Une partie du charme desBeatlesrésidait dans cette surprise constante : on ne savait jamais à quoi s’attendre sur chacun de leurs albums.Rubber Soulne ressemblait en rien àSgt. Pepper’s, et il y a fort à parier que personne n’aurait pu égaler ce que le Fab Four a accompli en enregistrantAbbey Road. Leur recette ? Jouer ensemble en tirant le meilleur de chaque composition. Pourtant, on sent parfois un certain dédain enversPaul McCartneyquand il se lance dans ce que l’on surnomme sa « musique de grand-mère ».
Soyons honnêtes :McCartneypouvait en effet se montrer un brin ringard quand il le souhaitait. Bien qu’il ait signé des collaborations brillantes avecJohn Lennon, donnant naissance à des chefs-d’œuvre créatifs comme « A Day in the Life », il y a aussi des morceaux comme « Maxwell’s Silver Hammer » qui divisent toujours, quelle que soit la génération à laquelle on appartient.
Mais honnêtement, est-ce vraiment si grave ? « Ce n’est pas du rock », diront certains. Oui, et ça ne cherche pas à l’être non plus. Dès le début,McCartneyn’a jamais prétendu être puriste d’un seul genre musical. Quand il s’essaye aux chansons de style vaudeville des années 1920, qui parsèment sa discographie, il explore simplement une autre de ses nombreuses influences musicales.
Bien qu’un titre comme « Ob La Di Ob La Da » soit totalement dépourvu de l’influence de Chuck Berry ou d’Elvis Presley, il a au moins le mérite de faire danser. Qu’on aime ou non le côté parfois simpliste ou accrocheur à l’excès des mélodies deMcCartney, c’est justement cette facette qui a tant contribué au succès desBeatles.
L’histoire deMcCartneyavec la « musique de grand-mère » dépasse le simple registre vaudeville. Il est familier de ce style depuis sa jeunesse, ayant grandi en écoutant son père jouer du piano à la maison. Ce n’est donc pas surprenant de le voir créer « When I’m 64 » alors qu’il composait ses premières mélodies.
Malgré leur efficacité mélodique,Lennonn’a jamais caché son aversion pour ces morceaux. Dans son livreHere, There and Everywhere, Geoff Emerick se souvient des sessions d’enregistrement de « Ob-La-Di, Ob-La-Da » : « C’était exactement ça. Un moment,Johnétait à fond, il s’amusait avec son accent jamaïcain parodique, puis l’instant d’après, il boudait et grommelait, reprochant que cette chanson soit encore de la “musique de grand-mère” dePaul. »
Parler de « chansons de grand-mère » est un sujet sensible, car tout le monde ne s’accorde pas sur les morceaux qui méritent ce label. Certes, « Maxwell’s Silver Hammer » pourrait être considéré comme de la « musique de grand-mère », commeLennonl’a qualifié de façon cinglante, mais cela signifie-t-il que l’on doit ignorer d’autres ballades deMcCartney, comme « Eleanor Rigby » ou « For No One » ? Si les morceaux joyeux plaisent à beaucoup, il est difficile d’imaginer une grand-mère qui n’apprécierait pas la beauté intemporelle de « Yesterday ».
Et ce n’est pas comme siMcCartneyn’était pas conscient du côté kitsch de ces morceaux. En l’écoutant imiter Tiny Tim sur « Honey Pie » ou inviter Linda à danser en plein milieu de « You Gave Me The Answer » avec les Wings, on comprend qu’il est pleinement conscient de la plaisanterie. Si on y pense bien, c’est peut-être pour cela qu’il pousse même ce style à l’extrême, car il sait bien que rien ne pourrait l’empêcher de suivre sa muse.
Et pour ceux qui estiment que ces morceaux nuisent aux albums desBeatles, permettez-moi de poser une question : pensez-vous vraiment que ses coéquipiers n’ont jamais fait de même ? En explorant leurs carrières solo et même les années Beatles, on découvre queJohn LennonetGeorge Harrisonont eux aussi des titres plus légers qui pourraient plaire aux plus âgés, comme « Being For the Benefit of Mr. Kite » pourJohnet « You » pourGeorge, des morceaux presque parodiques dans leur sensibilité.
Le rythme d’un album fonctionne aussi mieux quandMcCartneyy apporte une touche de bonne humeur. Regardez certains de ses albums solo les moins bien accueillis, commeDriving Rain. Même ses fans admettront que s’il n’a pas fonctionné aussi bien, c’est parce queMcCartneyn’y a pas apporté son côté léger.
En réalité, la musique plus légère deMcCartneyn’a en rien freiné la carrière desBeatles. Au contraire, elle leur a offert une diversité musicale bien plus large. Sans cela, il aurait été difficile de s’attarder uniquement sur les rêves artistiques deLennonet le mysticisme deHarrisonau milieu des morceaux rock. Avoir une note légère pour équilibrer le tout a contribué à l’harmonie des albums desBeatles.
EtMcCartneya même gagné en maîtrise dans ce style au fil des années, qu’il s’agisse de composer des ballades jazzy comme « My Valentine » ou de condenser tout le charme qu’il a pu glisser sur bande ces cinquante dernières années dans un morceau comme « English Tea » surChaos and Creation in the Backyard. La facette « grand-mère » deMcCartneyest sans doute un goût acquis, mais quand on sent qu’il s’amuse en studio, il devient difficile de ne pas se laisser emporter par cette énergie contagieuse.
