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La voix des Saules

Publié le 26 novembre 2024 par Adtraviata
voix Saules

Quatrième de couverture :

Sollicitée pour animer des ateliers d’écriture en milieu psychiatrique, Nathalie Skowronek hésite. Elle qui n’a jamais encadré ce genre d’exercice n’est pas sûre d’être à la hauteur. Pourtant, sans bien savoir pourquoi, elle accepte. Autour de la table, entre écriture créative et confidences bouleversantes, elle découvre une humanité en souffrance, digne, sans complaisance sur son état de perte, prompte à rire d’elle-même. Au fil des séances, elle voit s’amenuiser la distance qui la sépare des participants. Un nouveau monde se dévoile, où les faux-semblants, les conventions sociales, les zones de confort s’évanouissent. Désarmée par tant de sincérité, à son tour, elle se révèle.

Sans effets, théorie ni jugement, Nathalie Skowronek démonte un par un les murs érigés entre le normal et le pathologique. La création se situe quelque part, au-delà de cette frontière. A l’écrivain d’oser, comme elle, s’y aventurer. Une magnifique expérience.

De Nathalie Skowronek, j’ai lu jusqu’à présent Karen et moi et Max, en apparence. Tous ses romans (y compris ceux que je n’ai pas encore lus et auxquels elle fait allusion dans ce texte) ont une part autobiographique, destinée notamment à faire s’exprimer la jeune femme introvertie, blessée par les secrets familiaux liés à la Shoah. Ce livre-ci n’est pas un roman, l’auteure y raconte son expérience d’animatrice d’ateliers d’écriture aux Saules, un centre de jour pour personnes atteintes de maladies mentales. Elle accepte la « mission » alors qu’elle ne se sent pas vraiment légitime pour le faire et qu’elle va elle-même à la dérive suite à une séparation. Pour assurer le travail, elle se place dans le contrôle total, offrant aux participants et aux responsables du centre un masque de normalité qu’elle croit inébranlable. Nathalie Skorownek décrit les différents participants et surtout la richesse sans fard avec laquelle ils exploitent les exercices d’écriture proposés. Ces ateliers ouvrent sur les textes d’écrivains célèbres et c’est intéressant de découvrir les textes fondateurs de l’auteure. Sur un fil tendu entre colère et dépression, l’animatrice ose se dévoiler peu à peu devant la simplicité et la fragilité de Josée, Clémence, Julia, Lina, Pierre et les autres. Elle pourrait bien se retrouver de leur côté après tout. Car sa santé mentale se fragilise de plus en plus au fil des mois, au fil des pages.

J’ai été touchée par l’expérience et par les personnalités des participants, j’ai aimé l’écriture sensible, tendue de ce récit mais je me suis sentie un peu voyeuse tant la souffrance psychique de Nathalie Skowronek était palpable.

Ce livre (pourtant pas un roman) a lui aussi été finaliste du Prix Rossel 2024 (attribué à Velibor Colic).

‘La question de la réception n’est jamais simple. Il y a l’accueil du « milieu littéraire », celui des lecteurs anonymes et, plus sensible, celui des proches. J’avais peur de ce qu’ils liraient entre les lignes, interpréteraient, extrapoleraient. Chaque publication est pour moi l’heure des rapprochements et des malentendus. Seront-ils d’accord avec ma version de l’histoire ? Froissés ? Faudra-t-il que je me justifie, argumente, serre les poings ? Je suis à la fois l’écrivain de la famille et celle qui en livre une vision trop personnelle, la tension entre les deux m’entraîne vers des montagnes russes émotionnelles qui m’épuisent sans qu’il soit question d’y renoncer.
Je connais aussi le sentiment de désœuvrement dans lequel nous plonge la fin d’un manuscrit. On se sent vidé, on tourne en rond, on se demande si la grâce de l’écriture reviendra, si l’on n’est pas arrivé au bout de ce qu’on peut faire, dire, porter (reste-t-il encore suffisamment de tissu ? se demande Ossip Mandelstam, le poète russe). De sorte qu’au moment de recevoir le message dans ma boîte mail, j’étais fébrile, inquiète, je ne me croyais disponible pour rien ni personne. »

« Je leur explique que j’aime beaucoup le principe des énumérations. Il permet d’aller vers le plus singulier en dépassant les stéréotypes. Par exemple, en proposant de décrire un lieu, une situation, un état mental en douze points différents, on se donne la possibilité de sortir des sentiers battus. Les premières vignettes sont souvent communes à l’ensemble du groupe mais, plus on creuse, plus on doit aller chercher loin. Cela crée une profondeur de champ, de la durée (on s’attarde donc on prend le temps d’éprouver). »

« Je me suis rappelé qu’écrire, c’était un mot après l’autre, puis un paragraphe après l’autre. Comme dans un mouvement de brasse coulée, on prend l’air et on plonge. Au bout de la longueur, on se retourne et on recommence. On n’a pas une vision claire de la distance parcourue, encore moins de ce qui nous attend, chaque séquence étant un monde en soi. Qui mobilise nos forces, prolonge nos efforts, nous emmène plus loin. »

« Voilà ce que je m’efforce de leur apporter aux Saules, le sens des métaphores. Ce n’est pas grand-chose, c’est le seul langage que je pratique. Je me dis que peut-être cela leur offrira une brève échappée, un contrepoids aux prisons mentales. Dans la mienne, les tourments déroulent leurs bandelettes infernales, se transforment en lassos, font de moi une momie. Plâtre, oeuf, masque. Le souvenir de poupées de porcelaine dont, enfant, je faisais la collection, m’envahit. Des figures douces, harmonieuses. Un matin, mauvaise prise, ma préférée s’était brisée. J’avais maladroitement reconstitué l’ensemble avec de la colle – mais recolle-t-on les morceaux ? -, son visage, désormais strié de cicatrices, n’avait jamais retrouvé sa beauté d’origine. »

Nathalie SKOWRONEK, La voix des Saules, Grasset, 2024

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