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Parfois je doute

Publié le 23 août 2008 par Perce-Neige
Car, peut-être, en me présentant dans tes romans comme un agent des services de renseignement, tout en insinuant que si je parcours le monde et descends dans des hôtels noyés sous la verdure, c’est, d’abord et avant tout, pour renouer des contacts depuis longtemps rompus avec nos correspondants de la filière bulgare, peut-être as-tu réussi, Jade, bien au-delà de ce que tu espérais, à semer le trouble dans l’esprit de Maud, et même d’ailleurs dans celui de Paul qui, insensiblement, semble s’être habitué à me voir peu à peu quand, par extraordinaire je passe quelques jours à Paris, non comme le voyageur un peu désinvolte que je suis toujours, mais comme un personnage énigmatique, un peu inquiétant, mais avec cette touche romantique que tu as su si bien suggérer, au fil des descriptions que tu as pu en faire. Et le plus fou, Jade, le plus ex-tra-or-di-naire, au fond, c’est qu’il m’arrive, moi aussi, vis à vis de certains, de justifier mes absences par les prétextes que tu m’as donnés, en révélant dans la Symphonie des Songes (chapitre 7) ma qualité d’agent double. « Je dois convaincre les coréens de nous aider, mon pote, car on n’est pas dans la merde, je t’assure… » ai-je dit à Serge, un soir, alors que nous dînions au Lutétia, la veille de mon départ pour Mogadiscio. « C’est une histoire de Mirages F16 que les israéliens voudraient bien obtenir en compensation des services qu’ils ont rendu aux ritals en Mauritanie. Voilà tout le problème ! Voilà le méga-problème. Car, comme tu t’en doutes, les chinois sont sur le coup. Ce qui conduit à un imbroglio diplomatique, j’te dis pas. Ce que Jade a d’ailleurs déjà pas mal dévoilé dans La Parabole de l’Enfer. Et bien j’y suis toujours, Serge, je t’assure… Empêtré dans ces magouilles jusqu’au cou, mon vieux. Et bien sûr, impossible de démêler les fils du bazar sans attirer immédiatement l’attention des amerlokes. D’où l’idée de faire transiter la camelote par Singapour… Puis de la refiler en douce aux chiliens. Car, une fois à Santiago, le tour est joué. Il n’y a plus qu’à expédier la marchandise à Taiwan. Ce qui suppose, tout de même, de négocier sec avec une bande de diplomates indiens assez retors. Des gus intraitables que j’ai déjà croisé un peu partout… La dernière fois à Kinshasa, l’hiver dernier, et ce n’était pas une partie de plaisir, putain ! » ai-je fais en clignant à demi les yeux, convaincu que j’étais, à ce moment-là qu’il me croirait sans doute suffisamment fou pour ne pas chercher à en savoir plus.
Car, oui, Jade, l’ironie de l’histoire, c’est qu’en écrivant tes romans, tu as fini me persuader moi-même que je n’étais plus tout à fait celui que je croyais avoir été. Si bien que je m’imagine désormais (assez souvent, finalement) dans la peau de ce Georges Flament dont tu es parvenue à explorer assez finement la psychologie dans le deuxième volume de la Tectonique de l’âme et des choses de l’Esprit. Oui, plus souvent que je ne le devrais pour garder un semblant de lucidité, il m’arrive même, Jade, de me confondre réellement avec moi même. Au point que quand je sillonne la planète de Boston à Mexico, d’Honolulu à Bombay, je me dis parfois que c’et ex-ac-te-ment pour les raisons que tu m’as prêtées dans l’Incandescence des Nuages où le personnage que je suis censé avoir été (merci, tout de même, pour le physique plutôt ingrat que tu me prêtes ; j’ignorais que tu avais de moi une image aussi dégradée) est envoyé un beau matin tout à fait incognito aux quatre coins de la planète pour une mission très spéciale. Il s’agit, ni plus ni moins cette fois, de retrouver la trace de Benoit XVI dont la rumeur annonce régulièrement sur certains sites qui se disent bien informés qu’il a choisi de retourner à la vie civile et de passer les dernières années de son pontificat à traîner dans les bas fonds de quelque banlieue sordide, ou alors (c’est une autre version) réfugié dans un monastère tibétain à six mille mètres d’altitude, ou encore enlevé par des terroristes qui espèrent pouvoir en tirer un bon prix et le gardent à demi-fou dans une cave obscure de Manhattan. Oui, dans une autre vie, me dis-je parfois, je serai celui là. Celui que personne ne connaît et dont on découvre, plus tard, le rôle terrible et magnifique qu’il a joué dans l’Histoire du monde sans jamais s’en être vanté. Dans une autre vie, je filerais à Prague sans attendre pour y rencontrer Vaclav Havel en catimini, puis je chercherais à approcher le kenyan dans une auberge isolée des Carpates, histoire de jouer les entremetteurs avec les maoïstes du Sentier Lumineux. Mais surtout, Jade, dans une autre vie, je serais ton amant pour de vrai. Car le mensonge, tu le sais, peut se retourner comme un gant. Si bien qu’à force d’espérer, c’est très exactement ce que tu as mille fois raconté d’illusions et de mirages qui se réalisera pour de bon. Et nous vivrons tes romans. Et tes romans seront notre monde. Et notre monde sera fluide comme un poème, inexistant, nuageux, arc en ciel de mots et de couleurs dont tu as rêvé l’insolence. Plus tard, Jade, la réalité deviendra parfaitement réelle. C’est que je me dit. Souvent
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