
L'histoire: La douce et timide Selina (Elizabeth Hartman), aveuglée accidentellement avec de l'eau bouillante par sa mère prostituée, abusive et alcoolique ( Shelley Winters), passe ses journées dans un parc à enfiler des perles pour en faire des colliers. Un jour, elle fait la connaissance de Gordon Ralf, un gentil vendeur de journaux célibataire ( Sidney Poitier). Ils se revoient à plusieurs reprises. À chaque rencontre, Gordon fait preuve de prévenance et d'empathie. Il lui prodigue de judicieux conseils, et l'aide à découvrir un monde inconnu, tant géographiquement qu'émotionnellement. Selina, éperdument amoureuse, ne sait pas que son tendre compagnon est une personne noire.
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J'ai découvert hier sur TCM A Patch of Blue, classique que je connaissais de nom seulement, et qui est resté dans l'histoire comme l'une des premières productions hollywoodiennes à présenter une relation d'amitié, sinon d'amour, entre un homme noir et une femme blanche. Sorti en 1965, Un coin de ciel bleu en VF précède de deux ans le plus connu Guess Who's Coming to Dinner de Stanley Kramer qui aborde exactement le même thème.
Devenu célèbre pour sa représentation de l'injustice et des préjugés raciaux, A Patch of Blue est adapté du roman " Be Ready with Bells and Drums " d'Elizabeth Kata. Produit par Pandro S. Berman et réalisé par l'Anglais Guy Green, le film est doté d'une prémisse que l'on jugerait aujourd'hui anodine, voire ridicule. Pourtant, la MGM, son distributeur, craignait le pire après que des copies de distribution destinées aux salles de cinéma du sud du pays aient été détruites. Du reste, la scène du baiser sur la joue fut retirée des copies destinées à ces mêmes états où le mariage mixte était interdit par la loi. Toutefois, le film connut un grand succès au box-office, multipliant par cinq son budget d'à peine plus d'un million de dollars. Une suite avait d'ailleurs été envisagée, avec les mêmes comédiens et la même équipe de production, mais ne se fit jamais.

Revoir le film aujourd'hui, c'est replonger dans cette époque charnière de l'histoire des États-Unis alors que les Noirs - encore largement méprisés dans l'opinion publique - commençaient à faire valoir leur droits. Shelley Winters incarne la mère (matrone insupportable devrais-je dire) qui délaisse Selina au lieu d'en prendre soin. Avec toute la hargne qu'on lui connait, elle représente bien cette Amérique ouvrière blanche, violente, profondément raciste sans réellement savoir pourquoi, qui ne conçoit pas que l'on puisse se lier d'amitié avec une personne de couleur.
Plus simplement, on peut aussi redécouvrir le film sous son angle intimiste puisqu'avant tout il s'agit d'une très émouvante et très délicate histoire d'amour. Outre le racisme, les thèmes abordés n'en sont pas moins sombres, puisqu'il est autant question de handicap que de pauvreté, de violence familiale ou d'exclusion sociale.

Revoir le film aujourd'hui, c'est aussi se souvenir d'Elizabeth Hartman, actrice aussi diaphane qu'éphémère, qui, à 21 ans, faisait ses débuts au cinéma. La délicate petite rousse venue de Youngstown en Ohio, n'était pas aveugle, mais avait parfaitement bien préparé son rôle en suivant des formations dans un institut spécialisé sur la façon de vivre en étant aveugle. Aussi, elle avait utilisé durant le tournage des lentilles de contact spéciales qui lui obstruaient vraiment la vue. D'où la nette impression de réalisme qui se dégage de sa prestation et qui rend son personnage parfaitement juste et crédible.
Après ce rôle tout en finesse - qui lui avait permis de remporter Golden Globe de la révélation féminine la plus prometteuse et une nomination aux Oscars - Elizabeth Hartman, surnommée 'Biff' par ses amis, fit quelques apparitions de qualité dans des films comme You're A Big Boy Now (Francis Ford Coppola, 1966), The Group (Sidney Lumet, 1966) ou The Beguiled (Donald Siegel, 1971).
Mais, malgré le soutien des critiques, sa carrière n'a jamais vraiment pris son envol. Atteinte de sévères troubles dépressifs, elle disparut rapidement des plateaux et mit fin à son mariage avec Gill Dennis (l'un des co-scénaristes d' Apocalypse Now). Elle passa le plus clair de son temps dans les hôpitaux psychiatriques (19 internements au total). Durant ses dernières années, elle vivait de l'aide sociale et se terrait dans un petit appartement de la banlieue de Pittsburgh, d'où elle se défenestra le 10 juin 1987, à l'âge de 43 ans. C'était 5 ans jour pour jour après son dernier engagement à Hollywood, alors qu'elle prêtait sa voix à la souris héroïne de The Secret of NIMH, le film d'animation de Don Bluth. Sa dernière réplique, tristement prémonitoire, fut: " Ne me laissez pas tomber. J'ai le vertige. " .
