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Quand John Lennon forma son propre supergroupe éphémère, The Dirty Mac

Publié le 17 décembre 2024 par John Lenmac @yellowsubnet

À la fin des années 1960, les Beatles étaient sur le point d’exploser en tant qu’entité unie. Les sessions d’enregistrement de l’album blanc (The White Album, 1968) avaient déjà révélé de profondes fractures entre John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr. Chacun avait commencé à évoluer dans son propre univers créatif, transformant progressivement les Beatles en quatre solistes cohabitant péniblement sur un double disque. Conflits et tensions internes pressaient désormais chacun des membres à explorer ses propres horizons. Dans ce contexte, John Lennon, pour échapper un temps aux pressions du groupe, se tourna vers un projet éphémère qui lui permettrait de décompresser et de renouer avec l’esprit brut du rock’n’roll : The Dirty Mac.

Sommaire

Une scène rock surpeuplée de stars

En 1968, la scène musicale britannique bouillonnait de créativité et de rencontres inattendues. Le courant des « supergroupes » était en plein essor, alimenté par la naissance de formations comme Cream et, bientôt, Led Zeppelin. Les musiciens de renom n’hésitaient plus à s’associer librement pour des projets ponctuels, hors des cadres des groupes qui les avaient rendus célèbres.

C’est dans ce contexte que s’organisa The Rolling Stones Rock and Roll Circus, un événement télévisé orchestré par les Stones, regroupant certaines des plus grandes figures de la scène rock. Au programme, une pléiade d’artistes prêts à livrer des performances uniques. Outre les Stones, qui offraient un show mémorable, The Who s’illustraient avec une version survoltée de « A Quick One While He’s Away », tandis qu’un jeune groupe baptisé Jethro Tull, featuring Tony Iommi à la guitare, se frayait une place sous les projecteurs. L’ambiance était à la fête, à la jam session, à l’imprévu.

Dans ce paysage surchargé de talents, John Lennon s’apprêtait à monter sur scène… mais sans les Beatles. Le groupe n’avait pas la même cohésion qu’avant et Lennon avait soif d’explorer autre chose, de se confronter à de nouveaux musiciens. Ainsi naquit l’idée du Dirty Mac : un supergroupe improvisé, une réunion éphémère de stars absolues du rock, réunies autour du chanteur-guitariste Lennon.

La formation improbable du Dirty Mac

Le Dirty Mac n’a jamais été conçu pour durer. Il s’agissait plutôt d’un coup d’éclat, d’un numéro de haute voltige réuni spécialement pour The Rolling Stones Rock and Roll Circus. Pour accompagner Lennon, on retrouve Eric Clapton à la guitare, alors considéré comme l’un des meilleurs guitaristes de sa génération, Keith Richards, le guitariste des Stones, relégué ici à la basse, et Mitch Mitchell, le batteur de The Jimi Hendrix Experience, apportant sa frappe inventive derrière les fûts. Une combinaison déroutante, ne serait-ce que par la décision de Richards de troquer sa six-cordes pour quatre cordes, mais qui reflète parfaitement l’esprit libre et expérimental de l’époque.

À elles seules, ces quatre personnalités incarnaient les multiples facettes du rock anglais de la fin des années 60. Lennon, star planétaire déjà lassé de l’image des Beatles, Clapton, dieu de la guitare blues-rock, Richards, pilier du plus célèbre groupe de rock’n’roll, et Mitchell, élément clé du trio hendrixien. L’association avait de quoi faire saliver les amateurs de rock et les curieux, et pourtant, ce ne serait qu’une unique performance.

Un répertoire condensé de blues-rock expérimental

Sur scène, The Dirty Mac se lance dans une version rugueuse de « Yer Blues », un morceau déjà présent sur l’album blanc des Beatles, que Lennon avait écrit dans une période de profond malaise intérieur. Cette réinterprétation, loin de l’environnement habituel des Fab Four, prend une tonalité plus brute. Sans George Harrison ni Paul McCartney, Lennon est libre de s’entourer d’autres virtuoses, et la cohésion instantanée du quartet est frappante. Les guitares s’entremêlent, la rythmique est incisive, et Lennon livre une prestation qui préfigure l’intensité émotionnelle de sa future carrière solo, marquée par le cri primal de l’album John Lennon/Plastic Ono Band (1970).

En revanche, l’épisode d’« Whole Lotta Yoko » est plus difficile à digérer pour le public. Yoko Ono rejoint la scène, ajoute ses vocalises avant-gardistes et ses cris caractéristiques, brouillant les repères. Si la présence d’Ono illustre l’approche radicale et expérimentale de Lennon à l’époque, elle déconcerte le public, plus habitué à des formes musicales conventionnelles. Le décalage est net : alors que la virtuosité musicale du Dirty Mac aurait pu fasciner, la performance bruitiste d’Ono, loin des harmonies rassurantes des Beatles, suscite la perplexité, voire le rejet, pour une partie de l’audience.

Le Dirty Mac comme prélude à d’autres projets

Bien qu’unique, l’expérience du Dirty Mac laisse une empreinte dans l’évolution artistique de Lennon. En jouant avec des légendes issues de différents horizons, il apprend à lâcher prise, à embrasser la liberté improvisée, à assumer une démarche plus confidentielle et moins contrainte par l’héritage Beatles. Cette rencontre annonce indirectement les ambitions futures de Lennon avec le Plastic Ono Band, formation à géométrie variable où il cherchera à marier l’essence du rock’n’roll avec une sincérité émotionnelle et un engagement artistique hors des sentiers battus.

Le Dirty Mac ne donnera pas lieu à un groupe permanent. Il s’agit d’un instant figé dans le temps, un symbole du foisonnement créatif de la fin des années 60, où les géants du rock osaient des alliances inattendues. La brièveté de ce projet et la curiosité suscitée par ces quelques minutes sur scène suffisent à comprendre l’état d’esprit de Lennon à cette période : il est sur le point de rompre avec le confort des Beatles, de s’aventurer en terre inconnue, ouvert aux expériences sonores, même si elles perturbent, même si elles ne sont pas unanimement saluées.

Un jalon discret mais marquant

Au final, The Dirty Mac incarne une transition dans la carrière de John Lennon. D’un côté, il exploite la nostalgie des Beatles en interprétant « Yer Blues », morceau né au sein du groupe. De l’autre, il affronte l’inconnu, s’entoure de musiciens illustres mais étrangers à son écosystème habituel, ose combiner blues-rock viscéral et insertions avant-gardistes avec Yoko Ono. Ce tiraillement entre passé et futur, entre succès populaire et audace artistique, entre formes traditionnelles et expérimentations, résume bien le cheminement complexe de Lennon à la fin des années 60.

La setlist et l’esthétique du Dirty Mac ne connaîtront pas de suite, mais l’idée germera sous d’autres formes, conduisant Lennon, quelques années plus tard, à s’émanciper définitivement du cadre Beatles, à explorer son identité d’artiste engagé, libéré des formats établis. Les fans, quant à eux, se souviendront du Dirty Mac comme d’une curiosité précieuse, un aperçu d’un Lennon déjà prêt à tout déconstruire, à commencer par les codes qui avaient fait sa gloire au sein du plus grand groupe de l’histoire du rock.


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