Go, go, Godzilla.
Au Japon, la sortie de tout film Godzilla est un évènement. Celui-ci peut-être même plus qu'un autre, arrivant sept ans après le dernier opus multi-récompensé et largement acclamé : Shin Godzilla. Autant dire que le 37ème (!) épisode de la saga monstrueuse avait une barre sacrément haute à surmonter ! Verdict ? En tant que fan, je ne le dis pas à la légère : Godzilla Minus One fait partie sans aucun conteste des trois meilleurs films Godzilla de tous les temps.

GODZILLA BIS
1945. Kōichi Shikishima (Ryūnosuke Kamiki) est kamikaze dans l'aviation japonaise. Incapable de mener sa mission-suicide à bien, il se réfugie sur un avant-poste isolé dans le Pacifique ; mais la guerre finit par le rattraper, sous la forme d'une créature gigantesque et destructrice... Le pilote échappe de peu à la mort, et finit par rentrer dans un Japon ravagé par des années de conflit et les balafres de l'arme nucléaire américaine. Il se reconstruit peu à peu, formant une famille de fortune avec l'orpheline Noriko (Minami Hamabe) et son bébé, et s'enrôlant dans l'expédition de déminage en mer de l'ingénieur Kenji Noda (Hidetaka Yoshioka). Mais la bête rencontrée des années plus tôt continue de faire peser sa menace, celle du monstre des légendes locales : Godzilla.
Réalisé par Takashi Yamazaki, Godzilla Minus One est le film de la saga qui se rapproche le plus d'un remake de l'original d'Ishiro Honda sorti en 1954 - et je ne l'entends pas de façon péjorative. Qu'on soit clair, la franchise qui fête ses 70 ans cette année est déjà passée par de nombreux reboots, aussi bien au Japon en 1984 ( Le Retour de Godzilla), 1999 ( Godzilla 2000) ou plus récemment en 2016 avec Shin Godzilla qu'avec les deux versions américaines de 1998 et 2014. Mais Minus One occupe une place unique en étant l'un des rares films à ne pas prendre en compte l'original, à ne pas offrir d'autre adversaire au monstre titulaire, et surtout le seul dont l'histoire n'est pas contemporaine à son année de sortie, préférant le manteau de drame historique pour se replonger au cœur des années troubles de l'après-guerre (et donc, proche de l'année de sortie de , premier du nom).
C'est avant tout une question de ressenti, comme si ce 37ème opus était le film que Honda aurait réalisé s'il en avait eu les moyens à l'époque. L'histoire est certes différente, mais joue dans le même registre, en redonnant pleinement à Godzilla sa place de cataclysme apocalyptique inarrêtable, métaphore expiatoire des bombardements d'Hiroshima et Nagasaki. Le scénario de Minus One franchit les mêmes jalons que son aîné - la découverte d'épaves éventrées en mer, l'inutilité des ripostes militaires, la plus grande scène de dévastation vers le milieu du film, jusqu'au plan scientifique final qui prévoit de couler le monstre dans un torrent de bulles - et conjugue, lui aussi, la destruction spectaculaire avec une histoire humaine forte qui questionne les conséquences de l'apparition de Godzilla sur les victimes innocentes qui croisent son chemin.
Ni copie ni blasphème, Minus One s'affirme comme un hommage évident par un cinéaste qui a tout compris de l'essence du film original et de ce que devrait être n'importe quel film Godzilla. C'est d'autant plus flagrant dans l'ensemble des détails qui viennent étayer cette parenté, de la réutilisation du cri original à la superbe réorchestration des thèmes musicaux d'Akira Ifukube, jusqu'aux éléments beaucoup plus subtils avec la mention des origines folkloriques du nom de la créature, la scène de conférence scientifique et ses vieilles diapositives, ou encore le groupe de journalistes sur un toit relatant en direct l'attaque de Tokyo. Ce respect du mythe fondateur de la saga, couplé à une version ravageuse du monstre éponyme et un récit poignant font entrer Minus One dans le top 3 des meilleurs films Godzilla, aux côtés de celui de 1954 et de Resurgence.
TERREUR SUR LA VILLE
L'attrait principal d'un film Godzilla est, évidemment, Godzilla. Celui de Minus One semble être une réponse directe à la dernière version américaine, tirant profit d'effets spéciaux numériques extrêmement soignés (jusqu'ici peu utilisés dans les opus japonais, au profit d'acteurs en costumes) qui lui ont valu le premier Oscar de la franchise, et d'un design sonore percutant. Son design est directement inspiré de la version Heisei des années 80 et 90, mixée avec de nombreux éléments de la version Legendary américaine comme la crête dorsale et le souffle atomique bleu, et une touche des versions Shin de 2016 et GMK de 2001 ( Godzilla, Mothra and King Ghidorah : Giant Monsters All-Out Attack).
Le monstre fait ici peu d'apparitions, ce qui les rend d'autant plus impactantes. Avec seulement quatre grosses scènes pour environ onze minutes de temps à l'écran (9% de la durée totale), il se place vers le bas du classement, à un niveau équivalent à l'original (Huit minutes de temps d'écran pour 9% de durée totale). En ne conservant que l'essentiel, Yamazaki fait monter l'attente des spectateurs et n'utilise sa créature qu'à bon escient, pour venir frapper là où ça fera le plus de dégâts.
Et quelle dévastation ! C'est vrai dès sa première apparition sur l'île d'Odo, et exacerbé plus tard par l'attaque du destroyer Takao et la première révélation du souffle atomique. Mais le point d'orgue du film reste l'offensive sur Tokyo et l'annihilation totale du quartier de Ginza. Rien ne semble pouvoir stopper la bête devant laquelle s'écroulent les immeubles et flanchent les armes, tandis que le spectateur, lui, reste bouche bée. L'imagerie atomique est poussée à son comble, entre le champignon nucléaire et le silence de mort qui s'abat sur la ville, uniquement rompu par le cri déchirant de Shikishima au milieu des décombres, jusqu'à cette pluie nuire qu'on croirait tout droit tirée d'Imamura. Dans ce spectacle de feu et de cendre, seul émerge victorieux Godzilla.
Cette impression de toute puissance est amplifiée par l'adoption d'un point de vue toujours humain dans sa représentation - une autre des leçons apprises de Honda. En favorisant les contreplongées et se plaçant à hauteur d'yeux, la caméra démesure le monstre et le représente dans toute sa gloire et son immensité. On pense à cette patte immense qui envahit l'écran et piétine les humains ramenés au rang d'insectes, à cette silhouette échancrée plus longue que les croiseurs de guerre, à cette gueule capable d'engloutir le fuselage d'un avion.
Le Godzilla de Minus One est un Godzilla qui fait peur, qui inspire à la fois la crainte et le respect, rendus palpables dans le salut final des forces de riposte après son ultime défaite. Il met l'emphase sur sa première syllabe : si est le roi des monstres, Godzilla est leur dieu, instrument d'apocalypse, une force de la nature qui dépasse amplement les moyens et la compréhension humaine.
ET POURTANT IL FAUT VIVRE
La vraie réussite d'un film Godzilla tient au périlleux équilibre entre une perspective humaine tangible, un (ou des) monstre dévastateur et un message percutant. L'original de 1954 y parvenait admirablement grâce à l'apport conjoint du trio Tanaka - Honda - Tsuburaya, mais la grande majorité des opus suivants a tendance à faire pencher la balance de l'un ou l'autre côté, en y perdant souvent au change. En tous cas, jusqu'à Minus One. La différence fondamentale entre ce dernier et son illustre aîné tient en ce que Yamazaki déplace le curseur de l'impact direct de l'explosion nucléaire, telle que la représentait métaphoriquement le premier , vers ses conséquences et le stress post-traumatique qui y est associé pour les différents personnages.
Minus One n'est pas un récit de destruction mais au contraire de reconstruction, voire de résurrection. Pour ces gens qui ont tout perdu - leurs familles, leur maison, et même de façon plus globale, la guerre - l'enjeu est de se rebâtir. Shikishima trouve en Noriko et son bébé la promesse d'une famille recomposée, et ils érigent ensemble un foyer de fortune au milieu des ruines du conflit. Il s'agit avant tout de retrouver l'envie de vivre pour ce kamikaze manqué souffrant du syndrome du survivant, culpabilisant sa survie face à la perte de ses camarades, et pour qui la guerre n'est pas encore tout à fait finie.
" Quel qu'en soit le prix, je dois survivre. "Shikishima
L'incompétence des armées et des gouvernements n'a de cesse de démontrer leur inutilité dans la réplique face à Godzilla et la destruction qu'il emporte dans son sillage. Aucune arme n'a d'effet contre lui, aucune aide n'est apportée aux survivants, toutes les retombées sont tues, faisant écho aux réponses bien réelles du gouvernement japonais à la suite des catastrophes d'Hiroshima et Nagasaki, qui a nié et caché pendant plusieurs années la tragédie des retombées radioactives. Le film laisse donc la charge aux citoyens, et aux citoyens seuls, de se reconstruire ; c'est une ode à la résilience, qui croit fermement que le salut viendra de l'intérieur et que ce sont les gens ordinaires - Shikishima, Noriko, Noda - qui peuvent accomplir les plus grandes choses.
Le passé est mort, victime de la folie humaine et des monstres qu'elle a engendré. C'est le " minus one " du titre, le " moins un ", comme si revenir à zéro ne suffisait pas à exprimer l'ampleur de ce qui a été perdu. Godzilla fait ainsi du présent un ground zero, non pas un point final mais une opportunité de tout réinventer, de se rassembler face à l'adversité et de tourner enfin le regard vers le futur. Aucun mot ne l'exprime aussi bien que les dernières paroles d'Akitsu avant d'embarquer pour l'affrontement final : " Nous te laissons l'avenir. "
LE MOT DE LA FIN
Godzilla Minus One est tout ce que devrait être un film Godzilla, et plus encore. Ponctué d'impressionnantes scènes de destruction, il parvient à redonner au monstre atomique tout son effroi et tisse une histoire humaine poignante sur la résilience face au traumatisme. Du haut de ses 70 ans, le dieu des monstres prouve une fois de plus qu'il a encore de belles heures devant lui.
Note : 9 / 10
" Ta guerre est-elle enfin finie ? "Noriko
- Arthur
