Magazine Culture

Les gardiens du phare

Publié le 18 mars 2024 par Adtraviata
gardiens phare

Quatrième de couverture :

Au cœur de l’hiver 1972, à plusieurs milles de la côte de Cornouailles, une barque brave la mer pour rejoindre le phare du Maiden Rock. À son bord se trouve la relève attendue par les gardiens. Pourtant, quand elle accoste enfin, personne ne vient à sa rencontre. Le phare est vide. La porte d’entrée est verrouillée de l’intérieur, les deux horloges sont arrêtées à la même heure et le registre météo décrit une tempête qui n’a pas eu lieu. Les trois gardiens se sont volatilisés. Vingt ans plus tard, alors que les flots semblent avoir englouti pour toujours leurs fantômes, les veuves des trois hommes ne peuvent se résoudre à tourner la page. Le vernis se craquelle, le sel de la mer envahit le présent, et les secrets profondément enfouis refont surface.

Troisième livre du Jury des lecteurs de mars, c’est aussi un premier roman : du moins ici, c’est le premier publié sous le vrai nom de l’autrice et cela se sent, c’est maîtrisé !

La construction nous fait naviguer (désolée pour le jeu de mots facile) entre fin 1972, époque où les trois gardiens de la Maiden Rock, un phare de haute mer, ont mystérieusement disparu, et 1992, vingt ans plus tard, quand un écrivain connu s’empare du sujet et veut rencontrer les trois veuves pour tenter de comprendre le mystère. Ce sont trois femmes bien différentes : Helen, veuve du gardien-chef (Arthur Black), a quitté la côte depuis le drame, elle accepte de parler ; Jenny, veuve toujours éplorée du gardien auxiliaire (Bill Walker) se drape dans un costume d’épouse et de mère de famille parfaite ; Michelle, qui n’a connu le gardien remplaçant que quelques semaines avant sa disparition, ne s’est jamais remise de la mort de celui qu’elle considère comme l’amour de sa vie, même si elle a fondé une famille par après. A savoir que Trident House, qui gère le personnel des Phares et Balises, interdit toujours à ces femmes de parler de la catastrophe. Si le récit nous ramène en 1972, c’est aussi pour vivre dans le phare avec les trois gardiens et percevoir leur travail quotidien et surtout leurs pensées intimes, leurs sentiments dont on va vite comprendre qu’ils ne coïncident pas avec ce que croient vivre leurs femmes. Je n’ai pas envie d’en dire plus pour ne pas gâcher mais vous devinez que des secrets bien enterrés vont petit à petit remonter à la surface et que le parallèle entre 1972 et 1992 fait monter la tension au fur et à mesure.

Quelques jours avant leur disparition, l’ambiance dans le phare change : besoin de rentrer à terre ? soupçons ? souvenirs lancinants ? problèmes techniques bizarrement résolus ? Il y a du réalisme magique dans la fin proposée par Emma Stonex (qui s’est basée sur une histoire vraie, plus ancienne), une fin à la fois claire et toujours aussi mystérieuse.

La construction du roman, la vie en huis-clos dans un phare de haute mer où le travail est répétitif et ô combien important pour les navires, la finesse des caractères, les secrets enfouis, voilà autant de qualités qui m’ont fait apprécier ce roman. Je suis bien contente que le jury du Livre de poche m’ait donné l’occasion de le connaître.

« Il faut avoir une sacrée trempe pour supporter d’être enfermé comme ça. Pour supporter la solitude. L’isolement. La monotonie. Rien que de l’eau, de l’eau et de l’eau à des kilomètres à la ronde. Pas d’amis. Pas de femmes. Juste les deux autres, jour après jour, impossible de leur échapper, ça peut rendre complètement dingue. »

« Le quart de Vince s’achevait. Le sien commençait. Arthur chargea la corne de brume, et tira dans l’ouragan, signal d’avertissement que le vent dispersa. Les vagues déferlaient; l’écume bouillonnait; c’était le chaos. Des éclairs fissuraient les ténèbres, la mer noire, les cieux noirs, l’océan fulminant. La tour tremblait sous les assauts des éléments déchaînés, les paquets de mer qui se brisaient et les gerbes d’eau furieuses qui s’élevaient jusqu’à la lanterne. »

« Avant d’être gardien de phare, je croyais que la mer était toujours de la même couleur, je l’imaginais toujours bleue ou verte, mais en vérité, elle n’est quasiment jamais bleue ou verte. Elle prend un tas d’autres couleurs, principalement noir, marron, jaune, doré, et si elle est agitée, elle tire sur le rose. »

« La technologie peut allumer la lanterne et faire retentir la corne de brume, mais elle ne peut pas s’occuper de la tour, et les tours ont besoin qu’on s’occupe d’elles, qu’on entretienne le matériel, qu’on entretienne leur âme. Vide, elle se languira des décennies de compagnonnage et de fraternité, de cigarettes fumées dans la cuisine, de rassemblement devant la télé, d’amitié et de confiance qui jadis prospéraient en ces lieux, et l’homme en sera banni à tout jamais. »

« Dans une famille d’accueil j’ai eu une mère qui était à fond dans les bouquins. A peu près la seule que j’ai connue qui faisait ça. Elle mettait un point d’honneur à nous lire des histoires et c’était surtout des mots qui n’avaient rien à voir avec ceux que je connaissais. Ceux que j’employais dans ma vie étaient courts, des mots durs genre hé, putain ou connard; des briques à te balancer à la gueule.
Chaque fois que j’entendais un mot que j’aimais bien, un mot qui m’attirait, je l’apprenais par cœur. J’avais l’impression que plus je lisais, plus je libérais mon esprit, et si on a l’esprit libre, peu importe ce qui se passe autour de soi. En prison, j’avais un dictionnaire et j’ai découvert d’étranges petits mots que je trouvais superbes. Les oiseaux, il y en a plein. Goéland, cormoran. Courlis. Pipit. Lorsqu’on les prononce, c’est comme si le vent soufflait à travers leur plumage. En copiant les mots j’ai appris qu’en les regroupant et en jouant avec, il en sortait quelque chose de nouveau. »

Emma STONEX, Les gardiens du phare, traduit de l’anglais par Emmanuelle Aronson, Le Livre de poche, 2023 (Stock, 2022)

Prix des lecteurs du Livre de poche – sélection Mars 2024 (ce sera le livre pour lequel je voterai ce mois-ci)

Ce roman peut s’inscrire dans le Book Trip en mer de Lectures sans frontières et dans les lectures sur les Mondes ouvriers et le Monde du travail chez Ingamnic.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Adtraviata 5456 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine