
L'histoire: Arthur Fleck est interné à Arkham dans une sorte d'hôpital-prison dans lequel le fourbe agent Sullivan (Brendan Gleeson) et son équipe gardent une trentaine de délinquants au cas complexe. L'avocate de Fleck (Catherine Keener) a bon espoir de le faire sortir pour qu'il soit interné dans une institution moins violente. Mais rien n'y fait. Arthur n'a donc d'autre choix que d'attendre le procès ultra médiatisé qu'il subira pour les 5 meurtres avérés qu'il a commis deux ans auparavant sous le nom de Joker. Alors qu'il peine à se départir de sa double identité, Arthur tombe follement amoureux de Lee, une jeune pyromane qui fait partie d'un groupe de détenus privilégiés autorisés à pratiquer le chant. Grâce à celle qui - on le sait assez tôt - cache bien des mystères, Arthur/Joker retrouve progressivement le goût pour la musique qui l'a toujours habité.
" Ce n'est pas nécessairement la suite à laquelle on pourrait s'attendre " - Todd Phillips au soir de la première.
Après avoir dit qu'il s'y refusait, Todd Phillips a finalement accepté de faire une suite à son Joker, primé aux Oscars en 2019, et, à ce jour, le film classé R le plus rentable de tous les temps avec plus d'un milliard de dollars au box-office international. Reprenant son interprète principal et une bonne partie de son équipe technique - notamment Lawrence Sher à la photo et Hildur Guđnadóttir à la musique -, Phillips a fait avec Joker : Folie à deux un film déroutant, en totale rupture avec les attentes.
Toutefois, même si l'on peut avancer sans trop se tromper qu'il sera l'une des grandes déceptions de l'année, Joker : Folie à deux est en parfaite harmonie avec l'image que l'on se fait du personnage, à savoir: une œuvre inqualifiable et insaisissable. Inqualifiable car composée à part à peu près égales d'ingrédients qui d'ordinaire communiquent peu entre eux: bluette romanesque, drame carcéral, comédie musicale et film de procès. Insaisissable car ce mélange pour le moins détonnant - quoique très " bédéesque " - ne livre à peu près jamais la folie liminaire annoncée et attendue.
En l'absence d'étincelles, il faut s'armer de patience pour passer à travers les longues 138 minutes du film. Dans cette méga production budgétée à 200 millions (le Joker de 2019 a coûté 55 M$), on attend plus souvent qu'autrement. On déambule avec le Joker dans les couloirs sombres de la prison, dans les geôles exiguës ou derrière les barreaux d'un autobus blindé. Lorsque l'on change de lieu, c'est pour s'enfermer dans un prétoire tout aussi lugubre ou assister un peu pantois aux quelques moments chantés qui passent par la tête du Joker. Lesquels ne sont ni très joyeux, ni très relevés et encore moins enthousiasmant.
On attend l'évasion, on espère la revanche, on appelle l'échappée meurtrière des deux psycopathes réunis pour le meilleur, mais surtout le pire. Rien ne vient. Si au moins on avait pu trouver un tant soit peu d'émotions dans l'histoire d'amour du héros et de la foldingue incarnée par Lady Gaga, également conseillère musicale de Phillips. Mais, là encore, la déception est grande. La chanteuse oscarisée pour A Star is Born a beau être filmée gros plan, son visage reste totalement inexpressif, presque désincarnée. Je passe sur le drame carcéral claustrophobe qui sent la naphtaline à plein nez, sur un rebondissement explosif sorti de nulle part, sur les incohérences et sur un dénouement qui fleure bon une possible resucée, sans le Joker, mais avec un de ses émules.
Joker : folie à deux c'est pourtant du beau cinoche, évocateur et bien filmé, mais l'emballage n'a rien fait contre l'ennui. Le pire, je crois, c'est je n'ai strictement rien ressenti. Ni peur, ni surprise, ni émotion, ni présence d'un sous texte intéressant sur les ravages de l'Amérique ultraviolente ou sur une apocalypse trumpienne. Je n'irais toutefois pas jusqu'à considérer le film comme un saccage, ou le qualifier d'irrespectueux envers le personnage comme certains critiques l'ont fait. Je le considère plus comme une bizarrerie, ratée, mais suffisamment intrigante pour que l'on n'y décèle pas un hommage presque enfantin au cinéma hollywoodien et un clin d'oeil à une forme de décadence de l'industrie de l' "entertainment ".
Si à mon sens le film ne fonctionne pas, il faut toutefois reconnaître que Phillips - coscénariste et coproducteur en plus d'être réalisateur - et la Warner ont osé s'aventurer ailleurs, ce qui, dans le contexte d'aujourd'hui, est une posture assez rare. Surtout quand on a ce budget et ces vedettes. Ils ont tenté un pari assez fou au risque de se priver d'une grande partie des recettes espérées. Le public du monde entier dira assez vite s'ils ont eu raison ou non. Or, à en croire les premiers chiffres des box offices américains et européens, il est difficile de croire qu'ils seront pardonnés pour leur audace.
Sortie en salle au Québec le 4 octobre 2024 (Warner Bros).
