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L'art de perdre : se perdre pour retrouver les racines d'Alger - Théâtre Gérard Philippe (Saint-Denis)

Par Filou49 @blog_bazart
mercredi 14 février

Capture d’écran 2024-02-13 à 19

De grandes lunettes qui donnent un effet loupe, les pieds qui gigotent jusqu’à s’entremêler sous les notes de musique… Le tableau s’ouvre avec Naïma alcoolisé qui danse jusqu’à en tomber par terre. L’Art de perdre d’Alice Zeniter fut un livre événement lors de sa sortie en 2017, récompensé par de nombreux prix : Naïma, 30 ans, travaille dans une galerie d’art à Paris quand les attentats de novembre 2015 résonnent comme un électrochoc : la voici renvoyée à sa peau mate, à ses cheveux bouclés, au silence de son père et à la honte de son grand-père harki.

Comment est née cette adaptation ? Sarina Kouroughli a rencontré Alice Zeniter au Collège de France, où elle assistait le metteur en scène Jacques Nichet, entre une thèse sur Martin Crimp et une pièce sur la quête d’identité de ce dramaturge. C’est l’étincelle ! Comprendre comment chaque jour, des personnes sont obligées de quitter leur maison, souvent brutalement. Fuir un conflit ou la misère, échapper à des persécutions, vouloir un avenir meilleur. De Syrie en Afghanistan, d'Érythrée en Ukraine, autant de déracinés. Le théâtre se focalise davantage sur l’histoire familiale plutôt que la saga historique ici. 

Sans (personnellement) avoir lu le livre, on se laisse porter par l’adaptation, évidente à imaginer au premier abord, qui traite de la quête d’identité notamment des 2e et 3e générations d’immigrés et des mémoires de la guerre d’Algérie. Naïma commence ce voyage existentiel à la suite des attentats terroristes survenus en Algérie ; lui revient les paroles de sa grand-mère Yema, incarnée par Fatima Aibout. Plus sa vision revient, plus la colère monte : une colère enfouie au plus profond d’incompréhension, de révolte contre une injustice… La cuisine est le lieu dans lequel se réunit la famille, le lieu du dialogue et de résolution des conflits sur ce sujet tabou. Puis se pose un dernier plan : un homme de dos avec sa valise. C’est Ali, le grand-père (interprété par Issam Rachyq-Ahrad) que Naïma n’a pas assez connu, paysan enrichi, propriétaire d’une oliveraie florissante. C’est à lui que revient la décision du départ de la terre de Kabylie vers la métropole.

Capture d’écran 2024-02-13 à 19
 

Sarina Kouroughli livre une performance bouleversante dans ses joies comme ses tristesses et signe une mise en scène pleine de symboliques : une veste appartenant au grand-père de Naïma rempli de médailles accordées par l’armée française, d’où cette reconnaissance éternelle, une carte de l’Afrique du Nord, des livres sur la guerre d’Algérie (que l’historiographie a longtemps appelé « évènements »). Tous ces signes qui accentuent le silence trans-générationnel. Cette histoire individuelle se retrouve dans la collective ; l’histoire de Français.es en quête d’un sens derrière une double-culture, de se la réapproprier et surtout de l’inscrire dans un contexte plus large : « Double culture, mon cul », dit Naïma crûment. À travers cette quête de réconciliation avec la mémoire familiale, elle pose la question de la transmission : que veut dire transmettre un pays, une culture, une langue, une histoire faite de silences ? Comme Alice Zeniter, la metteuse en scène et comédienne Sabrina Kouroughli a une grand-mère kabyle et analphabète et un grand-père harki.

Jusqu’à ce que la lumière se tamise au bout d’1h10 avec Naïma qui décide de prendre le bateau dans l’autre sens que ses grands-parents pour aller découvrir les terres d’Algérie, et finir une danse au son de Tel est ton désir (libre et femme), la chanson de Matoub Lounès, le grand aède kabyle assassiné en 1998 durant la décennie noire.

« – Papa ! J’ai décidé d’y aller. En Algérie.
– Est-ce que je peux te l’interdire ?
Ce que je voudrais, c’est qu’il m’aide.
– Non, mais tu ne m’as jamais rien dit de l’Algérie !
– Qu’est-ce que tu veux que je te dise ?
J’ai vu Alger pour la première fois en m’enfuyant du pays. Alors tu veux que
je te raconte quoi ? La couleur des murs de ma chambre à coucher ? Je ne connais rien de l’Algérie. »

Crédits photos : Gaëtan Vassart

L’Art de perdre

Écrit par Alice Zeniter

Mis en scène par Sabrina Kouroughli

Avec Sabrina Kouroughli, Fatima Aibout, Issam Rachyq-Ahrad
1h15

Le spectacle s'est joué du 25 janvier au 9 février 2023 au Théâtre Gérard Philipe-Centre Dramatique National de St-Denis (93)

En tournée

9 & 10 avril 2024
Moulin du Roc-Scène Nationale de Niort (79)

13 avril 2024
Théâtre de Grasse – scène conventionnée d’intérêt national (06)

16 avril 2024
Théâtre de l’Olivier à Istres – Scènes et Cités (13)

19 avril 2024
Théâtre St-Denis à Hyères(06)

Jade SAUVANET


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