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Dieudonné Niangouna : Salve d'honneur pour orchestre à papa

Par Gangoueus @lareus

Dieudonné Niangouna Salve d'honneur pour orchestre papa

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J'ai proposé à plusieurs lectrices et lecteurs de se plonger dans les deux derniers volets de la trilogie de Dieudonne Niangouna. Et je tiens à les saluer. Ce n'est pas un exercice simple auquel je les ai soumis. Il faut aimer la littérature, les mots, la folie, le génie d'un auteur pour le suivre dans une aventure de 571 pages au format tellement serré que lorsque tu termines deux pages, le lecteur à le sentiment d'avoir couru le 200 mètres athlétisme sur les bases de 19'19 secondes. 571 pages avec une mise en page et une typographie qui en feraient un livre de 1000 pages dans une configuration plus classique. Idem avec La mise en papa qui compte 277 pages effectives, mais en 500... Tout cela pour voir un fils aller à la rencontre de son père. Mais quel père ? Quel homme !

Je suis admiratif de ces lectrices et lecteurs qui n'ont pas lâché l'affaire. Parce que pour la première fois, je me suis rendu compte que dans certaines circonstances, l'auteur peut par son talent, nous imposer de lire de la prose comme de la poésie par dose homéopathique, doucement, en allant doucement. Niangouna nous rappelle ce que devrait aussi être un roman : un vrai temps d'arrêt, de pause. Ça fait visiblement trente ans qu'il a commencé à écrire ce roman. Avec cette interrogation consciente ou inconsciente qui pourrait formuler de plusieurs manières : "Qui est Augustin Niangouna mon père ?", "Quel est cet homme si singulier, disruptif, anticonformiste, fou, violent, intraitable ?". Comment formuler une telle démarche sans le juger ? Comment le roman nous offre la possibilité de passer par toutes les phases de l'enfant, puis du fils : à savoir la crainte, la fascination, la rébellion, le jugement, le rejet, la compréhension, l'acceptation...
Bon sang, la bonne littérature fait renaître des figures que nous aimons, que nous avons aimé ou que nous allons apprendre à aimer. Ici le père. En y réfléchissant une figure si peu présente en littérature africaine francophone. Dieudonné, à partir de ton père, j'ai repensé au mien, mort exactement dix ans après le tien, universitaire comme le tien, anticonformiste, incompris, solitaire.J'aime ton obsession à vouloir comprendre cet être pour mieux te situer au monde. Parce qu'il t'a donné un agenda, des exigences qui te définissent. C'est un savant mélange de réalité et de fiction, c'est un jeu où ton personnage nous révèle ses failles, les magnifient dans La mise en papa. L'homme fragile en face du mâle alpha incarné par Duras. Je n'aime pas les pavés, ces livres marathons égoïstes comme s'ils étaient les seuls à saturer notre espace. Mais ton style a serré ma main pour que je n'abandonne pas. Ce style que Céline recherchait en littérature chez ses contemporains. Bref.

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On ne devient pas champions par hasard. Et j'aimerais rajouter champions s'inscrivant dans la durée. Parce qu'il y a quand même une sacrée différence entre Yannick Noah et Rafael Nadal. Il est certain que la fabrique des champions passe souvent par des évènements traumatiques, des expériences extrêmement douloureuses, subis ou observés. Quand je vois Coco Gauff pleurer aux Jeux Olympiques pour des erreurs d'arbitrage qui se répètent, selon elle, à son égard, je pense à Richard Williams qui a sacrément bien préparé ses filles à affronter ce type d'adversité. Non pas que Serena n'ait jamais pleuré sur un court de tennis, mais pas de cette manière. Le résultat est là. 24 titres du Grand Chelem. Richard Williams avait avant même la naissance de Serena et Vénus tracé un chemin dont il connaissait les embûches pour ses filles. Il avait annoncé au monde entier que ses filles seraient n°1 et n°2 mondiale du classement WTA alors qu'elles n'avaient que quatorze ans et que l'USTA lui mettait des bâtons dans les roues. Le père. Le vrai peut parfois être cruel, mais il sait aussi que le monde que va affronter ses enfants sera sans pitié dans certaines circonstances. Je pense à Joe Jackson. Le méchant de l'histoire. Encore un père visionnaire, exigeant à l'excès, qui a créé avec ses enfants le meilleur boy's band de l'histoire de la musique, dont émergera l'artiste contemporain le plus marquant. Naturellement, on pense aux traumatismes de Michael Jackson et à son destin tragique. Son oeuvre artistique se transmet sans forcing, sans forceps, de génération en génération à cause de l'excellence de ses performances. Joe Jackson lui a appris à ne pas faire les choses à moitié avec une violence inouïe, condamnable. La fabrique des champions, c'est une affaire de vision et d'éducation inculqué souvent par un père exemplaire.
Quelle énergie meut ces hommes alpha, pour utiliser les termes actuels ? Augustin Niangouna a donné à son fils les moyens d'atteindre les outils pour explorer la trajectoire d'un père et les raisons de la dictature brutale qu'il a fait subir à ses enfants. Vous aurez compris que ce qu'il nous propose n'est pas une énième pleurnicherie sur les maltraitances et abus de pouvoir du patriarcat. Il lui a fallu plus d'un millier de pages, d'une écriture engageante de la première à la dernière page pour fournir de la nuance à ce sujet.

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Avec le mâle alpha incarné par papa, le personnage central, le chef d'orchestre de l'État major Ya Sika, autrement dit le nouveau quartier général - celles et ceux qui ont vécu sous des régimes militaires comprendront tout de suite - il y a la question de la femme ou plutôt des femmes. César, autre prénom d'Augustin, a.k.a Duras, a.k.a "Le Dur", redéfini comme étant le Vieux, comprendra qui lira, règne sur des femmes par le moyen d'un régime polygamique totalement assumé au Congo post-marxiste. Il faut poser le contexte. La polygamie au Congo Brazzaville a longtemps été vécue discrètement par les élites congolaises entre les années 70 et 2000. Il ne fallait pas s'afficher. Très peu de cadres et intellectuels congolais de la génération du père Niangouna, assumaient de gérer sous un même toit comme leurs parents auparavant plusieurs épouses. Très peu. Par contre le phénomène des deuxièmes bureaux a longtemps monnaie courante à Brazzaville comme à Pointe Noire. C'est une forme de polygamie larvée, validée par les familles avec des mariages coutumiers discrets mais rarement complétée par une action reconnue à l'état civil. Chose beaucoup plus courante au Cameroun ou dans de nombreuses aires culturelles ouest africaines façon Diomaye Fall ou Ousmane Sonko.Donc le cas de Papa dans le roman de Niangouna est disruptif. Il est le premier grammairien de la république marxiste. Il gère plusieurs co-épouses qui ont chacune leur place et leur rôle dans l'État major. On pourrait penser que c'est une vaste blague mais tout cela est très sérieux et le regard du fils sur tout cela est impressionnant. Près de mille page de contes et de littérature. Il n'y a pas ces guerres de tranchées entre les différentes femmes de papa. Une polygamie apaisée. Une adhésion au charisme de papa. D'ailleurs, les affinités des enfants se font au-delà des cercles utérins. Comprenez-moi, pour beaucoup dont je fais partie, la polygamie est un problème. Donc certains s'arracheront les cheveux et les perruques en lisant des séquences de ce roman. Il y a cependant quelque chose d'étonnant. Dieudonné donne très peu la parole aux femmes de son père et aux figures féminines. Sauf à un moment particulier de l'histoire... Il ouvre une brèche. Chose incompréhensible car lors d'un cabaret littéraire organisé au Jip's café (juillet 2024) dont vous trouverez nos échanges sur Soundcloud, l'écrivain congolais avait mis un accent sur la matrilinéarité sundji avec la question passionnante consistant à savoir comment être père dans un contexte où vos enfants ne vous appartiennent pas ? Ce n'est pas le sujet même s'il l'aborde en une phrase. Non. L'homme, papa, défie les traditions, marche sur les sociologies discutables et par un charisme travaillé, il tient son clan d'une main de fer. Et dans le fond, c'est terrible ce que je vais dire, mais la polygamie est le plus souvent un échec parce que les hommes ne sont pas à la hauteur de la tâche. Et si Dieudo, un autre surnom du narrateur, veut comprendre ce père qui gère des femmes venant des quatre coins du pays, c'est qu'il a franchement quelque chose de singulier. Je suis conscient que Dieudonné Niangouna a un parti pris, qu'il y a des silences dans sa narration. Heureusement qu'il fait des impasses, pour tenir cela en 571 pages.
Cela ne change pas mon regard sur la polygamie et je ne pense que cette ambition ait traversé l'esprit du dramaturge. Il a juste raconté une histoire sans s'arrêter comme le faisait si bien sa grand-mère.

Séquence finale 26.09.22.27

Les épisodes ci-dessus ont été produits sur Facebook, alors que je préparais mon émission littéraire. Vous avez observé que je rends hommage aux différent.e.s intervenant.e.s qui se sont prêté.e.s à ce travail de lecture. J'aimerais vous faire part de quelques remarques. La première se résume à ceci : Dieudonné Niangouna est un très grand écrivain. Je n'ai lu que deux volets de sa trilogie, mais quel projet. Chaque volet est écrit différemment. La mise en papa est une mutation, une quête cérébrale, un monologue intérieur d'un mec fragile, une sorte de minimoy devant l'immensité de son père. La mise en papa est donc un texte très technique, sous certains aspects philosophiques, même si Fiston interagit avec le monde qui autour de lui. Même si le monde autour de lui s'exprime au travers d'épisodes de la vie politique congolaise qui heurte le parcours de Fiston.Dans Salve d'honneur pour orchestre à papa, la narration est totalement différente. Ce sont des chroniques de vie autour de la figure fantasque du père. Ce dernier volet se veut donc beaucoup drôle, beaucoup plus cocasse. Un bon texte porté par un style adapté ouvre l'esprit du lecteur à des sujets qui traversent le livre. Par exemple, la question de la liberté. Augustin Niangouna ne se laisse soumettre à aucun diktat : les normes culturelles sundji, le pouvoir central congolais, il décide unilatéralement d'arrêter un match de football féminin quand l'élue de son coeur marque le but. Elle est son trophée... La liberté est un choix. Mais, elle est aussi le fruit d'une éducation, d'une construction en rupture. A quoi préparons-nous nos enfants : à être des moutons ou des lions ? Peut-être faudrait-il trouver un juste milieu. J'ai énormément aimé ce roman qui m'a fait penser à mon père. Un homme libre. C'est mon biais de lecture que j'ai fini par assumer au fil des pages. On pourrait parler de couple mixte, de la France et des semailles du père Niangouna dans ce pays, on pourrait parler de l'Inde, je m'arrêterai là. Encore une fois, merci Dieudo.

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