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l'odieuse sagesse du temps. (Claro)

Par Jmlire

l'odieuse sagesse temps. (Claro)Claro, 2010.

" Le temps des adieux est un temps froid et sec : la santé y gagne ce que l'affection y perd. Nikolaï Mikloukho-Maklaï, qui a tout juste passé la vingtaine, embarque donc aux côtés du zoologue Haeckel.

Ce dernier a perdu sa femme et, paraît-il, le goût de vivre, à croire qu'un secret nichait et palpitait dans l'autre et qu' en rentrant sous terre cette autre a préféré emporter avec elle tout ce qui aujourd'hui pourrait aider le veuf à ne pas vouloir la rejoindre...

Nikolaï, lui, reste sourd aux stratégies du deuil, dont tant selon lui se repaissent, au point qu'il finissent par trouver un début de saveur dans son complexe entretien, tant leur fait horreur le rire de l'oubli. Quitter l'autre lui est facile. Nécessaire. Il ne voit aucun mystère dans la perte, seulement un raccourci permettant l'esprit de devancer la chair. Aux enterrements, c'est tout juste s'il ne félicite pas les vivants de leur endurance...

Le soir, quand Nikolaï s'enferme dans sa cabine où le roulis dicte sa loi et casse les assiettes, ce n'est pas à Haeckel qu'il pense, ni à la défunte madame Haeckel, ni même à lui. Il pense aux pensées qui l'habitent, et qui se moquent des cierges et des catafalques. Il pense aux éponges, mortes-et-non-mortes, qui essaiment au fond des mers l'odieuse sagesse du temps. Au plancton, dont la danse iridescente recèle sans doute des motifs édifiants. Il pense à tout ce qui se mesure, se pèse, se transforme, se dissout. Puis il bourre sa pipe et étudie les volutes de fumée que le plafond aplatit en un champignon indécis...

Les proches ne l'intéressent pas, ; les proches ne le retiennent en aucun point de la surface de son être, qui pour lors ne connaît que tension, étant réduite à une passion : celles des éponges. Il sent qu'en elles, dans ce semblant de cœur qui bat en chacun de leurs alvéole, bruit une énigme dont même Darwin n'a pas soupçonné la portée. (En français, alvéole peut être masculin ou féminin, ce qui réjouit, même si l'on sait hélas que ce sont les hommes qui régentent ce genre de choses.)...

Claro : extrait de "Hors du charnier natal", Éditions Inculte, 2016. Du même auteur, dans Le Lecturamak :

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