Voici (re)venir la nature, le soufre et le gaz carbonique.

Par Afust

Ils sont vraiment très forts !
L'accroche de ce nouvel article publié par Le Figaro Vins ne pouvait que me donner envie d'y aller voir :

"Alors que le vin conventionnel ne subit généralement pas le fait d’être associé à un seul goût, son pendant nature est parfois réduit à n’embrasser qu’un seul type d’aromatique, au mieux fruité et léger, au pire rempli de défauts. Par Martin Lemaire Publié le 15/03/2024"
On le sent bien venir, le dossier de fond issu d'une enquête fouillée et à l'objectivité sans faille ...
"Il s’agit souvent d’un argument repris par ses détracteurs : celui d’affirmer que le vin nature ne dégage qu’une aromatique faite de déviances, à l’image de la réduction, phénomène entraîné par le manque d’oxygène, mais aussi de certaines notes plus identifiables rappelant des exploitations fermières."


Remettons l'écurie au centre de la ferme : ce n'est pas tant de l'exploitation fermière qu'il s'agit, mais bien de l'étalon en rut.

"Le gentilhomme cultivateur". T5. 1762
Collection personnelle


Sinon les notes de réduction ont bien d'autres causes que le seul manque d'oxygène : mauvaise clarification, soutirages insuffisants (ou, en effet, à l'abri de l'air), métabolisme levurien du soufre et manque d'azote (les deux sont liés), effet cépage (bonjour Syrah), etc ...
Bref on ne nous dit que ce que l'on veut en zappant l'essnetiel. Mais je ne vais pas commencer d'emblée à causer oenologie (même si j'en ai très envie).


"Ce qui pousse à se poser la question de savoir si finalement, le vin nature n’a pas un goût, alors même que l’un de ses principes reste justement de rejeter toute forme de standardisation gustative. Comme un pied de nez aux nombreux naturophiles ayant longtemps raillé Bordeaux pour ses vins stéréotypés marqués par l’élevage en fût de chêne, davantage que par l'expression d'un terroir."

Moi croyais bêtement l'entame de ce papier qui disait : "
le vin conventionnel ne subit généralement pas le fait d’être associé à un seul goût".
Cruelle déception.
Ceci dit au delà du fait qu'un grand Bordeaux à maturité (voire même avant maturité) est absolument fabuleux. Quand bien même il aurait été élevé sous bois.
J'en veux pour dernière preuve le splendide (et encore bien jeune) Défi de Fontenil (2010) ouvert ce week-end. Un modèle d'élégance, de précision aromatique et d'harmonie.
L'élevage sous bois y est désormais à l'arrière plan et le terroir s'y exprime magnifiquement. Je reverrai les autre sbouteilles dans quelques années.
"Nous avons posé la question à l’un de ses plus fidèles adeptes, Antonin Iommi-Amunategui, organisateur d’événements regroupant des vignerons nature, mais aussi auteur des Glou Guides, série d’ouvrages dont l’objectif est de mettre en avant des cuvées exigeantes mais accessibles par le prix."

Ca c'est plutôt une bonne nouvelle.
De mon point de vue.
Mon point de vue de blogueur.
En effet les précédentes saillies d'AIA m'ont amené à écrire quelques billets dont deux sont dans le top 10 des plus lus de ce blog :
- 12 pesticides, qui reprenait l'argumentation délirante d'une vidéo
- un verre de pesticides ? non, juste un doigt, qui répondait à diverses réactions suscités par le billet
précédent.

Photo (c) Nicolas de Rouyn

Mais, manque de reconnaissance du producteur à l'un de ses meilleurs fournisseurs, cette fois je ne commenterai pas ses propos.
Non, vraiment, n'insistez pas.
Bon, allez, juste un truc en passant alors.
Je trouve particulièrement malhonnête et tout à fait casse couilles de reprocher aux autres ce que l'on se permet sans aucun état d'âme.
Faut quand même oser, dans le même papier, railler "
Bordeaux pour ses vins stéréotypés marqués par l’élevage en fût de chêne, davantage que par l'expression d'un terroir" pour ensuite regretter «une méconnaissance évidente de la variété des vins naturels».

Voilà : à Bordeaux tous les vins sont écrasés par le bois et nient leur terroir alors qu'en "nature", au delà de la souris et des Brett il y a une variété hallucinante.

Laurie la souris
(qu'elle repose en paix. Saleté de chat)


Passons, et venons en au vin et surtout à comment on le fait.
Puis le protège.

"Camille Lapierre, vigneronne dans le Beaujolais, mais aussi fille de l’illustre Marcel Lapierre, l’un des papes de la vinification au naturel, soulève la piste des levures. L’infinité de levures indigènes permettant de vinifier naturellement un vin aurait tendance à perdre le consommateur néophyte "
Les arguments d'autorité ne m'ont jamais rien inspiré de plus qu'une profonde lassitude.
Surtout l'un des pires : celui qui consiste à se revendiquer de tel ou tel de ses ascendants qui incarnerait une sorte de statue du commandeur et dont les savoirs immenses, réels ou supposés, ont été transmis à sa progéniture.
Soyons sérieux un instant : qu'importe qui pouvait bien être son père, seuls les arguments
qu'elle avance doivent être pesés.
Exemple : mon grand-père maternel était directeur d'usine à gaz. Celà me rend il plus légitime pour disserter à propos de la politique énergétique de la France ? En revanche, je dois pouvoir causer levures oenologiques.
Ca tombe bien : c'est çà, le sujet.
Et je ne vois pas bien en quoi :
"L’infinité de levures indigènes permettant de vinifier naturellement un vin aurait tendance à perdre le consommateur néophyte qui, pour justifier cette arrivée en terre inconnue, invoquerait la naturalité du vin."
Quel peut bien être le sens concret de cette tirade ?
La suite nous renseigne :
"Du hors-piste protéiforme qui échappe à la classification habituelle des pistes verte, bleue, rouge ou noire, alors que les levures traditionnelles, fabriquées en laboratoire, seraient au contraire plus à même de rassurer le buveur en quête de confort gustatif."

Voilà : comme à chaque fois, il s'agissait seulement de nous assener l'habituel pensum sur les "levures traditionnelles, fabriquées en laboratoire" et leur soit disant "confort gustatif" versus l'ébouriffante liberté.
C'est débile.
Profondément débile.
Encore qu'il y ait des projets plus ou moins aboutis de fabrication de levure en laboratoire (j'en parlais dans ce billet), nous en sommes toujours, en oenologie, à l'utilisation de levures parfaitement naturelles.
Les levures fermentaires sont des Saccharomyces cerevisiae (tout comme les levures de bière ou de panification) dont il existe une infinité de souches différentes.
Cela a pour première conséquence que la levure de cru (ou "de terroir") n'existe pas et pour seconde conséquence que chaque souche diffère des autres par telle ou telle caractéristique.
Ainsi elles peuvent tout à fait avoir des capacités différentes à révéler tel arôme ou à produire tel autre.
Les mots ont un sens : révéler et produire sont des phénomènes bien différents.
Par exemple : les levures vont révéler les arômes variétaux du Sauvignon blanc (les thiols), et produire des arômes fermentaires.
Certes, certaines levures sont naturellement plus douées que d'autres pour mener à telle ou telle expression aromatique. Et c'est la raison pour laquelle elles peuvent être sélectionnées puis commercialisées.
Pour autant cette piste n'est pas balisée.
Loin de là !
Je reprends mon exemple précédent.
Pour que la levure, sélectionnée ou pas, révêle les thiols variétaux il faut qu'elle en ait à sa disposition.
Donc :
- que le cépage en soit naturellement doté,
- que la vendange ait été faite à maturité aromatique,
- qu'elle ait été protégée de l'oxydation,
- que les précurseurs de thiols aient été extraits de la pellicule et de la pulpe.
A ce stade là des transporteurs membranaires vont faire entrer ces précurseurs dans la levure qui pourra alors les révéler (c'est à dire les faire passer sous une forme volatile que l'on pourra donc sentir). Ceci à la condition de posséder l'équipement enzymatique (naturel) qui le lui permet, dans la limite de l'efficacité du dit équipement.
Là ou çà devient rigolo (au moins pour moi) c'est que s'il y a de l'azote minéral dans le mout (l'azote minéral pour les levures c'est comme les patates pour nous : la base de l'alimentation), cet azote sera en mesure de gêner, voire bloquer, les transporteurs membranaires des précurseurs de thiols.
Dès lors la levure ne pourra pas les révéler, puisqu'ils seront restés dans le mout, comme des cons.
En outre l'azote minéral va booster la production d'arômes fermentaires qui pourront masquer le peu d'expression thiolée que la levure aura malgré réusi à produire.
Comble de joie : la température de fermentation va impacter pertes aromatiques de telle ou telle molécule. Le résultat étant significativement différent selon le niveau de température, ce dernier va impacter l'équilibre et l'expression aromatiques du vin.
Autrement dit : quoi qu'il en soit de son potentiel, comme tout être vivant une levure fonctionnera différemment selon les conditions de son environnement ainsi qu'en fonction de la quantité et la qualité de son alimentation.
Rien n'est balisé.
Il y a des pistes que l'on essaie de suivre. Et, par la
meilleure connaissance du vivant et de ses moteurs, la recherche fait en sorte de comprendre le tenants et aboutissants de ces phénomènes.
Alors, bien sur, on peut vinifier sans rien savoir de tout celà. Tout comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir.
Mais, alors, autant éviter de faire étalage de son ignorance des sujets sur lesquels on pérore.
Même si vous n'avez rien compris à ce qui précède, je suppose que vous aurez au moins compris que la matrice vin est un rien tendue et que, dès lors, comparer l'utilisation d'une levure sélectionnée à skier sur une piste verte balisée c'est montrer qu'on est à la rue, ou que l'on prend les lecteurs pour des lapins de garenne de 6 semaines.
Deux propositions qui ne sont pas exclusives l'une de l'autre et montrent que tant la marmotte que le papier d'alu ont encore de beaux jours devant eux.

Ma piste verte préférée.
à Ax 3 Domaines


«Il est vrai que beaucoup de vignerons, pour utiliser le moins de conservateurs possible comme le soufre, utilisent le gaz à la place. Certains en laissent plus que d’autres, pour davantage de sécurité lorsqu’il n’y a pas de soufre du tout», explique Camille Lapierre.
Et bien elle se trompe.
A nouveau.
Le soufre est un anti oxydant, un antiseptique et un disolvant.
Il ne s'agit pas de macération sulfitique donc je vais rester sur les deux premières fonctions.
Il n'y a pas d'effet antiseptique du gaz carbonique. Eventuellement, dans une bouteille de Champagne, par le double effet de la pression et de la formation d'acide carbonique certaines levures peuvent ne pas apprécier la plaisanterie (surtout que le pH de départ est déjà assez violent).
Mais avant d'avoir 7 bars de pression dans un vin qui n'est pas un Crémant, les poules auront fini de rayer le parquet avec leurs très longues dents.
On oublie l'antiseptique, reste l'effet anti oxydant.
On pourrrait en effet se dire que laisser du gaz carbonique dans le vin va empêcher la dissolution de l'oxygène et donc protéger le vin de l'oxydation.
La place ets prise.
Sauf qu'à mon époque, semble-t'il révolue,
avec les diverses Lois régissant les gaz on apprenait en classe de 3ème que çà ne marche pas comme çà.
Je vais essayer de la faire simple de façon à ne pas perdre le peu de lecteurs qu'il me reste (en même temps c'est au choix de chacun : soit on croit aveuglément des trucs idiots parce qu'ils sont simples et confortent nos croyances, soit on essaie d'aller plus loin en essayant de comprendre. Au risque de remettre en cause ce que l'on pensait acquis et/ou de toucher à ses limites).
Pendant la fermentation alcoolique les levures produisent de grandes quantités de gaz carbonique (de l'ordre de 44 litres pour un litre de vin). Ce gaz carbonique sature le mout et s'échappe à flots continus dans l'atmosphère.
[Oui : le bilan carbone de la vinification est dégueulasse. Ne le répétez pas.]
Dans ces conditions (une production constante et importante de gaz carbonique dans un liquide à saturation), le mout est protégé de l'oxygène et de ses effets.
Mais celà fait courir des risques bien connus aux vinificateurs.

"Comment s'obtient le bon vin". E.J. Maumené (1894)
Collection personnelle


En revanche, après la fermentation alcoolique le vin se désature puisqu'il n'y a plus de production de gaz carbonique. Bien sur il restera plus ou moins de gaz carbonique dans le vin, au point qu'il pourra présenter une effervescence (que, personnellement, je trouve tout aussi étonnante que gênante dans les vins "tranquilles" en général et les rouges en particulier).
Cette effervescence témoigne d'une forte présence de gaz carbonique dans le vin.
Et plus il y a de gaz carbonique dissous plus la dissolution d'oxygène sera ralentie.
Pas empêchée, juste ralentie.
Plus ou moins ralentie (si on a une pompe qui cavite on n'a pas le cul sorti des ronces, même avec du gaz carbonique raz les oreilles).
Au delà d'une fermentation alcoolique active, en aucun cas le gaz carbonique n'assurera la protection du vin contre l'oxygène et l'oxydation.
J'insiste : en aucun cas.

Car à partir du moment où la production de gaz carbonique s'arrête, ou même ralentit, le vin n'est plus à saturation.
Fin de l'histoire.
Il est illusoire de croire, et mensonger de dire, que la présence de gaz carbonique dans un vin en bouteille a un quelconque effet protecteur, que ce soit contre les microorganismes ou contre l'oxydation.
Voilà pourquoi non : le gaz carbonique n'est pas et ne peut pas être une alternative aux sulfites
et à leurs effets protecteurs.
Autrement dit : en laisser à foison, c'est très chiant pour le consommateur et çà ne sert à rien.
A rien, sauf à me donner un prétexte à l'écriture de billets énervés.