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l'unique possibilité de toucher à la vie. (Paul Nizon)

Par Jmlire

l'unique possibilité toucher vie. (Paul Nizon)Paul Nizon 1969

" J'ai toujours pensé que la Suisse préfigurait ce qui allait nous arriver en Europe, c'est-à-dire une mort vivante par étouffement dans un matérialisme total. Avec, en lieu et place de la politique et de la création, l'administration et la frustration...

Nous sommes encore, je crois, le pays le plus riche du monde, plus riche que l'Arabie saoudite. Or, ce confort, selon la mythologie suisse, n'est que juste mérite. Il est le fruit de l'honnêteté, de l'héroïsme, de la neutralité et de la capacité à travailler. C'est faux. la Suisse s'est enrichie parce qu'elle était le fric noir de la mafia, des juifs gazés et qu'elle est complice de tous les délinquants du monde. C'est pour cela que l'écrivain et l'intellectuel sont là-bas contraints d'écrire contre, et de démasquer...

La littérature naît presque toujours d'un manque. D'un côté, je ne pouvais pas prendre appui sur mes racines dans la mesure où mon père , même de son vivant, n'existait pas vraiment. C'était un immigré et, pendant la guerre, le nationalisme était très exacerbé. De l'autre, à l'âge de douze ans, j'ai vécu une histoire d'amour compliquée. Ces deux situations m'ont expulsé du monde, jeté à côté et j'ai commencé à mener une double vie.

Extérieurement, je faisais ce qu'il fallait, plus ou moins bien. Intérieurement, je menais une vie intense et secrète nourrie de réflexions et de sentiments qu'il fallait gérer pour ne pas m'exposer en tant qu'être faible. je n'avais jamais assez de temps, de silence pour penser, rêver ou digérer les choses qui se passaient en moi. Je me suis mis à les noter. Ce n'était pas des récits, pas des romans, ni des pièces, juste de petites choses...

Très tôt j'ai eu la conviction que l'écriture est beaucoup plus forte que la vie et que la vie se perd n'importe comment, que presque tous les vivants ne touchent jamais à leur vie à eux, qu'ils sont comme de la marchandise emballée, qu'ils traversent leur vie comme ça, empaquetés sans jamais sortir leurs mains. La vie de la vraie littérature est beaucoup plus puissante. C'est l'unique possibilité de toucher à la vie. C'est aussi, à l'opposé, l'obligation pour l'écrivain de créer la vie dans un sens bouleversant, de dégager la vie dans chaque syllabe, une vie qui n'était pas disponible, pas touchable ailleurs..."

Paul Nizon : extrait d'un entretien avec Catherine Argand, Magazine Lire n°256,juin 1997, recueil "Les grands entretiens de Lire", par Pierre Assouline, Éditions Omnibus, 2000.


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