
Il aura fallu la sortie d'un film pour que remonte à la surface ce livre, pourtant primé, qui m'avait malheureusement échappé. Une bouffée d'air frais, un feu de Bengale, une petite lumière contre la noirceur du monde. La petite et le vieux de Marie-Renée Lavoie.
La petite, c'est tout un numéro ! Le vieux aussi ! La petite, c'est Hélène, alias Joe, dans ses fantasmes. En effet, elle carbure à une émission d'animation mettant en vedette Lady Oscar, une jeune femme déguisée en homme et qui défend le roi Louis XVII juste avant la Révolution. Hélène s'identifie profondément à cette figure intrépide et irréprochable. Tout comme elle, elle aspire à devenir un garçon. Cette petite fille de 10 ans évolue dans le quartier Limoilou de Québec, dans une famille aux revenus modestes, entre un père dépressif et alcoolique, bien que non-violent, une mère aimante, mais autoritaire, ainsi que trois autres sœurs. Ultra sensible, Joe (faisons-lui plaisir) devient camelot dans l'espoir de soulager les soucis financiers de la famille. Son univers est bousculé par l'arrivée d'un vieux schnock, un bourru au grand coeur, leur voisin, avec lequel Joe noue un lien particulier.

L'intrigue est constituée de faits souvent minuscules, qui, passés au crible de l'imagination débordante de la petite, prennent une tout autre dimension et nous captivent. On ne s'ennuie pas une seconde à suivre l'enfant qui observe tout avec acuité, lucidité et tant d'empathie. On s'émeut aussi de son courage. Tout ça grâce à la plume inventive de l'autrice, Marie-Renée Lavoie dont c'était le premier roman. Un coup de circuit ! J'aurais pu trouver dans chaque page un extrait à vous présenter. Dans celui-ci, Joe effectue sa collecte hebdomadaire...
Extrait
C'est probablement par un matin de cadran déréglé que je suis tombée sur Madame Péloquin en train de placer l'enveloppe sous son tapis en poils de cactus. Elle n'avait aucun des traits que je lui avais prêtés, seulement un petit corps en forme de poire et d'énormes cernes sous les yeux comme n'en ont jamais les femmes de la télévision auxquelles on s'étonne toujours un peu de ne pas ressembler. La porte de l'appartement était restée grande ouverte et c'est là, sur la toile de fond de leur petit quotidien, que j'ai reconnu Philippe Péloquin, l'un des garçons de ma classe, petit fantôme que la maîtresse ne sortait de sa non-existence que pour lui signifier qu'il n'irait pas bien loin s'il s'entêtait à n'être que lui-même. Malheureusement, j'ai eu bien assez des quelques secondes qu'il m'a fallu pour prendre l'enveloppe des mains de Madame Péloquin et la remercier pour comprendre, en voyant les cinq petits enfants encore tout ensommeillés plier des draps et redresser des matelas qu'ils empilaient au mur, que le plancher de la cuisine de ce petit logis leur servait de dortoir la nuit. Et que dans cet appartement moyenâgeux, on devait, tous les matins, mettre réellement la table. (p. 92)
Ça m'a donné envie de tout lire Marie-Renée Lavoie.
Sautez sur ce livre. Il fait du bien à l'âme sans édulcorer la dureté de la vie.
Marie-Renée Lavoie, La petite et le vieux, Bibliothèque québécoise, 2010, 236 pages.
