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Martial Solal " Mon siècle de Jazz "

Publié le 15 septembre 2024 par Assurbanipal
Martial Solal " siècle Jazz

Martial Solal par Juan Carlos HERNANDEZ

L'autobiographie de Martial Solal

Préface d' Alain Gerber

Frémeaux et Associés. 2024. 160p. 20€

Que les Dieux et les Muses le protègent!

Lectrices sophistiquées, lecteurs raffinés, vous connaissez déjà les deux livres d'entretiens consacrés à la vie et l'oeuvre du pianiste, compositeur et chef d'orchestre français de Jazz, Martial Solal (1927).

"Martial Solal compositeur de l'instant " avec Xavier Prévost que j'ai chroniqué pour citizenjazz en 2006. " Ma vie sur un tabouret " avec Franck Medioni que je n'ai pas lu, je l'avoue.

A 97 ans, Martial Solal vit et compose toujours. Il ne joue plus ni sur scène ni en studio. Avant ses 100 ans, les éditions Frémeaux et Associés lui permettent de revenir sur son Siècle de Jazz.

Le livre commence par une filmographie, une discographie toutes deux sélectives et les références des deux ouvrages biographiques cités.

Dans la filmographie figure bien sûr " A bout de souffle " de Jean Luc Godard (1959). " J'avais gagné au Loto " a dit le joueur de courses Martial Solal de cette mythique bande originale de film. Même Beyonce l'a reprise sur scène.

Dans la discographie sélective figurent deux créations de Martial Solal sans équivalent chez les autres compositeurs de Jazz, américains ou non,

" La suite n°1 en ré bémol pour quartette de Jazz " (1959) . Quatre mouvements écrits et mémorisés au fur et à mesure mêlant écriture et improvisation, ruptures et continuité pour environ 17mn de musique avec Roger Guérin (trompette), Paul Rovère (contrebasse) & Daniel Humair (batterie). Cf extrait audio au dessus de cet article.

" Sans tambour ni trompette " avec Gilbert Rovère (le frère de Paul Rovère) & Jean-François Jenny Clark (contrebasses) en 1970. Le batteur n'était pas disponible. Il fut remplacé par un autre contrebassiste Jean-François Jenny Clark plus soliste à l'archet alors que Gilbert Rovère tient la pulsation en pizzicato. Cf vidéo sous cet article.

Après ces digressions solaliennes, j'en viens au texte même. C'est du Martial Solal. Sa logique n'est pas aléatoire. Elle est unique. Il bondit d'idée en idée, d'époque en époque, de rencontre en rencontre. Martial Solal écrit comme il compose et comme il joue. Il adore jouer. C'est ce qui le maintient en vie et jeune d'esprit. Du piano bien sûr mais aussi de la clarinette, du saxophone, au train électrique, aux courses de chevaux, avec ses enfants et petits enfants.

Il évite un sujet douloureux: l'antisémitisme. Si les Alliés n'avaient pas débarqué à Alger en 1942 et De Gaulle supprimé en Afrique du Nord l'application du statut des Juifs du maréchal Pétain, Martial Solal et sa famille risquaient la déportation. Il évoque à peine la guerre d'Algérie puisqu'il quitta Alger pour Paris en 1950.

Il raconte fort bien ses galères de débutant et comment, la chance aidant et s'aidant lui même, il réussit à s'intégrer, s'imposer pour devenir le pianiste attitré au Club Saint Germain pendant 13 ans. Il accompagna tous les Américains de passage spécialement Dizzy Gillespie et Stan Getz mais jamais Miles Davis. Autre sujet qu'il n'évoque pas: la rencontre manquée avec le Prince des Ténèbres.

Il évoque discrètement les années où il fut démodé, de 1965 à 1975 en gros, n'étant ni Rock (trop brutal), ni Free (trop facile). Il se moqua du Free Jazz dans sa composition " Jazz frit " qui en reprend certaines recettes. Il parsème son autobiographie de quelques moqueries y compris sur des musiciens que j'aime mais il en a le droit. A force de persévérer dans son être aussi irréductible que celui de Thelonious Monk ou Bill Evans, autres pianistes immédiatement identifiables, Martial Solal a fini par s'imposer, trouver son public, gagner correctement sa vie et créer une oeuvre à sa mesure qui fait progresser le Jazz.

Cet homme n'a jamais cessé de repousser ses limites et celles de la musique dans le cadre qu'il s'est fixé au départ. Il a lutté pour rendre le Jazz légitime et universel. Un piano acoustique sans préparation (ses albums au piano électrique sont anecdotiques), la recherche de l'inattendu ( Martial Solal s'ennuie très vite et raconte plusieurs histoires en même temps. Il est exigeant pour lui et pour son auditoire), le goût du dialogue (que de rencontres! que de duos!) prolongé parfois pendant 45 ans (avec Lee Konitz. Le pianiste qui a le plus joué avec Lee Konitz c'est Martial Solal), avec les Anciens ( Django Reinhardt, Sidney Bechet, Stéphane Grapelli) ou les Modernes ( Michel Portal, Bernard Lubat dont il ne parle pas, Dave Douglas une rencontre forcée sans intérêt musical à son goût et au mien).

Quelques prénoms ressortent. Les Eric: son fils Eric Solal, Eric Le Lann trompettiste de tous ses orchestres depuis 1981, Eric Ferrand N'Kaoua pianiste concertiste qui joue les exercices de style de Martial Solal avec allégresse. Anna, son épouse sculptrice. Amalia, sa petite fille. Claudia Solal, sa fille chanteuse avec qui il joua en duo et enregistra en orchestre. Jean-Charles Richard, son gendre saxophoniste qui eut la bonne idée de lui faire rencontrer son Maître Dave Liebman. J'en oublie. Vous les trouverez au fil des pages, lectrices sophistiquées, lecteurs raffinés.

Au final, ce sont dans ses derniers enregistrements (duo avec Dave Liebman en 2016, solo à Gaveau en 2019) déjà célébrés sur ce blog qu'il a épuré sa technique et son imagination phénoménales pour aller à l'essentiel.

Il en va de même dans ce livre libre, bref, amusant, étonnant, surprenant. Martial Solal tel qu'en lui même et tel qu'il demeure. " Mon siècle de Jazz ".

" Martial Solal a en abondance les éléments essentiels d'un musicien: sensibilité, fraîcheur, créativité et une technique extraordinaire " ( Duke Ellington).


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