Prévoir le Coup de Circuit, Accoucher du Retrait sur 3 Prises

Aux portes du paradis, avec Micheal Cimino.

1979. Micheal Cimino gagne l'Oscar du meilleur réalisateur et son film en gagne 4 autres dont celui du meilleur film. 7 jours plus tard, il débute le tournage de son projet suivant, Heaven's Gate. Production qui, à son 6ème jour, serait déjà  5 jours en retard. Première prise.

Ça n'ira pas mieux. Pour The Deer Hunter, Cimino avait clamé avoir puisé l'histoire à même la sienne, au Vietnam, mais en faisant des recherches, on avait prouvé qu'il n'avait jamais été au Vietnam. Et Cimino était d'une grand arrogance face aux journalistes, alors ils avaient envie de le coincer sur quelque chose. Son succès aux Oscars avait fait passer son mensonge un peu sous silence. Mais ce n'était que partie remise pour l'humilier publiquement.

Son projet suivant allait être (librement) inspiré de la guerre de Johnson County d'entre 1889 et 1893 au Wyoming. Elle mettait en scène les riches éleveurs de bétail qui persécutaient les plus petits qu'ils accusaient de leur voler du bétail. Dans le film, ce sera le gouvernement contre les éleveurs. 

Cimino avait une formation de peintre et d'architecture avant de devenir réalisateur de commerciaux. Il avait scénarisé Silent Running et Dirty Harry: Magnum Force. Clint Eastwood allait lui donner la chance de réaliser son premier film avant qu'il ne tourne son chef d'oeuvre Oscarisé The Deer Hunter. Ce film le place alors parmi le new Hollywood, à la même hauteur que Spielberg, Coppola, Scorcese, Lucas. Mais pas longtemps. On mise donc beaucoup sur lui, d'autant plus qu'on vient de lui dire qu'il est le meilleur de sa profession en lui remettant l'Oscar. 

Cimino, dira à son producteur que son film ne coutera que 7 millions. Celui-ci lui donnera un million et demi simplement pour écrire le scénario. En embauchant Kris Kristofferson, Christopher Walken, John Hurt et prenant quelques décisions de terrains pointues, le budget monte vite à 11,4 millions. On pense à une sortie à Noël 1979. Nous sommes 8 mois avant. On se chicanera sur la distribution quand Cimino insiste pour Isabelle Huppert ce que les producteurs ne veulent tellement pas qu'ils demanderont à Jane Fonda et Diane Keaton de faire du lobbying pour jouer le rôle. Mais les deux Femmes refusent d'être ainsi utilisées et ne sont pas interressées par le rôle qui implique de la nudité. Huppert sera un des meilleurs éléments du film, au final. Le perfectionnisme de Cimino est absurde. Il choisit individuellement 300 chevaux. Il supervisera les centaines de figurants, un à un. Révisera tous leurs costumes. Il les placera un à un, avec une lenteur excessive, comme un peintre composerait son oeuvre avec des humains. La distribution prendra 6 semaines d'entrainement, de danse, de patin à roulettes, de maniement d'armes et de cavalerie sur cheval. Cauchemar de production, mais rendu visuel final tout à fait parfait. Toutes les femmes qui jouent des prostituées ont été envoyées vivre dans un bordel pendant une semaine. Insatisfait de la construction d'un de ses lieux de tournage, qui avait une route de 6 pieds trop large selon lui, il fait tout démolir et reconstruire pour plus d'un million de dollars. Et quelques jours de plus de retards. Un important système d'irrigation a été construit afin que l'herbe reste d'un beau vert pour les scènes finales et au rendu, on ne verra même pas le gazon, mais juste de la poussière. Il tourne, comme Kubrick, une cinquantaine de fois pour un seul plan. Il tournera plus de 1.3 millions de pieds de films, 220 heures.

Coppola le battra avec 1.5 millions de films, au même moment, avec Apocalypse Now.  DePalma, Scorcese, Coppola, Cimino, on fait confiance aux Italo-Américains. Nouvel âge du cinéma.

Ça devait être le début de Willem DaFoe au cinéma, avec un rôle plus substantiel qu'on ne le voit dans le film. Mais DaFoe rit une blague trop fort qui insulte tant Cimino qu'il le limoge sur le champs. Il ne sera pas crédité. Sera un bref cameo. John Hurt passe tant de temps sur un tournage dont le calendrier s'étire qu'il réussit à se libérer et tourner The Elephant Man au complet et de revenir à Heaven's Gate. Un plan d'une seule seconde de Kristofferson en train de fouetter prendra une journée entière à tourner et plus de 60 prises.Cimino avait acheté un terrain et l'avait imposé au tournage faisant payer le studio un taux exagéré qui lui revenait dans les poches. À l'insu de la production. Quand le 11,5 millions a commencé à prendre de l'expansion et ne plus vouloir désenfler, les producteurs ont confronté Cimino qui leur a répondu qu'il tricotait un chef d'oeuvre, que tous les autres studios le prendraient dès demain. Les producteurs l'ont pris au mot, ont appelé tous les autres grands studios leur demandant si ils voulaient du projet car eux, n'en voulaient plus, et tous les studios ont dit non. On était prêt à tout annuler et encaisser la perte, ou encore virer Cimino et engager David Lean, mais Lean dit aussi pas question pour moi. On a choisi une troisième option: de croire le pari que Cimino travaillait quelque chose de grandiose. Et qu'on lui ferait confiance. Les images tournées tous les jours sont superbes. le film sera un chef d'oeuvre de cinématographie.

On exige un contrôle plus serré du budget désormais fixé à 25 millions. Cimino prends la stratégie de dire aux producteurs ce qu'ils veulent entendre, mais de faire à sa tête quand vient le moment de tourner. Noël 1979 n'est plus dans les plans. 

La violence à l'image sera du jamais vu. Beaucoup de femmes sont brutalement assassinées à l'image, la violence est crue, et réelle dans le cas des animaux qui sont tous tués pour vrai à l'image. Plusieurs figurants et acteurs se blesseront.  

Tout ça est gardé à bonne distance de la presse et sous secret. Ce n'est pas l'ère des téléphones intelligents. Mais un journaliste de L.A., relocalisé par choix là où on tourne, demande une entrevue sur le tournage et on lui refuse de manière si arrogante, ça ne fera que le motiver. Il se fait engager comme figurant (il y en a des tonnes dans le film) et prends toutes ses notes de l'intérieur.

Il rapportera de l'intérieur l'horreur sur plusieurs mois. Des conditions dangereuses pour les acteurs et actrices, de la cruauté animale, une seule journée, il a noté 16 blessures importantes aux artistes. Il y a multiples évanouissements sur le plateau. Soit par épuisement, étouffé par la fumée ou encore malnutrition. Plusieurs ont dit ne jamais avoir vu autant d'abus physiques sur un tournage. Le sang vu à l'écran est très souvent le vrai, celui des chevaux. On le récupérait pour l'asperger sur les hommes, femmes et enfants qui devaient jouer les morts/blessés. De nouvelles lois seront faites autour des animaux et ce tournage a forcé le "no animals were arms during the shooting" et les suivis qui ont ensuite été obligés.On est rendu à 30 millions d'investis. Le premier montage est de 5h28. La bataille de la fin était à elle seule 1h30. Le film sera raccourci à 4h05. La première a été une catastrophe. Les journalistes ont même revisité leurs critiques de The Deer Hunter pour le trouver soudainement moins bon. On veut la peau de Cimino. La presse ne cherchera plus que son sang à lui.  Le film coûtera 44 millions. Deuxième Prise. Après la première diffusion aux producteurs, on prends 6 mois à retravailler le montage, on essaie de redorer le blason auprès de la presse et on repousse la sortie. Cimino offre une version de 2h18. Mais le film ne fait que 1 million, 300 milles à sa sortie et est retiré des salles après le second week-end, avec des recettes de 3 millions. Perte de plus 40 millions. L'équivalent de 152 millions de nos jours. United Artist sera vendue à MGM. Avec les échecs massifs de 1941 de Speilberg et One From The Heart de Coppola, l'approche studio sera transformée. La confiance brisée. On offrira des films à budget réduits entre 2 et 7 millions.On qualifie vite ce film comme le pire film de tous les temps. Mais ce n'est pas un si mauvais film. Narrativement, c'est n'importe quoi. Mais visuellement c'est formidable. Les acteurs sont aussi fort pertinents. La presse était très prête à crucifier un arrogant réalisateur, menteur. 

C'est une catastrophe financière et qui a mis un terme aux envies de Micheal Cimino pour tous les studios, et fera très mal à celle de Kris Kristofferson aussi. Cimino ne refera que 4 autres films dans sa vie, qui ne seront jamais véritablement bons, courus ou appréciés. Les producteurs qui le secondaient sont limogés. Cimino a laissé un sentier de destruction derrière, assassinant des animaux au nom de l'art. Troisième prise, retiré.   

 Aucun art ne vaut de telles cruautés animales. 

Rien, sur terre, ne justifie la cruauté animale. 

Cimino vivait son unique moment de gloire, recevant l'Oscar du meilleur réalisateur, du meilleur film, et son équipe gagnant le meilleur rôle de soutien masculin (Christopher Walken) le meilleur montage et le meilleur son, aujourd'hui il y a 45 ans. 

Il aura au moins forcé la survie et un meilleur contrôle des vies animales sur les tournages, depuis.

Et de meilleures conditions pour les acteurs & actrices sur les plateaux.