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Voyage au bout de l’inceste

Publié le 20 mars 2024 par Morduedetheatre @_MDT_

Critique du Voyage dans l’Est, de Christine Angot, vu le 2 mars 2024 au Théâtre de Nanterre-Amandiers
Avec Carla Audebaud, Cécile Brune, Claude Duparfait, Pierre-François Garel, Charline Grand, Moanda Daddy Kamono, Julie Moreau, mis en scène par Stanislas Nordey

Je n’aime pas particulièrement Christine Angot – et ses apparitions médiatiques sont à peu près tout ce que je déteste – mais j’avais quand même tenté l’adaptation de son Dîner en ville par Richard Brunel il y a quelques années à la Colline, qui m’a laissé un grand souvenir. Je sais que ce Voyage dans l’Est sera différent sur bien des points, mais grand, il peut l’être, d’autant plus avec cette distribution qui me fait saliver d’avance.

Lorsqu’elle publie Le Voyage dans l’Est, Christine Angot a déjà écrit sur le sujet de l’inceste. Mais L’Inceste était un roman, là où Le Voyage dans l’Est est un récit autobiographique qui s’appuie sur son retour dans la ville où tout a commencé pour faire émerger les souvenirs qui ont pu être enfouis plus ou moins profondément.

Comment je vais écrire sur un tel spectacle. Je sais que la pensée me traverse pendant la pièce. J’ai du mal à écrire. Moi qui ai pour habitude de prendre des notes pour essayer de transcrire le plus fidèlement possible les impressions, me voilà sans mot. Je ne vais pas essayer d’écrire une critique. C’est un beau spectacle. C’est un bon spectacle. J’ai envie de dire : on s’en doutait un peu. Vus l’équipe artistique, le metteur en scène, la distribution, on n’était pas là pour coller des gommettes. Théâtralement c’est une réussite.

Mais ce n’est pas seulement de ça dont j’ai envie de parler. Analyser la mise en scène, le jeu des comédiens aurait quelque chose de vain. Et j’en serais à peu près incapable. Car les moments qui m’ont transportée m’ont un peu mis dans un état second. C’est ça, je crois, qui me reste. Qui m’a marquée. J’ai pris un petit coup théâtro-littéraire. Et je ne m’y attendais pas. Pas comme ça.

Ecouter Cécile Brune nous dire le roman de Christine Angot aurait déjà été quelque chose de grand. Mais elle ne se contente pas de dire. Je pourrais dire qu’elle incarne, qu’elle donne vie, ce serait un peu cliché mais il y a de ça. Mais ça va au-delà. J’aurais presque envie de dire qu’elle traduit. On dit qu’il y a des traductions qui sont peut-être mieux encore que la version originale. C’est rare que l’intermédiaire ajoute. C’est le cas ici.

Le medium joue aussi. C’est étonnant. Moi qui aurais eu tendance à préférer l’imagination induite par la lecture, j’ai l’impression que la puissance des mots se retrouve ici décuplée. D’abord parce que là où j’aurais pu détourner les yeux, arrêter de lire, me perdre dans mes pensées pour éviter une phrase, je n’ai aucun moyen de ne pas entendre. Pas d’échappatoire possible. Les mots sont dits, et ils pèsent partout sur le plateau.

Mais peut-être aussi parce qu’il n’est finalement pas vraiment question d’images et qu’en cela on ne brise pas l’imagination, on y ajoute simplement une intention. J’ai l’impression d’avoir mieux compris l’oeuvre que si je l’avais lue dans mon coin. Mieux compris certaines parties, en tout cas. C’est étrange. Tout ce qui concerne l’intériorité, ainsi extériorisé, m’a semblé limpide. Et passionnant. Ce qui est dit sur les mécanismes de défense du cerveau ou sur notre incapacité à comprendre vraiment ce dont elle parle me laisseront des traces. Intellectuelles et émotionnelles. Je sais que je n’ai pas compris, que je ne comprendrai jamais. Et que la démonstration qui me l’a prouvé avait quelque chose de brillant.

Envie de lire du Angot. Ou qu’on l’incarne encore, à nouveau, devant moi.

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Le Voyage dans l’Est – Théâtre de Nanterre-Amandiers
7 Avenue Pablo Picasso, 92000 Nanterre


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