Magazine Culture

Sublimation ?

Publié le 06 mars 2024 par Morduedetheatre @_MDT_
Sublimation

Critique de Ceux qui se sont évaporés, de Rébecca Déraspe, vu le 19 février au Théâtre de Belleville
Avec Anne Coutureau, Olivier Martial, Laurent d’Olce, Benjamin Penamaria, Chloé Ploton, Camille de Sablet, Elisabeth Ventura, mis en scène par Fabian Chappuis

C’est d’abord le nom d’Elisabeth Ventura qui m’a amenée ici. Découverte il y a presque quinze ans dans Les Femmes Savantes mises en scène par Arnaud Denis, je l’ai ratée il y a quelques années dans Les Filles aux mains jaunes – c’est toujours comme ça avec les succès, on se dit qu’on a le temps et on les rate – puis retrouvée, avec bonheur, dans L’invention de nos vies. Son nom me suffisait à retourner dans ce chouette théâtre de Belleville que je fréquente trop peu. Celui de Fabian Chappuis aurait pu finir de me convaincre tout à fait : je me souviens encore du grand bruit qu’avait fait sa mise en scène de A mon âge, je me cache encore pour fumer.

Ceux qui se sont évaporés ont fait un choix. Sans rien dire à personne, sans signe avant-coureur, un jour, ils ont tourné le dos à leur vie et ils ont disparu. Parce que ce qui se passait à l’intérieur n’avait rien à voir avec ce qu’ils pouvaient afficher. Et qu’ils ont laissé la situation s’enliser. Sans parler. Sans révéler ce qu’ils étaient vraiment. Comme si personne, autour d’eux, ne les connaissait. Alors, un jour, pour se reconnecter à eux-mêmes, ou juste parce qu’ils ne peuvent pas affronter leur quotidien plus longtemps, ils partent.

Il y a un rythme, tout de suite. Induit par cette manière d’être à sept au plateau en n’étant qu’une seule voix, la voix de la narration, qui soudain, sans prévenir, laisse la parole à la voix des personnages. Cette voix de la narration m’emporte avec elle. Elle a quelque chose d’original, de saccadé, de presque inattendu. C’est une langue particulière, une chouette langue, phrase courtes, presque nominales, une langue télégramme qui porte en elle le rythme de ce qu’elle décrit et les émotions qu’elle invoque. Comme si elle était directement liée à notre sujet, à ses interrogations, à ses doutes. Cette langue me plaît. Cette langue me parle. Cette langue m’accroche.

La tension monte progressivement, accompagnée par ce rythme particulier. La mise en scène stylise ce qui pourrait être au ras du réel. Le spectacle a quelque chose de captivant. Jusqu’à ce que. Jusqu’à ce que le spectacle atteigne son point culminant. Notre personnage disparaît. Et, quelque part, l’enjeu principal – en tout cas celui qui m’intéressait, moi, principalement – disparaît un peu aussi. Avec notre personnage disparaît aussi notre narration, pour laisser plus de place aux dialogues. Le rythme ralentit. Le sujet se déplace. On s’intéresse maintenant davantage aux répercussions de la disparition, à l’effarement, aux tentatives de reconstruction. De thriller, on passe presque à série documentaire. C’est toujours aussi bien fait, mais peut-être plus attendu. Plus réel. Comme si quelque chose cristallisait autour de cette disparition. De l’évaporation, nous voilà passé à la condensation. Et ça a quelque chose de peut-être un peu douloureux aussi, évoquant quelques souvenirs récents que j’aimerais oublier le temps du spectacle et qui s’invitent dans ma tête. J’aurais peut-être préféré rester hors du réel encore un petit moment.

C’est étrange de se dire que, le plus marquant dans cette histoire, c’est l’évaporation.

♥
♥

Sublimation

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Morduedetheatre 2245 partages Voir son profil
Voir son blog