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Russie : place à la "realpolitik"

Publié le 31 août 2008 par Theatrum Belli @TheatrumBelli

Après la chute du régime communiste, en 1991, la Russie va jouer avec beaucoup de candeur et de bonne foi le jeu de la démocratie et de l'économie de marché. Sur les recommandations des nombreux conseillers américains, spécialistes ès capitalisme, Moscou applique à la lettre et intégralement les méthodes libérales du "consensus de Washington" qui lui sont prescrites. Les entreprises d'État sont rapidement démantelées, privatisées, l'économie ouverte sans ménagement à la concurrence. La Russie va payer très cher son adhésion au capitalisme. Une production industrielle amputée des deux tiers, un PIB divisé par deux, une économie dévastée, la fuite des cerveaux, du savoir-faire et des capitaux. Et la naissance d'une nouvelle caste, les oligarques.

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En 1999, Moscou assiste impuissante à l'entrée de ses anciens satellites dans l'OTAN. Cette dernière s'attaque ensuite à la Serbie, cousine slave des Balkans, lors de la guerre du Kosovo. Pour Vladimir Poutine qui accède à la présidence au début de l'an 2000, la désillusion est grande.

Les événements du 11 septembre offrent une dernière occasion de rapprochement entre les deux anciens adversaires de la guerre froide. Avec l'intervention en Afghanistan, Poutine appelle de ses vœux une association Russie – États-Unis pour l'exploitation conjointe des réserves d'hydrocarbures de la Caspienne.

Il doit de nouveau déchanter. Le seul objectif des États-Unis est d'installer des bases militaires permanentes dans les anciennes républiques de l'Asie centrale, et de détourner à leur profit le pétrole de la Caspienne, vers le sud-ouest, vers la Turquie et la Méditerranée.

Après l'Europe de l'Est et les États baltes, après les Balkans, le Caucase et la Caspienne, voilà que les États-Unis poursuivent le refoulement de la Russie en Asie centrale, au-delà des frontières héritées des tsars.

Cette fois, la rupture est consommée. La lune de miel entre une Russie naïve qui réintègre le "monde libre" et son modèle américain n'aura duré que 10 ans.

Place à la réalité, place à la realpolitik.


Vladimir Poutine commence par recouvrer la souveraineté sur les ressources d'hydrocarbures de la Russie, comme c'est la règle dans tous les pays producteurs. Puis il met ses gazoducs et oléoducs au service d'une diplomatie musclée pour restaurer l'influence de la Russie sur son voisinage. A l'Ouest, l'Union européenne tremble pour ses approvisionnements de gaz alors que l'Ukraine et la Biélorussie rentrent dans le rang.

Quel avenir pour la Russie et ses 142 millions d'habitants, une Russie moins peuplée que le Nigéria, le Bangladesh ou le Pakistan, une Russie en proie à une crise démographique alarmante ? Quel avenir pour cet immense territoire de 17 millions de km2, large de 10.000 km et qui s'étend sur onze fuseaux horaires, un territoire riche en matières premières et en hydrocarbures ?

Quel avenir pour cet Extrême-Orient russe, territoire sous-peuplé sur lequel semble vouloir se déverser la multitude chinoise toute proche ?

CONSTANTES GÉOPOLITIQUES

Les données géopolitiques de la Russie présentent une exceptionnelle constance depuis cinq siècles. Bloquée au nord et à l'ouest par la Suède et la Pologne, elle est confinée dans son espace continental slave dépourvu de « fenêtres » sur le monde.

Voilà pourquoi depuis Ivan le Terrible, elle poursuit avec obstination les mêmes objectifs :

  • Accéder aux "mers libres", libres des glaces qui bloquent les mers arctiques, mer Blanche ou mer de Barents. Ce sera fait en 1703, lorsque Pierre le Grand fonde Saint-Pétersbourg.
  • Accéder aux "mers chaudes" du Sud, la Méditerranée, la Caspienne ou l'océan Indien. Mais la Russie trouve sur sa route trois empires : le britannique, l'ottoman et le perse.

Autres constantes de sa politique étrangère :

  • La Russie cherche depuis toujours à se rapprocher de l'Europe de l'Ouest, car elle se sent profondément européenne. Mais elle bute sur le monde germanique.
  • Enfin, avec le panslavisme, la Russie veut rassembler les pays slaves orthodoxes, Ukraine, Biélorussie, Serbie...

Ces constantes se retrouvent aujourd'hui alors que la Russie se bat sur les quatre fronts pour contenir l'avancée des États-Unis :

  • Europe : la Russie est isolée et traitée en adversaire par l'Union européenne et l'OTAN. Elle doit empêcher que l'Ukraine et la Biélorussie ne tombent dans le camp américain.
  • Balkans : en 1999, l'OTAN a déclaré la guerre à son allié serbe dans l'affaire du Kosovo. Aujourd'hui, la Russie s'oppose à l'indépendance du Kosovo.
  • Caucase : alors que le nord du Caucase est instable (Tchétchénie), la Russie fait pression sur la Géorgie qui veut rejoindre l'OTAN.
  • Asie centrale : la Russie alliée à la Chine repousse l'avancée américaine qui a suivi l'intervention en Afghanistan.

Une histoire récente

La Russie et le peuple slave n'ont formé une nation que tardivement. Si les Slaves sont peu présents dans les livres d'histoire, c'est sans doute parce qu'ils étaient pacifiques. Les Slaves ont été christianisés à la fois par Rome (Pologne catholique) et par Constantinople (Russie orthodoxe.) En 1453, à la chute de Constantinople, Moscou devient la "nouvelle Rome" et Ivan IV le Terrible (1547-1584) est le premier à prendre le titre de tsar (César). Il parvient jusqu'à la mer Caspienne, une mer fermée, mais reliée au monde perse et turc.

Au XVIe siècle, commence la conquête de l'Est et de la Sibérie par les Cosaques.

L'histoire de la Russie en tant que grande puissance débute tardivement, en 1689, avec l'avènement de Pierre le Grand. Il devient tsar de toutes les Russies de 1689 à 1721, puis empereur jusqu'en 1725, titre que conserveront ses successeurs. Il parvient à repousser Suédois et Polonais et obtient enfin l'accès aux mers libres tant recherché, sur la mer Baltique. Il fonde Saint-Pétersbourg (du nom de l'apôtre Pierre, et non pas du sien) en 1703 et en fait sa capitale. La volonté de Pierre le Grand est de s'ouvrir sur l'Europe de l'Ouest. Ce sera une constante de la politique russe. Catherine II commence par éliminer son mari le tsar Pierre III pour se faire couronner impératrice de Russie en 1762. Sous son règne, la Russie étend ses territoires dans le Caucase et le nord de l'Iran.

Le front européen : isoler la Russie

En 1991, à la chute de l'Union soviétique, la Russie de Boris Eltsine se présente en amie, prête à entrer dans la "maison commune" européenne dont rêvait Michael Gorbatchev. La Russie est un pays européen, malgré son voisinage avec le Japon, la Mongolie et la Chine.

Mais citons de nouveau cette maxime de William J. Perry, le secrétaire à la Défense de Bill Clinton : "si l'on traite un pays en ennemi, alors il se comportera en ennemi et deviendra à coup sûr un ennemi".

Empêcher l'alliance Russie-Europe

Car la Russie est un de ces "ennemis utiles" dont ont besoin les États-Unis. L'ours russe doit d'abord être tenu à distance de l'Union européenne, car une alliance stratégique entre les deux royaumes ferait naître la première puissance mondiale, puissance industrielle forte de 650 millions d'habitants et riche en matières premières.

Après avoir provoqué le démantèlement de la Russie (la "plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle" selon Poutine), les Etats-Unis maintiennent soigneusement Moscou à l'écart de l'Europe.

La Russie ne peut rentrer dans l'OTAN ni rejoindre l'Union européenne. Un veto des États-Unis l'empêche d'adhérer à l'Organisation mondiale du commerce. Et pour finir, les Etats-Unis maintiennent toujours un embargo sur les ventes de matériel militaire à l'égard de Moscou. Ce n'est qu'en 1997 que l'OTAN admet que la Russie n'est plus un adversaire. Un timide conseil permanent OTAN – Russie est mis en place.

Au lieu de l'accueillir, le camp américain a continué de voir dans la Russie le prolongement géopolitique de l'URSS. La Russie s'est sentie trahie.

Extension de l'OTAN

La Pologne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie et les États baltes sont rentrés dans l'orbite soviétique après la Seconde Guerre mondiale. Mais l'Ukraine, la Biélorussie, les États du Caucase (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan), ceux d'Asie centrale (Kazakhstan, Ouzbékistan, Kirghizistan, Turkestan) faisaient partie du territoire russe au temps des tsars et des empereurs.

Pour les Russes, l'expansion territoriale de l'OTAN équivaut aux conquêtes de la France napoléonienne ou de l'Allemagne nazie.

La bataille pour l'Ukraine et la Biélorussie

États tampons s'il en est, coincés entre la Russie et l'Allemagne, l'Ukraine et la Biélorussie connaissent un destin parallèle. Les deux pays, qui faisaient partie de l'empire russe depuis Catherine II, sont très dépendants de leur puissant voisin pour les approvisionnements en hydrocarbures, les exportations d'armement, où l'accès à la mer (Biélorussie).

La petite Moldavie, la Biélorussie, l'Ukraine et la Serbie sont tous, comme la Russie, des pays slaves de religion orthodoxe. La ligne de front passe aujourd'hui par ces quatre pays que le bloc américain tente d'attirer dans l'orbite de l'Union européenne et dans l'OTAN.

Au début des années 1930, Staline, qui se méfie de la dissidence ukrainienne, organise une famine qui fait entre 4 et 7 millions de victimes. Puis, pendant l'occupation du pays par l'Allemagne nazie, l'Ukraine est le théâtre d'abominables massacres qui feront entre 6 et 7 millions de morts. En 2004, le camp pro-occidental lance la révolution orange. George W. Bush déclare vouloir faire entrer l'Ukraine dans l'OTAN avant la fin de son second mandat. Mais 60% des 46 millions d'Ukrainiens s'y déclarent hostiles, une majorité d'entre eux restant fidèle à la Russie.

Le destin de la Biélorussie, pays slave enclavé de 11 millions d'habitants, ressemble fort à celui de son voisin ukrainien. Intégré à l'URSS en 1922, près du quart de la population, soit plus de 2 millions de personnes, est décimé au cours de l'occupation nazie. La langue russe est parlée par la majorité de la population.

Le GUAM, fondé en 1996 et financé par les États-Unis, est un véritable lobby anti-Russe. Il regroupe la Géorgie, l'Ukraine, l'Azerbaïdjan et la Moldavie dont les initiales composent le mot GUAM en souvenir de l'île américaine du Pacifique.

Le front des Balkans

Les États-Unis se sont introduits dans les Balkans, à la suite de la désintégration de la Yougoslavie. Le démantèlement du pays en 1991, trop vite avalisé par les Européens (l'Allemagne s'empresse de reconnaître la Croatie) donne naissance à cinq états. Les républiques de Slovénie, Macédoine, Croatie et Bosnie proclament leur indépendance et affirment leur intention de se séparer de la Yougoslavie (devenue Serbie en 2003). Les deux premières parviennent rapidement à s'extraire de l'orbite de Belgrade.

Par contre en Croatie, un conflit avec la minorité serbe, 12% de la population, alimente une guerre qui va durer jusqu'en 1995. En Bosnie, Croates et Serbes demandent la partition du pays, mais un référendum organisé en 1992 approuve à 63% l'indépendance. La communauté internationale reconnaît la Bosnie, mais Belgrade entreprend le siège de Sarajevo. La guerre se termine en 1995 par les accords de Dayton qui consacrent l'indépendance du pays. Puis le Monténégro se sépare de la Serbie en 2006.

La question du Kosovo

Reste la province serbe du Kosovo peuplée en majorité d'Albanais musulmans, et qui depuis 1992, réclame, elle aussi son indépendance. Il y a pourtant une différence de taille. Les cinq pays sécessionnistes de 1991 avaient le statut de républiques fédérées dans l'ancienne Yougoslavie. Le Kosovo n'est qu'une province serbe jouissant d'une autonomie limitée.

En 1997, avec l'effondrement de l'Albanie, des stocks d'armes parviennent aux rebelles du Kosovo. En 1998, le leader nationaliste serbe Slobodan Milosevic réprime durement "l'armée de libération du Kosovo", faisant des milliers de victimes et de réfugiés.

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C'est alors qu'en mars 1999, l'OTAN décide d'intervenir et va pilonner la Yougoslavie pendant une durée exceptionnellement longue de 78 jours, aggravant - ou provoquant - l'exode des kosovars. Une opération menée en dehors du cadre de l'ONU, et en contravention avec la charte des Nations unies (et même de l'OTAN) puisque la Yougoslavie n'a pas mené d'agression extérieure.

A bien des égards, la campagne de bombardement de l'OTAN, menée par un Clinton affaibli par l'affaire Lewinsky, préfigure la doctrine Bush et l'opération irakienne : surestimation et diabolisation de l'adversaire (500.000 victimes kosovars selon le département d'état, 100.000 selon William Cohen secrétaire à la défense contre moins de 10.000 dans la réalité), qualification des exactions serbes de "génocide" (sur le modèle du massacre de Srebrenica en Bosnie), accusations de "nettoyage ethnique"...

Avec la guerre du Kosovo, les États-Unis s'implantent militairement dans les Balkans et affaiblissent l'allié serbe de Moscou dans la région. Sans compter l'avertissement sans frais à la Chine que constitue le bombardement de son ambassade à Belgrade. Croatie, Macédoine ou Albanie pourrait rejoindre l'OTAN à brève échéance.

Le Kosovo est depuis 1999 sous administration de l'ONU (KFOR). Faute d'accord au conseil de sécurité, le pays a déclaré unilatéralement son indépendance en février 2008. Indépendance appuyée par les USA, la Grande-Bretagne et la France, mais rejetée par la Russie qui défend son allié traditionnel serbe et slave.

La boîte de pandore

L'indépendance du Kosovo ouvre la boite de Pandore des nationalismes régionaux et divise le monde à commencer par l'Europe. L'Espagne, qui craint la contagion à ses provinces de Catalogne ou du pays basque, la Grèce ou encore la Roumanie n'ont pas l'intention de reconnaître l'indépendance du Kosovo. Quant à Moscou, il en appelle à l'ONU pour condamner la déclaration.

Le dangereux processus initié au Kosovo pourrait s'étendre à d'autres régions du Caucase comme la Transnistrie (Moldavie) ou l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud (Géorgie) qui réclament, elles aussi leur indépendance. Il pourrait aussi susciter des pressions séparatistes chez les musulmans de Macédoine, de Serbie ou du Monténégro. Et la Russie s'inquiète pour la stabilité de ses républiques du Caucase Nord. En représailles, elle menace de déstabiliser la Géorgie.

Le front du Caucase

La chaîne du Caucase s'étend de la mer Noire à la mer Caspienne. Les trois républiques du Sud sont le théâtre de la rivalité entre la Russie et les États-Unis. L'Arménie entretient des relations cordiales avec la Russie. L'Azerbaïdjan, riche en hydrocarbures, est en bons termes avec la Russie et très proche de la Turquie. C'est la Géorgie qui constitue l'enjeu principal. Elle s'est rapprochée de l'Occident et de l'OTAN dès 1994 en signant le "partenariat pour la paix". Elle pourrait rejoindre l'alliance atlantique à brève échéance.

Mais la Russie soutient les régions séparatistes de Géorgie, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, et l'instabilité en Ingouchie pourrait retarder l'entrée de la Géorgie dans l'OTAN.

L'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan transporte le pétrole de l'Azerbaïdjan et de la Caspienne vers l'Ouest, traversant la Géorgie en direction de la côte turque.

Au nord du Caucase, la Russie tente de stabiliser la situation en Tchétchénie. La première guerre (1994-1996) menée par Boris Eltsine se solde par un échec complet et la création d'une république islamique autonome. A peine nommé Premier ministre, Vladimir Poutine lance en octobre 1999 la seconde guerre de Tchétchénie, suite aux attentats qui se multiplient jusqu'à Moscou. Cette fois, la province est ramenée dans le giron de la Russie.

Le front de l'Asie centrale

Dans les années 1990, les États-Unis vont surévaluer les réserves de pétrole de la Caspienne. Le chiffre de 240 milliards de barils est avancé, ce qui aurait fait de la région l'égale de l'Arabie saoudite ! Il faut bien vite se rendre à l'évidence, il n'y a guère plus de 50 milliards de barils autour de cette mer fermée.

En décembre 2001, avec l'intervention en Afghanistan, les Américains prennent pied dans cette région anciennement soviétique, l'Asie centrale. Son intérêt stratégique tient au fait qu'elle se trouve dans le voisinage de la Caspienne, et à la frontière du Turkestan chinois (Xinjiang), une région agitée par la rébellion des ouïgours.

Chine et Russie ont des intérêts convergents en Asie centrale où il s'agit de contrer la poussée de l'Amérique. Les deux pays disposent d'un véhicule pour coordonner leur politique, il s'agit du SCO.

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Shanghai Cooperation Organization (SCO)

L'organisation a été fondée en 1996 et regroupe aujourd'hui Chine, Russie, Ouzbékistan, Kazakhstan, Kirghizstan et Tadjikistan. L'Inde, le Pakistan et l'Iran sont invités en tant qu'observateurs aux sessions du SCO.

En 2005, l'organisation demande et obtient l'évacuation de la base américaine de Karshi-Khanabad en Ouzbékistan. Outre l'Afghanistan, les Etats-Unis disposent encore de la base aérienne de Manas au Kirghizistan, un pays très pauvre auquel ils fournissent une aide annuelle de 750 millions de dollars. Dans le cadre du SCO, la Russie et la Chine procèdent régulièrement à des exercices militaires communs, les premiers depuis 1958 et la rupture entre les deux pays (1960). Le SCO est parfois surnommé par les Américains le "club des dictateurs" en référence à la Chine bien sûr, mais aussi aux autres républiques de la région. L'organisation a refusé aux Etats-Unis le statut d'observateur qu'il a pourtant accordé à l'Iran.

En octobre 2007, Vladimir Poutine participait au sommet des pays de la Caspienne à Téhéran, réunissant le Kazakhstan, le Turkménistan, l'Azerbaïdjan, l'Iran et la Russie. Les différents pays se sont engagés à ne pas servir de base pour une attaque américaine contre l'Iran.

La reconstruction de l'empire russe

"Les officiels russes qui ont autorisé la signature de ces contrats auraient dû être emprisonnés", déclara le président Poutine se référant à la période Eltsine durant laquelle les actifs de l'URSS furent bradés aux oligarques.

Durant ces années, les États-Unis sont parvenus à démanteler l'État russe, détruisant sa capacité politique à agir comme un acteur indépendant. Et pendant qu'ils avançaient sur les quatre fronts, Europe, Balkans, Caucase, Asie centrale, ils prenaient soin d'isoler la Russie.

En 1999, la production industrielle est divisée par trois, le PIB par deux, le revenu par habitant a baissé de 75% et 2 millions de personnes sont mortes faute de soins. Cette année-là, Eltsine change quatre fois de Premier ministre avant de confier le pouvoir à un ancien officier du KGB, Vladimir Poutine.

En janvier 2007, le PIB de la Russie a enfin rattrapé le niveau qui était le sien au début de l'année 1990, à la chute du mur de Berlin. Il aura ainsi fallu 17 ans à la Russie capitaliste pour retrouver le niveau de vie qui était le sien du temps de l'Union soviétique.

L'économie russe croît aujourd'hui au rythme de 7% par an, grâce principalement à l'envolée du prix des matières premières. Les réserves de change s'élèvent à 420 milliards de dollars fin 2007, soit près du tiers de celles de la Chine. La Russie a investi quelque 120 milliards de dollars à l'étranger au cours des 5 dernières années.

Le président Poutine a placé sept de ses proches aux commandes des grands groupes énergétiques et industriels. Au travers de l'État, Vladimir Poutine contrôle directement 40% du PIB russe.

La nationalisation des hydrocarbures

Vladimir Poutine va d'abord mettre la main sur le premier producteur de pétrole du pays, Yukos pour le dépecer, puis renégocier par la contrainte les contrats passés avec les sociétés étrangères. Le président russe ne fait que corriger une situation anormale. Dans tous les pays pétroliers du monde, Venezuela, Mexique, Arabie, les réserves d'hydrocarbures sont des actifs stratégiques qui restent la propriété de l'État.

L'affaire Yukos

En 2003, après la perte de l'Irak, la Chine croit bien avoir signé le contrat du siècle avec le russe Yukos, portant sur quelque 150 milliards de dollars sur plusieurs années. Avec ce contrat, Pékin sécuriserait ainsi un quart de ses importations de pétrole jusqu'en 2030 ! Mais pendant ce temps, le numéro 1 mondial, l'américain ExxonMobil négocie en sous-main avec Mikhail Khodorkovsky, le PDG de Yukos, le rachat de YukosSibneft, sa filiale qui est la première compagnie pétrolière russe. Les pétroliers américains s'apprêtent à prendre le contrôle du fournisseur exclusif de la Chine ! C'est alors que Vladimir Poutine entre en scène. Khodorkovsky est incarcéré pour fraude fiscale, les projets américains et chinois sont gelés et Yukos devra payer des dizaines de milliards de dollars d'arriérés d'impôts. La société est démantelée. Gazprom, le géant du gaz contrôlé par l'État, récupère les meilleurs morceaux, alors que Rosneft, détenu à 75% par l'État russe, reçoit la majorité des actifs pétroliers. Rosneft dépasse ainsi l'autre champion russe du pétrole, la société privée Lukoil.

Récupérer les actifs détenus par des étrangers

Au terme d'une renégociation musclée, le gisement gazier de Sakhaline 2 retombe dans le portefeuille de Gazprom au détriment de Shell.

Avec Sakhaline 1 (ExxonMobil 30%, Rosneft 20%, ONGC Inde 20%, Sodeco Japon 30%) la situation est plus complexe. Gazprom annonce qu'il veut conserver l'exclusivité de la vente de gaz à la Chine et qu'il construit à cet effet un gazoduc. ExxonMobil va devoir céder son gaz à Gazprom au prix intérieur de 40 dollars le mètre cube alors que le russe le revendra 100 dollars aux Chinois. Quant à la filiale à 50% de British Petroleum, TNK-BP, elle doit céder 63% de ses parts à Gazprom dans le gisement de Kovykta.

L'Opep du gaz

Avec le tiers des réserves mondiales de gaz, la Russie peut se permettre d'évoquer la constitution de ce qu'elle appelle une "Opep du gaz", en associant l'Iran (15%) ou l'Algérie (3%) et pourquoi pas le Qatar (9%), les Emirats (4%) ou l'Arabie (4%). Alors que les Etats-Unis font pression sur la Chine pour qu'elle abandonne un projet de développement des champs gaziers de Pars en Iran pour 16 milliards de dollars, une telle association enlèverait de la crédibilité à la menace américaine.

Une superpuissance militaire

Malgré une décennie perdue, celle des années 1990, l'industrie de l'armement russe est parvenue à remonter la pente en maintenant un haut niveau technologique. L'objectif est triple. La Russie doit d'abord se faire respecter des Américains qui la traitent en ennemie et la refoulent sur les quatre fronts. Ensuite, l'armement est le second poste du pays à l'exportation derrière l'énergie. Enfin, il faut protéger les immensités sibériennes et leurs richesses minérales d'une possible invasion chinoise.

Riposte aux provocations américaines

En 2007, pour protester contre l'avancée des États-Unis sur les quatre fronts et contre le projet d'installation de systèmes antimissiles en Pologne et en Tchéquie, Vladimir Poutine a décidé de sortir ses crocs. Les bombardiers stratégiques Tupolev 160 ont repris leurs missions abandonnées à la fin de la guerre froide, les chasseurs Sukhoi 33 effectuent des exercices d'appontage sur le porte-avions Amiral Kuznetsov. La marine russe s'est redéployée en Méditerranée, et la construction d'une base navale en Syrie a été évoquée. Les Russes ont procédé à des essais de missiles balistiques Topol-M modifié, de Bulava-30 naval et de RS-24 "mirvé" pour manifester leur défiance et démontrer que le bouclier ABM américain ne peut être efficace contre leurs armes. De même, Moscou a testé en septembre 2007 une bombe à effet de souffle quatre fois plus puissante que l'américaine MOAB et menace de déployer des missiles balistiques de courte portée Iskander-M dans l'enclave de Kaliningrad.

Les fonds marins de l'Arctique renfermeraient quelque 10 milliards de tonnes de pétrole et de gaz ainsi que d'importantes réserves de minerais aussi stratégiques que l'or, le manganèse, le platine... Avec la probable fonte des glaces, ses richesses deviendraient exploitables.

Chacun des pays du cercle arctique, Russie, Canada, États-Unis, Norvège et Danemark convoitent ces nouveaux territoires. La Russie a envoyé les bathyscaphes Mir 1 et Mir 2, ceux-là même qui servirent à James Cameron pour filmer le Titanic, planter un drapeau russe en titane inoxydable par 4.200 mètres de fond !

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Des armements très sophistiqués

Depuis l'arrivée de Vladimir Poutine, le budget militaire de la Russie a été multiplié par quatre. Le Topol-M (SS-27) et le Bulava-30 naval disposent de têtes multiples manœuvrables se déplaçant à des vitesses supersoniques selon des trajectoires imprévisibles. La Russie a aussi développé le missile sol-air de nouvelle génération S-400 Triumph.

Les missiles de croisière russes à long rayon d'action sont particulièrement redoutés par les forces de l'OTAN. Le Sukhoi T-50 PAK-FA est un chasseur de cinquième génération comparable au F-22 Raptor américain. Il doit voler en 2008 et à terme remplacer les Sukhoi Su-37 Flanker et autres Mig-29 Fulcrum.

Jean-Francois SUSBIELLE

In Les Royaumes combattants

First Éditions (2è trimestre 2008)


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