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Rendez-vous poétique : Guy Goffette

Publié le 03 avril 2024 par Adtraviata

Le poète et romancier Guy Goffette, à la rocailleuse voix ardennaise, est décédé le 28 mars dernier à l’âge de 77 ans. Il avait également écrit plusieurs ouvrages sur Paul Verlaine.

Voici deux poèmes de Guy Goffette

Si tu viens pour rester, dit-elle, ne parle pas.
Il suffit de la pluie et du vent sur les tuiles,
il suffit du silence que les meubles entassent
comme poussière depuis des siècles sans toi.

Ne parle pas encore. Écoute ce qui fut
lame dans ma chair: chaque pas, un rire au loin,
l’aboiement du cabot, la portière qui claque
et ce train qui n’en finit pas de passer

sur mes os. Reste sans paroles: il n’y a rien
à dire. Laisse la pluie redevenir la pluie
et le vent cette marée sous les tuiles, laisse
le chien crier son nom dans la nuit, la portière
claquer, s’en aller l’inconnu en ce lieu nul
où je mourais. Reste si tu viens pour rester.

Ce poème est extrait de La vie promise, Gallimard, 1991

La mer quand elle a fait son lit sous la lune et les étoiles
et qu’elle veut sombrer tout à fait dans le sommeil ou dans
l’extase
la mer quand les poissons ont trouvé une autre route
pour tirer la soie du cocon et gagner leur temps de paresse
la mer quand plus rien ne la retient d’en faire à sa tête
le contrat des Compagnies maritimes ni le traité des Eaux territoriales
ni le cours du baril ni celui du dollar
la mer enfin quand elle peut se ranger pour de bon et voyager incognito
ne descend pas à l’hôtel comme on pourrait s’attendre
de la part d’une personne de son importance, non
car elle n’a rien à voir avec les chambres de hasard
et peu lui importe que des princes y soient descendus
la mer comme tout ce qui cherche mesure à sa soif ne descend pas, elle monte
elle monte dans les trains à petite vitesse les derniers survivants de l’ère
vagabonde
à pratiquer le précepte bouddhique du voyage
et qui vont de gare en gare abandonnées dans la bruyère pour le plaisir de
quelques vaches
elle monte dans les collines pour voir les toits d’ardoise et les tuiles
et la lumière sur eux qui pêche à la ligne et le mouvement de la terre alertée
elle monte aussi dans les chambres pour saluer les femmes
qui savent aimer et dont le corps garde longtemps la chaleur des étreintes
et là, s’arrête enfin et ses vagues l’une après l’autre se couchent dans leurs
yeux
alors les femmes se lèvent car il est l’heure du café dans la cuisine
l’heure à nouveau d’affronter la houle des enfants et ces pensées en grand
tumulte.
qui vont viennent se brisent en éclats de verre et toujours ressuscitent
comme cet oiseau inlassable au fond du noyer qui répète
la même question — deux ou trois mots seulement — et le cœur est au large…

— Mère, que disais-tu déjà ?
(J’ai vu bouger tes lèvres) et ces yeux, qui te les a changés?

Extrait de Eloge pour une cuisine de province, Editions Champ Vallon, 1988

Rendez-vous poétique Goffette

 Mer du Nord, dessin de Léo Spillaert


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