Ce roman est inspiré d’une histoire vraie que Leila Mottley expose à la fin du roman : une histoire de prostitution de mineure à Oakland en 2015 qui a révélé un énorme scandale de corruption. Elle dit avoir voulu placer ce scandale sur les épaules d’une jeune fille noire. On sait que les jeunes filles noires sont encore plus exposées que les blanches à la violence, à l’insécurité, à la précarité, au racisme et souvent les mouvements de protestation concernent davantage de jeunes gens que de jeunes femmes.

Honnêtement, j’ai eu du mal à arriver à la fin du roman : si la vie de Kiara est illuminée par l’amour quasi maternel qu’elle est capable de donner à Trevor (et on se demande comment elle fait), elle m’a paru (trop) accablée de malheurs sordides : je vieillis sans doute mais même si je sais que ces malheurs existent bien, « trop is te veel » comme on dit en Belgique. Kiara est certes touchante mais elle a fini par me mettre à distance de son vécu toujours vu de son point de vue. On a envie de secouer son frère pour qu’il revienne dans la réalité. L’écriture est belle, habitée des rêves de Kiara de trouver l’amour, le vrai, elle donne de la légèreté à cette histoire tellement noire mais il y a des longueurs évitables.

Un bilan en demi-teinte donc.

« Je crois que ce jour pourrait être celui que j’attendais. Le jour où mon frère va décider de redresser la tête et de réapprendre à tenir plus ou moins le coup dans cette vie. Le jour où il va poser sa tête sur mes genoux et me laisser le bercer. Il pourrait même me prendre la main ou me demander pourquoi j’ai des bleus en travers de la poitrine. Il y a des moments comme ça où j’ai l’impression d’être coincée entre la mère et l’enfant. Où j’ai l’impression d’être nulle part. »

« Le plus souvent je dis que je ne crois en rien, sauf que la façon dont la nuit met des couleurs sur tout me donne envie de croire. Pas à l’au-delà, ni au paradis, ni à aucune de ces conneries. Ça, c’est juste des trucs qui nous font nous sentir mieux par rapport à la mort et moi je n’ai aucune raison de craindre la mort. Je crois simplement que les étoiles pourraient s’aligner et atteindre un autre monde
Pas la peine que ce soit un monde meilleur parce que ça, ça n’existe sûrement pas. Je pense que c’est autre chose, un quelque part où les gens marchent un peu différemment. Si ça se trouve, ils parlent en vibrations. Ou alors ils ont tous le même visage, ou pas de visage du tout. Quand j’ai le temps de fixer le ciel, je m’imagine avoir assez de chance pour apercevoir ce quelque chose. Mais je finis toujours par être ramenée sur cette planète. »

Leila MOTTLEY, Arpenter la nuit, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pauline Loquin, Le Livre de poche, 2024 (Albin Michel, 2022)

Prix des lecteurs du Livre de poche – sélection Février 2024

Ce roman peut aussi participer au African American History Month chez Enna.


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