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avec un calme révoltant. (Sándor Márai)

Par Jmlire

avec calme révoltant. (Sándor Márai)

" Il s'était écoulé à peine un quart d'heure entre le moment où il avait franchi le seuil de la chambre quarante-deux et celui où il s'était retrouvé sur la place principale de la ville, devant la porte de l'ancien palais du gouverneur, quelques minutes avant quatre heures. Il avait mal à la tête.

" Qu'est-ce qu'on prend dans ces cas là ?" se demanda-t-il. En définitive, il ne trouva rien de mieux "dans ce cas là" que d'avoir recours à un cachet d'aspirine. Cette violente migraine l'avait surpris en chemin, sans doute n'était-elle que la conséquence de l'intense chaleur, et cela le contraria comme quelqu'un qui jouit enfin d'un moment de bonheur dont il ne peut même pas profiter pleinement. Il était entré dans la pharmacie face au palais ("avec un calme révoltant", selon le témoignage du pharmacien), il avait demandé de l'aspirine et un verre d'eau, pris le cachet et "s'était éloigné après un salut poli". ( À l'audience principale, le pharmacien avait souligné avec insistance "le salut courtois" comme un manifestation psychologique tout à fait singulière et inhabituelle, quasi inexplicable, et il aurait sans doute trouvé plus compréhensible qu'Askènazi, au lieu de le saluer poliment, lance des couteaux, crache le feu et brise les vitres de la pharmacie.) Le pharmacien, naturellement, avait suivi des yeux cet étrange client et noté "la lenteur remarquable" avec laquelle il avait traversé la place. En effet, Askénazi se déplaçait lentement à cause de la migraine, il attendait que le médicament fasse effet et il n'avait ni raison ni désir de courir dans tous les sens, ce qui aurait été sans doute perçu bizarrement ; lors de la première audition, il s'était résigné à ce que tout ce qu'il avait dit et fait cet après-midi soit catalogué comme "singulier" et "remarquable" ; y compris le fait d'acheter de l'aspirine et de marcher lentement. Naturellement, les témoins de ces actions-là aussi en "avaient une vision précise" et savaient tout mieux que lui ; c'était ainsi et il devait s'y résoudre..."

Sándor Márai, extrait de "L'étrangère", 1934. Éditions Albin Michel, 2010 pour la traduction française. Du même auteur, dans Le Lecturamak :

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