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Le Portrait de Nicolas Gogol

Par Etcetera
Portrait Nicolas Gogol

J’avais déjà eu l’occasion d’évoquer ici Les Nouvelles de Pétersbourg de l’auteur romantique russe Nicolas Gogol (1809-1852), à travers quatre d’entre elles : La Perspective Nevski, Le Nez, Le Manteau et Le Journal d’un fou.
Je vous parlerai aujourd’hui d’une cinquième nouvelle – qui se trouve en réalité en troisième position dans l’ordre voulu par l’auteur et qui est également la plus longue de toutes – Le Portrait.
Son héros est un peintre, son enjeu principal est un tableau, et il y est souvent question d’art pictural, aussi cette chronique prend-elle place dans Le Printemps des artistes.

Note Pratique sur le Livre

Editeur : Actes Sud (Babel)
Première date de publication : 1842
Traduit du russe par André Markowicz
Nombre de Pages Total : 376 (+30 pages de Postface)
Nombre de Pages du Portrait : 90

Résumé du début de l’histoire

Un jeune peintre, Tchartkov, talentueux mais pauvre, travaille assidûment au perfectionnement de son art. Il suit le chemin austère de l’exigence artistique, qui n’apporte pas la fortune immédiate mais il en récoltera peut-être de beaux fruits, à force de patience et d’endurance. Il sait que certains peintres obtiennent rapidement la fortune en sacrifiant leur talent aux caprices de la mode, au mauvais goût d’un public qui préfère les couleurs clinquantes, les dessins sans vigueur et les portraits qui les flattent sans vergogne.
Un jour, dans le bric-à-brac d’un marché aux puces, parmi des tas de toiles sans valeur, ce jeune peintre découvre un tableau extraordinaire, le portrait d’un vieil homme, dont les yeux paraissent tellement vivants qu’ils semblent vous regarder réellement. Intrigué, le jeune peintre l’achète. Mais il ne va pas tarder à s’apercevoir du caractère singulier – pour ne pas dire surnaturel et inquiétant ! – de ce tableau.
Et, effectivement, la vie de Tchartkov va changer du tout au tout après cette néfaste acquisition.

Mon Avis

C’est une nouvelle construite en deux parties. Dans la première, nous avons donc l’histoire de ce jeune peintre talentueux, Tchartkov, qui achète un portrait maléfique dans un marché aux puces et qui, à partir de cet achat, va complètement gâcher son talent en se compromettant avec les facilités de la mode et les mondanités. À la fin de sa vie il aura sacrifié son art à l’appât du gain et, comme il s’en rendra compte, il nourrira une jalousie destructrice contre les plus beaux tableaux.
Dans la deuxième partie, nous avons l’histoire de ce portrait maléfique : comment et par qui il a été peint. Nous apprenons aussi que ce tableau a fait de nombreuses autres victimes que le peintre de la première partie.
Ce qui m’a semblé le plus original dans cette nouvelle c’est le mélange de fantastique, de religiosité et la réflexion très développée sur l’art. Selon Gogol, le talent artistique est un don divin et il est diabolique de le compromettre. L’artiste doit garder une âme pure et travailler sans vanité et sans esprit mercantile. Gogol ne nous cache pas sa passion pour les plus grands peintres de la Renaissance : Raphaël, Titien, Corrège. Il pense que les artistes de son temps doivent s’inspirer de ces grands modèles du passé, faire le voyage à Rome pour étudier les maîtres, et qu’il n’y a pas d’autre voie vers l’excellence. C’était d’ailleurs l’opinion la plus largement répandue au 19ème siècle et Gogol ne fait pas preuve, en cela, d’une grande originalité. Opinion qui, de nos jours, semble assez absurde et tout à fait obsolète – mais il faut se remettre dans le contexte de l’époque.
J’ai admiré la construction savante et intelligente de cette nouvelle et son pouvoir d’évocation dès qu’il s’agit de la figure du diable – de sa carrure imposante et de ses yeux extraordinaires.
J’ai pensé que Gogol avait pu être influencé par le Faust de Goethe, avec cette même idée de pacte diabolique et de vendre son âme pour obtenir la fortune et la célébrité. 
Il est aussi intéressant de noter que Gogol semble tenir la fortune et la gloire artistique comme des choses assez ignobles. Il ne fait pas grand cas des institutions artistiques prestigieuses et autres écoles des Beaux-Arts. En effet, c’est au moment où Tchartkov est arrivé au dernier degré de compromission et de dégradation de son art, qu’il obtient justement les plus hautes distinctions et un poste de professeur dans l’une de ces grandes écoles… critique cinglante de l’art officiel russe, ces vénérables dignitaires ont dû être ulcérés s’ils ont lu cette nouvelle !
Un livre qui m’a beaucoup plu et que j’ai d’ailleurs lu deux fois, à quelques semaines d’intervalle, car j’avais envie d’en approfondir la compréhension !

*

Un Extrait page 126

L’âme oppressée, il se résolut à se lever de son lit, saisit un drap et, s’approchant du portrait, le recouvrit totalement.
Cela fait, il se recoucha plus serein, et pensa à la misère et au destin lamentable des artistes, au chemin semé d’épines qui leur est échu en ce monde ; et malgré tout, ses yeux, sans le vouloir, regardaient par l’interstice du paravent, le portrait enveloppé dans le drap. L’éclat de la lune renforçait la blancheur, et il lui semblait que les yeux effrayants commençaient même à luire à travers le tissu. Terrorisé, il fixa des yeux encore plus attentifs, comme s’il cherchait à se convaincre que c’étaient des sottises. Mais, finalement, voilà, non, pour de vrai… il voit, il le voit clair et net : le drap n’est plus là… le portrait est découvert et ce portrait regarde, par-delà tout ce qui est autour, directement sur lui, regarde tout simplement au fond de lui… Son cœur se mit à vaciller. Qu’est ce qu’il voit ? Le vieillard se met à bouger et, soudain, il s’appuie, de ses deux mains, sur le cadre. Enfin, il se soulève, à la force de ses bras, et, ressortant ses deux jambes, saute hors du cadre… À travers l’interstice du paravent, on ne voit plus que le cadre vide. La chambre s’emplit d’un bruit de pas qui se rapproche de plus en plus du paravent. Le cœur du pauvre peintre bat de plus en plus fort. (…)

Un Extrait page 160-161

Un instant, immobile et inerte, il resta au milieu de son atelier somptueux. Toute l’essence, toute l’âme de sa vie s’était réveillée en une seconde, comme si la jeunesse venait de lui revenir, comme si les étincelles éteintes du talent venaient de se rallumer. Un bandeau, d’un coup, était tombé de ses yeux. Mon Dieu ! et tuer d’une façon aussi impitoyable les meilleures années de sa jeunesse ; exterminer, étouffer l’étincelle de cette flamme, qui, peut-être, couvait dans sa poitrine, une flamme qui, peut-être, aujourd’hui, aurait brûlé en grandeur, en beauté, une flamme qui, elle aussi, peut-être, aurait pu faire jaillir des larmes de stupeur et de reconnaissance ! Avoir tué tout cela, l’avoir tué sans la moindre pitié ! C’était comme si, aurait-on dit, à cet instant, il avait senti, d’un coup, en même temps, ressusciter dans son âme toutes ces tensions, tous ces élans qu’il avait connus jadis. Il saisit un pinceau et s’approcha d’une toile. La sueur de l’effort perla sur son visage ; il se transforma tout entier en un désir, s’enflamma d’une seule pensée : il voulait représenter un ange déchu. C’est cette idée qui s’accordait le plus à l’état de son âme. Mais, hélas ! ses figures, ses postures, les groupes, les pensées, tout se montrait contraint, incohérent. Son pinceau et son imagination s’étaient trop enfermés dans un seul moule, et l’élan impuissant à franchir les frontières et les entraves dont il s’était accablé tout seul se ressentait lui-même d’une erreur, d’un manque de rigueur. Il avait méprisé l’échelle longue et fatigante des acquis graduels et des premières lois essentielles de la future grandeur. La rage l’envahit. (…) 

**

Portrait Nicolas Gogol

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