
J'ai abordé ce qui me passait par la tête en arrivant dans la nuit de Cotonou, autour de 22:00, un cinq juin.Je n'avais pas de programme, et je me demandais si j'allais intervenir ou pas dans ce forum. Au-delà de ce que nous faisons de la langue française, en France, de ses évolutions saisissantes dans le milieu professionnel, dans les quartiers populaires, sur le terrain scientifique, j'avais aussi envie d'aborder le développement de cette langue dans certains espaces de la Francophonie où la plante de mes pieds a pu se poser. Car, il faut poser un tentative de diagnostic même si ce dont je vais parler ne s'appuie pas sur des statistiques solides, mais sur des rencontres fortuites, inopinées faites en Afrique du Nord, en particulier en Algérie et au Maroc.
C'est dans le cadre de rencontres culturelles organisées, que j'ai pu faire l'observation. Lors du Salon International du livre d'Alger, j'ai eu l'occasion de discuter avec les chauffeurs qui assuraient nos déplacements ou des taximen. A deux reprises, je suis tombé des chauffeurs arabophones qui pouvaient toutefois s'exprimer en anglais avec beaucoup plus de facilité qu'en français. Ce point m'avait marqué. Alors, je me souviens du coup qu'on commentait le match d'une équipe algérienne (je ne sais plus si c'était la JSK de Tizi Ouzou ou le Mouloudia d'Oran) dans le cadre de la ligue de champions d'Afrique et la savoureuse réflexion dans un français approximatif "ils sont partis jouer en Afrique…". Bon, ce n'est pas le sujet de mon point, mais j'ai toujours eu du mal avec les difficultés avec la géographie du commun des mortels au Maghreb. J'imposais toutefois le Français dans nos échanges.Car enfin, l'intérêt d'être en Francophonie, c'est de ne pas se perdre dans les méandres de la langue de Shakespeare. Quand, on s'est préparé à aller en Anglophonie, dans le Commonwealth et apparentés (genre US) pour faire plus simple, on prend souvent les dispositions nécessaires pour affronter un destin de polyglotte amateur. Mais là dans un taxi algérois, en première lecture, c'est un comble de devoir parler en anglais. Je questionne donc le dit chauffeur sur ses rapports complexes avec Molière et sa langue. Il me rappelle un point important : l'arabisation du système éducatif algérien a relégué le Français en une seconde langue en compétition avec un Anglais vindicatif et source de nombreuses opportunités. Une langue dont l'apprentissage serait moins laborieuse.
Alors que je déambulais dans le salon du livre d'Alger, après une intervention à l'espace PANAF',un jeune couple ayant suivi mon propos m'aborde en anglais. Encore une micro-agression. Ce n'était pas une posture, mais un vrai choix de parler en anglais ou en arabe… D'ailleurs, en allant sur le réseau social Facebook de la jeune femme, j'ai pu observé qu'elle ne s'exprimait qu'en arabe… Tout récemment, lors de ma résidence artistique au Maroc, je me suis retrouvé dans une situation similaire, où l'enfant de neuf ans de la personneen charge de notre alimentation, ne s'exprimait qu'en un anglais parfait ou en arabe. Comment expliquer cette situation ? J'interrogeais la maman. Elle m'expliqua avec l'aide d'un traducteur qu'ils avaient opté pour scolariser leur fils dans un établissement privé bilingue arabe - anglais. Tactique gagnante ? Probablement, dans un pays très sur comme le Maroc, qui développe un tourisme attractif avec beaucoup de visiteurs anglophones. Quelle clairvoyance… Alors que j'échangeais avec un musicien d'un groupe venu d'Agadir, on a tout le mal possible pour se comprendre en Français. Je finis par switcher en anglais (pardonnez-moi l'expression).
Je me suis posé de nombreuses questions en constatant ces quelques faits que je n'érige pas en dogme.Mais soyons sérieux. L'extrême-droite estime qu'il y a trop d'étudiants africains en France.
Ce point est revenu pendant au premier tour des élections législatives en France, semant le trouble chez de nombreux étudiants étrangers. Comment en serait-il autrement quand près de dix millions de personnes votent pour un tel parti dans un pays. A l'ère des réseaux sociaux, où l'information circule à la vitesse de lalumière, quelle lecture un étudiant francophone peut avoir d'un tel paradoxe, d'une telle absurdité ? Si on rajoute à cela, la fermeture ou du moins la difficulté de trouverson bonheur sur Campus France, à quoi bon ? Ce qui se passe en Afriquedu nord est probablement un épiphénomène. Stratégiquement, est-il judicieux d'envisager des études en langue française quand la plupart des universités francophones africaines sont mal cotées sur le continent et que l'un des grands centres de formation et de spécialisation, à savoir la France, envisage l'étudiant subsaharien comme une source de problème à venir? Mais allons plus loin : que dirai-je du fait d'une guerre qui ne dit pas son nom, quand des artistes nigériens, maliens, burkinabé ont vu leur projet stoppé net et leur circulation bridée dans l'espace francophone en représailles à des options prises par les chefs d'état de l'AES. Des représailles de ce type ne sont pas le seul fait des élites françaises. Mais tout de même… Quand on sait que l'anglais permet à toute œuvre littéraire de circuler sans les contraintesou les limites d'un passé colonial pesant et ses sursauts prenant la forme d'un néocolonialisme rampant.
Causons maintenant du forum très riche par les échanges en plénière et en atelier...
