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Ne le laissez pas passer !

Publié le 17 février 2024 par Morduedetheatre @_MDT_
laissez passer

Critique de Passeport, d’Alexis Michalik, vu le 7 février 2024 au Théâtre de la Renaissance
Avec Christopher Bayemi, Patrick Blandin, Jean-Louis Garçon, Kevin Razy, Fayçal Safi, Manda Touré, Ysmahane Yaqini

Je me souviens encore de ma rencontre avec l’oeuvre d’Alexis Michalik. C’était il y a dix ans, lors du OFF d’Avignon. On parlait déjà de lui comme du petit prodige du théâtre français et je me méfiais de l’effet de mode. J’ai été complètement soufflée. J’ai toujours refusé de revoir Le Porteur d’histoire pour ne pas entacher le souvenir de cette soirée parfaite. Mais j’ai vu tous les autres Michalik depuis – sauf Une histoire d’amour, clouée au lit par une méchante grippe, puis déchauffée par les retours qu’on m’avait fait sur la soirée. Et, comme pour beaucoup dans le microcosme théâtral, un nouveau Michalik, pour moi, c’est quand même un petit événement. Et j’avais hâte.

La jungle de Calais. Voilà où nous emmène Alexis Michalik cette fois-ci. Dans une fiction qui emprunte à la réalité. On va suivre Issa, un jeune Érythréen qui se réveille un jour dans la jungle sans aucun souvenir de son passé. Il n’a sur lui que son passeport. Il se débrouille en français. Et le voilà parti, sans plus d’armes que ça, pour obtenir son titre de séjour. Et tenter, au passage, d’en apprendre davantage sur ce qui lui est arrivé, ce soir-là…

J’avais hâte, mais je n’étais largement pas acquise. Au contraire. J’avais presque l’impression d’avoir vécu moi-même la déception d’Une histoire d’amour et je trouvais le sujet de l’immigration un peu touchy. Bref, Alexis Michalik me semblait être sur un terrain glissant. Et le début du spectacle m’a d’abord confortée dans mon idée : la première chose que je me suis dite devant le spectacle, c’est que c’était bien lent pour du Michalik. J’avais encore en tête le début de Big Mother (de Mélody Mourey, certes, mais dont l’inspiration michalikienne est évidente), complètement saisissant, haletant, assourdissant, et je crois que c’est à ça que je m’attendais. Mais pas du tout.

Ce début prend davantage son temps que ce à quoi Michalik nous a habitués, et pour cause : le début doit être lent en accord avec notre point de départ, cette mémoire oubliée. Sans oublier qu’on traite ici d’un sujet peut-être plus difficile qu’à l’ordinaire, et mettre en place les bases de cette histoire nécessite un traitement légèrement différent de d’habitude – d’autant que des informations issues du réel viennent se mêler à la fiction. Il faut parvenir à captiver le spectateur tout en lui glissant des éléments purement factuels qui peuvent tendre vers le didactique. C’est dans pareille entrée en matière qu’on se rend compte que le théâtre de Michalik ne supporte aucune erreur. C’est la mise en scène, le rythme, l’énergie qui font tout ; ce qu’il raconte est fondamentalement banal et emprunte parfois aux lieux communs. Donc, si la magie Michalikienne ne prend pas, on se retrouve avec une histoire aux airs de déjà-vu, aux gros fils qui dépassent et qu’on peut facilement tirer pour anticiper la suite. Il faut que l’engrenage prenne. Et l’engrenage prend.

L’engrenage prend, le récit s’emballe, et on est emporté. Michalik se transforme à nouveau en magicien et fait un magnifique tour de passe-passe pour retomber sur ses pieds sans qu’on n’ait rien vu venir. J’ai vu passer des critiques disant que c’était un peu bisounours. C’est vrai. Mais qu’est-ce qu’on s’en fout. On n’attend pas de Michalik une dissertation sur l’état de l’immigration en France. On est là pour qu’il nous raconte une histoire – et en plus, vous savez quoi, on peut même admettre qu’on aime bien quand parfois ça finit bien. Les pièces de Michalik font du bien. C’est un conteur. Un passeur. Un porteur d’histoire. Et un directeur d’acteurs hors pair, au passage. On se demande parfois où vont ces fils qu’il tisse tout autour de son tissu principal. Mais c’est oublier qui on a en face de nous. C’est le Maître du jeu. On peut avoir confiance. Il tisse à merveille. Il a l’art de nous mener en bateau. Et pour moi, il faut bien le reconnaître, ça reste un bonheur de monter à nouveau dans une barque avec lui.

Chouette, un spectacle de plus qu’on va pouvoir conseiller pendant des années !

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© Alejandro Guerrero

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