Après la dissolution des Beatles au début des années 1970, chacun des membres du Fab Four s’est lancé dans une carrière solo, cherchant à affirmer sa propre identité musicale. Parmi eux, George Harrison, considéré comme le “troisième homme” derrière le tandem mythique Lennon/McCartney, a révélé au monde un talent de compositeur et un univers spirituel singulier. Ce talent a éclaté au grand jour avec « My Sweet Lord », une chanson qui devint non seulement un hymne personnel, mais aussi un phénomène culturel majeur.
Profondément influencé par la musique indienne et la philosophie hindoue qu’il a découverte au milieu des années 1960, Harrison a commencé à explorer les spiritualités orientales, notamment sous la férule de Ravi Shankar qui l’initia au sitar. Au-delà des simples curiosités musicales, ces rencontres l’ont amené à réinterpréter la religion et la dévotion au sein de sa propre œuvre. « My Sweet Lord », enregistré en 1970 dans le cadre de son premier album post-Beatles, All Things Must Pass, incarne cette démarche. Loin du rock and roll occidental, la chanson se déploie comme une prière pop, un pont entre les traditions chrétiennes et hindoues.
Sommaire
- De la religion catholique à l’hindouisme : la quête spirituelle de Harrison
- “My Sweet Lord” : une fusion spirituelle et musicale audacieuse
- Le procès pour plagiat : le revers de la médaille
- Un héritage intemporel et universel
De la religion catholique à l’hindouisme : la quête spirituelle de Harrison
George Harrison a grandi dans une famille catholique, mais le catholicisme n’était pas nécessairement au cœur de sa vie. Ce n’est que pendant les années de gloire des Beatles, en particulier lors de leurs voyages en Inde, qu’il s’est imprégné de l’esprit hindou. Selon certaines sources, son intérêt pour la spiritualité orientale et le yoga transcendantal s’est approfondi après des rencontres avec le Maharishi Mahesh Yogi. Comme Harrison l’a un jour expliqué : « Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’Hindouisme, c’était une révélation. Je découvrais une musique, une vision du monde et une approche de Dieu qui étaient nouvelles, et cela a nourri mon travail. »
La présence de figures hindoues sur la pochette de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band témoigne déjà de l’empreinte culturelle qu’il souhaite laisser. Plus tard, après la fin des Beatles, Harrison va plus loin, enregistrant même des hymnes dévotionnels tels que le Hari Krishna Mantra. Ce n’est plus qu’un simple décor exotique, c’est un engagement spirituel sincère. « My Sweet Lord » naît donc de cette plongée dans la foi universelle, où le « Seigneur » (Lord) peut être Krishna, Dieu, ou toute autre figure divine, selon la sensibilité de l’auditeur.
“My Sweet Lord” : une fusion spirituelle et musicale audacieuse
Ce mélange d’influences religieuses est au cœur même des paroles de « My Sweet Lord ». Le morceau juxtapose le « Hallelujah » chrétien et le « Hare Krishna » hindou. Le livre While My Guitar Gently Weeps rappelle que cette approche voulait célébrer une spiritualité sans frontière, rassurante pour tous : « Les gens de toute foi pouvaient s’y retrouver. » C’était une tentative d’unir différentes traditions religieuses autour d’une aspiration commune : la proximité avec le divin, la paix, l’amour. « Mon intention était de transmettre un message simple : peu importe la forme que prend votre foi, l’important est de tendre vers la même lumière », aurait pu résumer Harrison.
Musicalement, « My Sweet Lord » puise dans le terreau des gospels et des cantiques. Certains critiques notent des similitudes avec « Oh Happy Day », un hymne chrétien célèbre. Harrison, s’inspirant de ses racines catholiques, marie l’esprit des chants de dévotion à la pop, créant une alchimie sonore universelle. Sa guitare slide, les chœurs, la construction harmonique simple mais puissante, tout concourt à faire de la chanson un moment de grâce.
Le procès pour plagiat : le revers de la médaille
Cependant, cette réussite spirituelle et artistique sera ternie par une longue bataille juridique. La chanson « He’s So Fine » des Chiffons, succès des années 1960, présente une structure mélodique et rythmique étonnamment proche de celle de « My Sweet Lord ». Bright Tunes, le détenteur des droits de « He’s So Fine », accusa Harrison d’avoir plagiairement, fût-ce de manière involontaire, la chanson des Chiffons. Il en résultera un procès l’un des plus célèbres de l’histoire de la musique.
Lors de son jugement, le juge Richard Owen reconnut la bonne foi de Harrison, considérant que ce dernier n’avait sans doute pas eu l’intention de copier. Cependant, la coïncidence était trop flagrante, et Harrison fut condamné à verser une indemnité conséquente. Bien qu’il ait tenté de régler l’affaire à l’amiable, Bright Tunes refusa. Harrison a dû céder une partie de ses revenus de All Things Must Pass et de 75% des profits de « My Sweet Lord », soit environ 1,6 million de dollars. Cet épisode aura profondément marqué Harrison, renforçant son scepticisme envers l’industrie musicale et les pièges juridiques qu’elle recèle.
« Je pense que c’était une leçon pour moi, sur la manière dont la création inconsciente peut se retourner contre vous », admettra-t-il plus tard, sous-entendant que le fameux riff avait pu imprégner son esprit à l’écoute des Chiffons des années plus tôt, sans qu’il s’en rende compte. Malgré cette controverse, « My Sweet Lord » est restée dans les mémoires comme une chanson à la pureté rare, une expression de foi et de paix.
Un héritage intemporel et universel
Au fil des décennies, « My Sweet Lord » est devenue une des chansons signature de Harrison, celle qui incarne le mieux son parcours personnel, fait de cheminements spirituels et de quête intérieure. Lorsque la chanson est jouée à des commémorations ou des hommages, elle conserve une force inégalée. Elle incarne l’idéal harrisonien d’une spiritualité ouverte, dénuée de dogmatisme, et l’idée qu’une chanson pop puisse devenir une prière partagée.
Bien que le procès pour plagiat ait entaché la réputation initiale de l’œuvre, il n’a pas pu en briser l’essence. Sur un plan culturel, « My Sweet Lord » reste une pièce maitresse : elle a ouvert la voie à une réflexion plus profonde sur la spiritualité dans la musique pop, confirmant que la foi, le message d’amour et la fraternité ne sont pas incompatibles avec la popularité et la mélodie accrocheuse.
Aujourd’hui, que l’on soit croyant ou non, que l’on se sente proche de la tradition hindoue, chrétienne ou d’une autre foi, « My Sweet Lord » continue de toucher les cœurs. Et c’est sans doute la plus grande victoire de cette chanson, bien au-delà des querelles juridiques : avoir transcender la simple barrière de la radio et de l’industrie du disque, pour devenir un hymne intime et universel, ce qui constituait finalement le rêve de George Harrison.
