
Jeanne Elizabeth Crain est l'un de ces nombreux visages d'Hollywood des années 1950, qui, bien que pétris de talent, n'ont jamais été au-delà d'une carrière très honorable, remarquée, mais ultimement vouée à l'oubli. La carrière de la petite californienne avait pourtant bien débuté puisqu'en plus de quelques apparitions remarquées (" Leave Her to Heaven" , " A Letter to Three Wives" ), elle s'était retrouvée finaliste à l'Oscar de la meilleure actrice 1949 pour " Pinky " d'Elia Kazan, dans lequel elle incarne une jeune infirmière à la peau blanche ayant du mal à composer avec son héritage afro-américain. Un rôle complexe qui n'a finalement pas vraiment fait décoller son étoile.

Il faut dire que, comme Doris Day, elle était trop sage pour rivaliser avec les voluptueuses tentatrices à la Rita Hayworth. Comme Lucille Ball, elle était trop mondaine pour jouer les diablesse à la Harlow. Trop vieille, elle ne pouvait pas non plus jouer les teen-idols... La Fox - avec qui elle a été sous contrat durant près de quinze ans - lui a donc surtout attribué des personnages de gentilles filles, des " girls-next-door ", qui ne donnent naissance que très rarement à des prestations mémorables. En outre, en bonne catholique républicaine qu'elle était, Jeanne Crain a eu sept enfants, ce qui n'a sans doute pas facilité sa carrière au cinéma.
Toujours est-il qu'en 1960, elle a 35 ans, et sa carrière tire à sa fin. Comme beaucoup d'autres stars en quête de second souffle, c'est vers Cinecittà qu'elle se tourne. Elle apparaît dans trois productions de grande ampleur, dans lesquelles elle obtient des premiers rôles de qualité, lucratifs, mais peu mémorables. " Nefertite, regina del Nilo " de Fernando Cerchio est le premier des ces trois films; les deux autres étant " Ponce Pilate " avec Jean Marais et " Par le fer et par le feu " de Cerchio encore, avec Pierre Brice.
Néfertiti, reine du Nil c'est l'illustration totalement fictionnelle des amours tourmentés de l'épouse d'Akhenaton. Bien que peu de choses soient sûres à propos de cette grande reine d'Égypte, les quatre scénaristes lui inventent une vie tumultueuse et tragique, au contact de trois hommes dont les desseins différents ne s "accordent guère avec ses désirs d'accomplissement. En premier lieu, elle subit la loi de son père, l'abominable Vincent Price, qui excelle dans le rôle du grand prêtre Benakon, homme fourbe, menteur, traitre à la nation qui plus est, dont le seul objectif est de destituer le pharaon pour s'emparer du trône. C'est d'ailleurs lui qui avait manipulé les sentiments de sa fille afin de lui faire épouser Aménophis (timide Amedeo Nazzari), devenu pharaon après la mort de son père. Un homme qu'elle n'a jamais aimé, mais qu'elle respecte et supporte parce qu'elle a acquis le sens du devoir. Et puis, il y a la pureté, l'innocence du jeune Tumos, modeste sculpteur qui, sous les traits de Edmund Purdom, manque cruellement de relief. Il est l'ami d'Aménophis et avait obtenu son accord pour favoriser ses noces avec la femme de son choix... et qui est, vous l'aurez deviné, nulle autre que Néfertiti.

Je dois me prouver à moi-même que je suis reine sans cesser d'être femme.
Voilà les bases de ce drame kafkaïen (et encore, j'ai écourté...), qui, ne serait-ce l'enrobage visuel, les milliers de figurants, et un combat final enlevé, ressemble fort à un triangle amoureux tout ce qu'il y a de plus contemporain. Le scénario ménage cependant quelques références destinées à faire cadrer la romance dans le contexte d'alors, notamment en accordant beaucoup d'importance à un vieux prêtre sage et pacifique qui voue le culte d'Athon, Dieu unique " qui abhorre le sang et aime la paix ".
En grande comédienne qu'elle était, Crain s'acquitte de la tâche avec le plus grand sérieux, incarnant mieux la fragile amoureuse qu'elle était quand elle s "appelait encore Tenet, que de la grande Néfetiti, figure royale majestueuse de l'Égypte ancienne. Elle donne à un personnage limité une stature, une prestance, mais n'arrive pas à compenser les limites d'un film trop sage, et certainement trop anodin pour rendre hommage à son sujet. Après quelques apparitions à la télé et dans des séries B sans intérêt, Jeanne Crain mettra un terme à sa carrière en 1971, à l'âge de 46 ans.
En raison de ses libertés historiques, son interprétation limitée et une direction photo ratée, " Néfertiti, reine du Nil " n'a pas marqué l'histoire du péplum. C'est néanmoins un divertissement qui se regarde sans déplaisir dans une très belle version française disponible sur la chaîne YouTube de Films & Clips.
