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On ne rigole plus !

Publié le 23 août 2008 par Perce-Neige
Je vais vous dire ce que je crois… Je crois qu’il y a des jours où tout va mal. Et que vous avez beau dire, beau faire, vous défendre comme un beau diable, tenter de vous persuader du contraire, vous n’y pouvez ri-gou-reu-se-ment rien ! Ce mardi vingt-et-un avril et des poussières de je-ne-sais-plus quelle année, et je-ne-sais-plus quel siècle (et peu importe, au fond), je n’étais vraiment plus très loin d’abandonner la partie. Plus très loin d’envoyer tout valdinguer. Plus très loin d’abdiquer pour de bon… Plus très loin de la retraite anticipée, avec ou sans les honneurs militaires, voyez-vous, je m’en foutais royalement. Passe encore qu’un connard quelconque (bien qu’en réalité, pas un instant, ce matin-là je n’ai eu le moindre doute sur son identité) immatriculé à Vierzon, Monaco ou au Porto-Rico, pourquoi pas, se soit (encore une fois) permis d’annexer sans coup férir la place de parking qui m’est pourtant allouée par les plus hautes autorités de l’hôpital (je pèse mes mots) histoire de m’obliger à trois tours de pistes supplémentaires avant d’espérer pouvoir loger ma Land-Rover quelque part sur la pelouse, à savoir pas trop trop loin, tout de même, du service de Chirurgie cardiaque, bordel ; Passe encore que Marion ait trouvé le moyen à sept heures du mat, de m’infliger son parfum de supermarché, plein pot dans mes narines ensommeillées tout en me gavant d’une demi-heure non stop de logorrhée fantastico-soporifique d’où émergeait un énième projet de transhumance estivale sans-les-enfants-les-yeux-dans-les-yeux, tu penses, dont j’étais censé me souvenir dans les moindres détails et surtout m’enthousiasmer comme un cinglé sans égard aucun pour le bol de graines au soja que je m’apprêtais pourtant à avaler cul sec, sans perdre une miette, toutefois, des blagues à deux balles de Pinokikio sur Rires-et-Chansons (OK, ma chérie, OK, OK, OK… mais s’il-te-plait n’in-sis-te-pas… D’accord ?) ; Passe encore qu’Aymeric et Benjamin, juste tout de suite après, m’aient cueilli sur le tarmak de la douche, l’un pour m’extorquer un demi mois de salaire, au moins, au simple prétexte que le réservoir de sa mob n’était plus qu’à moitié plein, et l’autre un vague certificat attestant qu’il lui était licite d’échapper une fois de plus aux injonctions du prof de gym qui commençait à en avoir plus qu’assez de ses jérémiades (P’pa, s’il te plait, soies sympa…) ; Passe encore que cet enfoiré de Fabien Sauvage m’ait accaparé la cervelle dès patron minet avec ses entourloupes de merde, tournant autour de moi comme une mouche autour d’une poubelle, et ce dans l’espoir minable que je lui concède, enfin, les deux chambres à deux lits, nickel-chrome, situées comme par hasard de l’autre côté du couloir, c’est à dire, précisément de son côté (Non, mais tu rêves…. OK, OK, mec, j’comprends tes arguments, mais vois-tu, là, j’suis un peu occupé) ; Passe encore que la reine mère ait fait des siennes toute la nuit au point que la surveillante en chef ait encore cru bon de me laisser deux messages coup sur coup sur mon portable, l’un annulant le précédent, tout de même (Hum… Brrr. Oui, c’est encore moi Docteur Clément… Oui, pour votre maman… Oui, bon, voilà, inutile finalement de vous déplacer… Mmm, oui…. Elle a fini par s’endormir, en fait) ; Passe encore que la météo ait viré du médiocre au maussade, puis du maussade au calamiteux, puis du calamiteux au catastrophique, échappant de justesse (on ne sait comment) à la case « pluies torrentielles », « averses de grêle » et « tempête de neige », le tout joyeusement mêlé, on ne se refuse rien. Passe encore, tout ça, oui, mais là, franchement, j’ai brusquement senti que le sol se dérobait sous mes pas. Et que je ne pouvais plus grand chose pour mon karma. Car le gus de la chambre cent onze, que je me souvenais vaguement avoir charcuté deux jours plus tôt, en lui bistouricant une fistule biventriculaire carabinée (Et ouais mec… Voi-là le travail, Fabien… Voi-là comment je trace de nouvelles pistes…), le gus à la carotide encalaminée jusqu’au trognon et qu’on avait déjà dû, en réa, récupérer au moins trois fois par les cheveux (putain, le mec…) se laissait, cette fois, gentiment dériver vers l’autre rive sans opposer la moindre résistance. Sauf qu’avec une respiration comme la sienne, gémissante et brisée, sûr qu’il ne serait pas long à passer l’arme à gauche. Et à entrer, les pieds devant, dans mes statistiques personnelles. A la rubrique « pertes et profits ; regrets éternels ». Ouais… Je n’aimais pas du tout, mais alors pas-du-tout, la tournure que ça prenait. J’ai donc dû grimacer quelque chose d’assez négatif. Vu que Rose-Marie (que je n’appelle jamais autrement que Rose-Baby, n’en déplaise à sa mère, à son Jules et à la terre entière), s’est empressée de me gratifier d’un sourire particulièrement niais. « Va falloir lui remonter la kaliémie à mort, ma cocotte… » ai-je dit en m’attardant une seconde ou deux dans l’immensité océanique de ses yeux, puis en lorgnant vers les résultats du iono que me tendait désespérément le beau gosse du premier rang sans doute pour justifier, en ânonnant dans le même temps son bréviaire imbécile, les vagues compliments que je venais de lui faire dix secondes avant (ouais, mon gars, t’as tout compris…). Juste par curiosité, je me suis tout de même intéressé à l’électro qui clignotait drôlement en postillonnant ses arythmies comme autant de pétards un soir de réveillon. Rose-Bonbon, histoire d’anticiper ma gueulante, s’est immédiatement interposée pour régler la machinerie. Et, ce faisant, s’est penchée sur mon loustic, pour lui resserrer, à mort, les électrodes sur la poitrine. Et, ce faisant, elle m’a laissé entrevoir un peu plus que la dentelle transparente d’une esquisse de soutif. Un peu plus que je n’en n’espérais un mardi matin à huit heures vingt cinq et des poussières. Réveillant illico des souvenirs d’après minuit. Quand l’hôpital, enfin, s’assoupit, tranquille, et passe alors en pilotage automatique… Et que le hasard des gardes et des astreintes (il doit exister un dieu pour cela, non ?) nous assigne à résidence, elle et moi, au quatrième étage du Pavillon Boucicaut, sous les toits, dans un dédale de couloirs et de chausses trappes qui puent la nicotine à plein bec et où l’administration, bonne fille, nous octroie généreusement, à l’un comme à l’autre, quatre mètres carrés, pas plus, d’une piaule rudimentaire avec sommier aux trois-quarts défoncé, chaises dépareillées, table estropiée et tout le reste à l’avenant (sauf qu’vous êtes pas là pour dormir, y’m’semble ?). Des souvenirs à la renverse, donc, quand j’invite Rose-Pipi à venir me tenir compagnie une minute ou deux, histoire de décompresser à mort tous les deux, histoire de nous vider les méninges de toutes nos crasses de la journée, quand la nuit soudain s’épaissit un max, et qu’à la lueur des réverbères de l’avenue, je lui souffle, enfin, ses quatre vérités. Et que nous débarrassons, vite fait, des dernières scories de la civilisation. Et que nous nous retrouvons, dans la foulée, à gémir de concert, en maudissant, brusquement, le tintamarre du téléphone qui se rappelle à notre bon souvenir à l’instant précis où nous étions tentés d’en oublier l’existence. Bordel… Au début, même que je dédaigne d’allonger le bras pour le faire taire, laissant le combiné s’égosiller à s’en déchirer les entrailles. Préférant de beaucoup caresser l’envers des reins de Rose-Pompon. Aspirer sa nuque et ses tétons. Et bousculer ces lèvres qui m’espèrent. Mais le vacarme, inévitablement, à force d’insister finit par nous importuner. Alors, d’un soupir, je rassure le beau gosse qui sanglote au bout du fil (j’exagère à peine). Et doit paniquer comme un malade (à sa voix chevrotante, le doute n’est guère permis), trépignant d’impatience en mon absence. « Bouge pas, coco ! » dis-je en crachant dans le micro. « J’arrive au galop ! Attrape une sous-clavière pour patienter. Ferme les yeux, et compte jusqu’à trois, pile poil, je suis là, mon pote ! » Si bien que Rose-Susie retrouve rapidement ses esprits. Et son string taille basse fourré dans une de mes poches et confisqué par mes soins au plus fort de la mêlée, soit quinze secondes tout au plus après son entrée en piste. Si bien que Rose-Mimi se rabiboche la blouse et la mèche en un tour de mains. Et se découvre plus sérieuse qu’elle ne le croyait. En un rien de temps, c’est la métamorphose. « Wouahou… »

« Le calme est revenu ! » dit-elle en se redressant lentement et en constatant la disparition quasi miraculeuse des intempéries cardiaques à la surface du globe, rien qu’en ayant tripoté le bazar. Et c’est à ce moment là qu’on ouvre la porte. Oui. A ce moment-là que l’interne au iono profite d’un imperceptible relâchement de ma vigilance pour murmurer une saloperie quelconque sur mon compte à toute la troupe silencieuse qui m’entoure. Et m’admire. Et m’approuve. Et m’anticipe. Et boit mes paroles, d’ordinaire, comme autant de révélations sur la nature du monde. Et c’est à ce moment là que je me retourne. A ce moment là que, depuis la porte entrouverte, la pimbêche de l’accueil (une blonde, pas très sexy en réalité, avec des lunettes et une dentition quasi chevaline, et que je n’ai fait, jusqu’à présent qu’apercevoir à la périphérie de ma conscience quand je traverse le hall à toutes berzingues, le matin, déjà dix minutes de retard, putain) me fait un geste désespéré de la main. Et insiste lourdement d’une lueur implorante dans les yeux pour que je vienne l’écouter. Et c’est à ce moment là, et non avant, que je soupçonne la vérité. En réalisant que parfois, quoiqu’on fasse, on ne peut rien contre l’adversité. Et qu’il y a des jours comme ça. « Il faudrait rappeler chez vous »… me dit-elle en se tortillant d’un pied sur l’autre. « Votre épouse cherche à vous joindre depuis dix bonnes minutes. Vous devez avoir débranché votre portable ? » Oui, c’est à ce moment là, figurez-vous, que je devine qu’il s’est passé quelque chose. Intuitivement, je sens que Paul, à l’autre bout du monde, est en mauvaise posture. Et qu’il lui est arrivé un truc pas très jojo. Quelque chose d’affreux. Intuitivement, je sais qu’on a basculé, tous ensemble, dans l’irrémédiable. Vous voyez le genre

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