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Tramway désir : descendre à Bouffes-parisiens

Publié le 19 février 2024 par Morduedetheatre @_MDT_
Tramway désir descendre Bouffes-parisiens

Critique d’Un Tramway nommé désir, de Tennessee Williams, vu le 8 février 2024 au Théâtre des Bouffes Parisiens
Avec  Cristiana Reali, Alysson Paradis, Nicolas Avinée, Lionel Abelanski, Marie-Pierre Nouveau, Djibril Pavadé et Simon Zampieri en alternance avec Tanguy Malaterre, mis en scène par Pauline Susini

J’avais très envie de voir ce Tramway mais je savais que d’une manière ou d’une autre je serais embêtée par la critique. Car je n’aime pas Tennessee Williams et le Tramway est, des pièces que je connais de lui, peut-être celle que j’aime le moins. Je savais donc que je me mettais moi-même en difficulté pour le papier à écrire. Mais je ne m’attendais pas à ce type de difficulté-là. Je dois donc écrire quelque chose sur une pièce que je n’aime pas et devant laquelle je me suis retrouvée debout à la fin. Double joie, double peine. C’est tellement dur de mettre des mots sur un travail qui nous semble parfait. Ou, du moins, bien plus intelligent que nous.

Un jour, Blanche débarque chez sa soeur, Stella. Elle a l’air folle, ou en tout cas complètement perdue. Elle débarque dans un monde qui n’est pas le sien, dans un quartier pauvre de la Nouvelle-Orléans. Elle avait ses habitudes dans de plus beaux quartiers. En tout cas, c’est ce qu’elle dit. C’est ce qu’elle donne à voir. Car si, physiquement, elle a changé d’endroit, dans sa tête, elle est clairement ailleurs. Pour mieux accepter ce qui l’entoure, ou pour s’en échapper constamment ?

Immédiatement, il se passe quelque chose. Immédiatement, on sent qu’on joue dans la cour des grands. On a pénétré autre part. Est-ce une histoire d’atmosphère ? Est-ce que ce sont ces grands décors élégants, inhabituels dans le théâtre privé ? Est-ce que c’est cette musique qui nous accompagnera pendant tout le spectacle ? Est-ce que c’est l’entrée en scène de Cristiana Reali, qui tout de suite impose quelque chose comme malgré elle ? C’est sûrement un peu de tout ça à la fois. C’est la cohérence, l’équilibre, le point focal. On est là où on devait être, comme en résonance avec l’oeuvre de Williams.

La mise en scène de Pauline Susini est impressionnante. J’avais souhaité découvrir deux aspects de son travail en me rendant d’abord aux Consolantes, le samedi précédent. Voir ce qu’elle pouvait proposer, dans un lieu complètement différent, sur un sujet proche du théâtre documentaire. Je comprends tout de suite que son théâtre me parle. C’est une mise en scène totale, qui met tous les sens en éveil. Une mise en scène qui parvient à combiner l’image et jeu et qui, sans jamais oublier le beau, semble toujours être dans l’action. Une mise en scène qui impose son propre rythme en donnant toujours l’impression d’avancer.

On a presque l’impression d’en être, comme si notre siège de spectateur s’ajoutait aux pièces de l’appartement. La scénographie, par ailleurs d’une grande élégance, fait preuve d’une étonnante ambivalence : tantôt lumineuse, ouverte, accueillante, elle se transforme rapidement en un lieu étouffant dans lequel le sentiment d’enfermement est palpable, habillé non seulement par des ambiances lumineuses imposantes, mais également par une musicalité très présente. C’est peut-être ce qui m’a le plus marquée dans ce spectacle. L’importance de la musique. Et comme, selon les passages, elle peut donner l’impression soudaine de se retrouver dans la tête de Blanche. Et de s’en extraire, aussi rapidement qu’on y est entré.

Cette multitude de points de vue ne serait pas possible sans une direction d’acteurs au cordeau. Pour monter Le Tramway, il faut une Blanche. Pauline Susini l’a trouvée en Cristiana Reali. Sa composition est étonnante, inhabituelle. On connaît Blanche inquiétante, déséquilibrée. Cristiana Reali en fait autre chose. Lui donne d’autres teintes. Tantôt enfant capricieuse, ado qui prépare un bal, chat craintif, femme fatale, elle respire l’étrangeté. Et l’étrangère. Au milieu de cet appartement, au milieu de ces individus, elle détonne. Elle ressort. Elle est autre. Presque comme si le contact de ce qui l’entoure pouvait la contaminer d’une quelconque manière. Catapultée dans un monde qui n’est pas le sien. Autour d’elle, chacun a su trouver sa note spécifique, tous jouant une partition cohérente au sein d’une même tonalité. Elle est la dissonance dans la gamme. Le changement de mode. L’altération inattendue.

Une poupée de cristal qui danse avec un ours. C’est l’image qui me vient lorsque les personnages de Blanche et de Stanley se rencontrent. Lorsque Cristiana Reali joue avec Nicolas Avinée. J’avais entendu quelques critiques sur le choix de distribuer Avinée en Stanley. Avinée n’est pas Marlon Brando, et Marlon Brando a tellement marqué le rôle que la comparaison s’est invitée à la fête. Mais je n’ai pas vu le film et j’adore Avinée. J’ai fait confiance. J’ai eu raison. Il n’a pas le physique massif qu’on imagine pour le rôle ? Qu’importe. Il compense par une démarche bestiale, agressive, plus mascu que mascu. Quelque chose d’animal émane de lui. Une certaine puissance aussi. L’air autour de lui semble soudain plus dense, presque chargé électriquement. La composition est bluffante. Il en impose. Et pourtant, infime, au milieu de cette violence, il laisse la possibilité d’une faille. Un ours avec une faille. Il n’y a vraiment qu’au théâtre qu’on peut voir ça.

Pauline Susini. Retenez bien ce nom. Pauline Susini. Merci.

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Un Tramway nommé désir – Théâtre des Bouffes Parisiens
4 rue Monsigny, 75002 Paris
A partir de 15€
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Tramway désir descendre Bouffes-parisiens

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